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Explorations-Imagerie

Publié le  Lecture 16 mins

Fonction rénale : quel tri faire entre les différentes formules du DFG ?

C. CARTERY, Service Néphrologie et Dialyses, Hôpital Tenon, Paris

En France, 60 000 individus sont atteints d’insuffisance rénale terminale (IRT), dont 35 000 ont recours à une méthode d’épuration extra-rénale (hémodialyse ou dialyse péritonéale). La maladie rénale chronique (MRC) augmente le risque de mortalité globale, de morbidité cardiovasculaire, d’hospitalisation, et a un impact négatif sur la qualité de vie personnelle, familiale et socioprofessionnelle. L’épuration extra-rénale (EER) représente 2 % des dépenses de santé et la MRC est donc considérée comme un problème de santé publique.

L’insuffisance rénale reste asymptomatique jusqu’à un stade avancé, et elle est encore trop souvent découverte au stade terminal (IRT). Or, il est possible de prévenir l’évolution vers l’IRT, à condition d’intervenir à un stade précoce. La cible de cette prévention est large en raison du nombre croissant de patients, principalement âgés, atteints par la maladie rénale chronique dans les pays occidentaux. La prévalence de la MRC, définie par le débit de filtration glomérulaire (DFG), atteint 10 à 15 % dans de nombreux pays (1). En fonction de la formule d’estimation du DFG utilisée, la prévalence varie. Ainsi, avec l’arrivée de la formule CKDEPI, la prévalence de la MRC aux États-Unis a diminué de 3,2 millions de personnes (2). Ces données soulignent l’importance d’évaluer précisément le DFG. Rappels de physiopathologie rénale Les fonctions du rein sont multiples : filtration, équilibre hydro-électrolytique, et sécrétion hormonale. En cas de maladie rénale chronique, on observe une défaillance de ces trois fonctions. Le dosage de la créatinine plasmatique est un très mauvais marqueur de défaillance rénale puisque la créatininémie ne s’élève que lorsque la baisse de DFG dépasse 50 % (3). La filtration, estimée par le calcul du débit de filtration glomérulaire (DFG), est considérée comme étant le meilleur indice de la fonction rénale. En situation normale, le débit de filtration glomérulaire est de 120 ml/min (180 l/24 h). Il existe néanmoins une diminution physiologique du DFG avec l’âge. En effet, après 40 ans, le DFG baisse de 0,5 à 1 ml/min par année (4). Ainsi, les patients de plus de 70 ans ayant un DFG stable compris entre 59 et 45 ml/min/1,73 m 2, ne devraient pas être considérés comme ayant une MRC (5). Tous les patients ayant un DFG inférieur à 60 ml/min/1,73 m 2 pendant plus de 3 mois sont considérés comme ayant une maladie rénale chronique selon les recommandations américaines KDOQI/CKD (pour Kidney Disease/Improving Global Outcomes). La MRC est classée en 5 stades (tableau) selon la valeur du DFG (6). Il ne faut pas oublier que la mesure du débit de protéinurie est également indispensable pour guider le traitement et surveiller la progression de la MRC. Cette classification permet un dépistage de la MRC et a abouti à des recommandations de prise en charge propres à chaque stade. Une détermination aussi précise que possible du DFG occupe donc une place primordiale dans la prise en charge des patients. Le DFG est défini par la clairance d’une substance x. Cette substance x doit être éliminée par le rein, filtrée librement par le glomérule (faible poids moléculaire, non liée aux protéines), et non sécrétée ni réabsorbée par le tubule. De plus, la sub stance ne doit pas être synthétisée, transportée, ou métabolisée par le rein. La clairance est le volume de plasma totalement épuré de cette substance par unité de temps. Le résultat doit être ramené à une surface corporelle de 1,73 m 2 et s’exprime donc en ml/min/1,73 m 2. Mesure du DFG par traceurs exogènes ou endogènes Traceurs exogènes Le « gold standard » pour la détermination du DFG est sa mesure directe, grâce à l’utilisation d’un traceur exogène ayant les caractéristiques de x. Plusieurs traceurs peuvent être utilisés : Inuline, 51Chrome EDTA, Iohexol, Iothalamate. L’inuline reste la méthode de référence dans les recommandations américaines (7). La situation idéale, mais utopique, serait de mesurer le DFG par une méthode de référence chez tous les patients pour évaluer la fonction rénale et adapter au mieux la dose du médicament. Ces méthodes nécessitent néanmoins de nombreux prélèvements de sang et/ou d’urines dans un laboratoire spécialisé. En raison de sa lourdeur et de son coût, la mesure directe du DFG est donc réservée à des indications particulières, lorsque le patient a un morphotype atypique rendant l’estimation du DFG difficile : amyotrophie massive, para- ou tétraplégie, myopathie, dénutrition grave, obésité morbide, régime végétarien, gigantisme ou nanisme, etc. Traceurs endogènes Devant les obstacles à la mesure du DFG par des traceurs exogènes, des alternatives ont été développées utilisant des traceurs endogènes. Deux molécules ont été proposées : l’urée et la créatinine. La clairance de l’urée a été abandonnée en raison des variations de mesures dépendant des apports protidiques et de l’hydratation. La mesure de la clairance de la créatinine a été utilisée en routine pendant plus de 40 ans, or elle est un marqueur imparfait du DFG pour de multiples raisons. En premier lieu, la mesure est tributaire de la qualité du recueil d’urine. Ensuite, la créatinine n’est pas une substance idéale pour déterminer la clairance : elle a une élimination extra-rénale en cas d’IRC sévère. De plus, elle surestime systématiquement le DFG quelle que soit la valeur de la fonction rénale en raison de sa sécrétion tubulaire (8). En cas de fonction rénale normale, la part tubulaire de son excrétion est faible (de l’ordre de 10 %), mais elle dépasse 50 % au stade terminal de l’insuffisance rénale terminale. Par ailleurs, certains médicaments inhibent sa sécrétion tubulaire (le triméthoprime et la cimétidine), alors que d’autres augmentent sa production (les fibrates et l’hormone de croissance). Enfin, la production de créatinine est aussi corrélée au volume des masses musculaires et aux apports alimentaires en viande. La clairance de la créatinine est donc un très mauvais reflet du DFG. Effectuée dans les meilleures conditions, elle conduit à méconnaître environ 30 % des insuffisances rénales (9). D’autres traceurs endogènes de filtration glomérulaire ont été proposés. Au premier rang de ceux-ci, la cystatine C a donné naissance à plusieurs formules de DFG estimé. Certains proposent également d’intégrer deux traceurs dans la même équation afin de réduire la variance du modèle (10). Ces formules ne sont pas encore utilisées en routine. Formules d’estimation du DFG En pratique, le recours à des formules d’estimation du DFG est nécessaire. Il a donc été mis au point des formules permettant d’estimer le DFG à partir de la seule concentration plasmatique de la créatinine et de différentes données phénotypiques des individus. La performance d’une formule est jugée sur ses caractéristiques incluant : le biais, la précision, et l’exactitude par rapport à une mesure de référence. Mais le choix d’une formule d’estimation du DFG n’est pas exclusivement basé sur ses performances intrinsèques à estimer au mieux un DFG mesuré (DFGm) par une méthode de référence, mais aussi sur sa capacité à prédire la mortalité ou l’arrivée à un stade terminal de la MRC (11). La formule de Cockcroft et Gault La première formule proposée a été celle de Cockcroft et Gault (CG) qui prend en compte l’âge, le sexe et le poids (12). Elle est d’emploi facile et a donc rencontré un grand succès. La formule CG a été publiée en 1976 et établie à partir de l’étude d’une cohorte de 236 malades canadiens de sexe masculin. La formule de Cockcroft et Gault estime non pas le DFG (en ml/min/1,73 m 2), mais la clairance de la créatinine sur les urines de 24 heures (en ml/min). La clairance des urines de 24 heures n’est cependant plus recommandée pour estimer le DFG. Plusieurs limites ont été avancées. La formule CG surestime le DFG des individus âgés de moins de 65 ans ou dont l’indice de masse corporelle (IMC) est supérieur à 30 kg/m 2 ou inférieur à 18,5 kg/m 2. Elle le sous-estime largement si l’âge est supérieur à 65 ans (13). Les sujets âgés sont alors crédités d’une IRC qui n’existe pas. Ils risquent d’être soumis à des explorations, voire des traitements onéreux et inutiles. Malgré toutes les limites mentionnées, la formule CG reste une bonne option chez les patients âgés et ayant un BMI bas (14). Il persiste un débat sur l’utilité de cette formule dans le champ spécifique de l’adaptation posologique. L’immense majorité des publications sur l’adaptation posologique des médicaments ont, de fait, utilisé la formule CG ou la clairance de créatinine. Par ailleurs, la variable « poids » est présente dans la formule CG, ce qui peut être un avantage au niveau pharmacocinétique, le poids étant une estimation du volume de distribution du médicament. La formule du MDRD Plus tard a été proposée la formule du Modification of Diet in Renal Diseases (MDRD) qui, dans sa version simplifiée, prend en compte l’âge, le sexe, un facteur ethnique et, dans sa version originale, l’urée sanguine et l’albumine sérique (15). La formule du MDRD a été publiée en 1999 et établie à partir d’une population de 1 628 malades caucasiens et afro-américains résidant aux États-Unis dont l’âge moyen était de 50,6 ± 12,7 ans. Les valeurs de référence étaient des mesures de DFG par clairance urinaire du 125I-iothalamate. L’estimation du DFG par la formule MDRD nécessite l’emploi d’un calculateur en accès libre sur Internet ou de calculettes individuelles. La formule MDRD surestime le DFG si l’IMC est inférieur à 18,5 kg/m 2 et le sous-estime chez les femmes âgées de moins de 65 ans. Dans la plupart des situations, la formule MDRD a une meilleure précision que la formule CG. La formule MDRD permet une estimation nettement plus fiable du DFG dans la population âgée. À l’opposé, la formule MDRD sous-estime régulièrement le DFG des sujets à faible risque d’insuffisance rénale (donneurs de rein) ou diabétiques dont le DFG est dans les valeurs hautes de la normale (stade d’hyperfiltration) (13) (figure). Ces biais sont peut-être à l’origine d’une surestimation de la prévalence de la maladie rénale chronique dans les études épidémiologiques. Biais d’estimation moyens observés pour les formules de Cockcroft et Gault et MDRD abrégé par rapport au DFG mesuré. Adapté de (13). La formule CKD-EPI Pour tenter d’atténuer les imperfections des formules CG et MDRD, une troisième a été publiée en 2009, le CKD-EPI (Chronic Kidney Disease EPIdemiology collaboration), qui utilise les mêmes variables que la formule MDRD (2). Les performances de cette formule

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