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Inhiber la néprilysine : une nouvelle priorité cardiovasculaire
F. ZORES, Strasbourg

Le Printemps de la cardiologie
L’insuffisance cardiaque est une pathologie fréquente, dont le traitement repose sur des associations thérapeutiques bien codifiées. Cependant, sa prise en charge reste difficile et cette pathologie reste grevée d’une forte mortalité. Il est donc primordial d’améliorer le pronostic des patients porteurs d’insuffisance cardiaque, notamment par le développement de nouvelles cibles thérapeutiques.
Épidémiologie et réalités de l’insuffisance cardiaque : apport d’un registre régional D’après la communication de Y. Cottin (Dijon) L’analyse de la base de données de l’Assurance Maladie de Bourgogne permet une photographie des données « vie réelle » de la prise en charge des insuffisants cardiaques. L’analyse a porté sur 12 981 patients bourguignons bénéficiant d’une prise en charge en ALD au titre de l’insuffisance cardiaque en 2012, ou ayant été hospitalisés pour insuffisance cardiaque en diagnostic principal, diagnostic relié ou diagnostic associé entre 2008 ou 2012, ou remboursés en 2012 d’un bêtabloquant et d’au moins une autre classe de médicament pour insuffisance cardiaque, à l’exclusion des patients en ALD pour HTA. Sur l’ensemble de la population, 2 229 patients (17,6 %) n’ont reçu aucun traitement de l’insuffisance cardiaque au cours des trois derniers remboursements de frais de pharmacie. Le traitement recommandé dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, la triple association bêtabloquants-IEC/ARA2-diurétiques, n’a été délivré que chez 2 135 patients (16,4 %) ! En analysant la fréquence de prescription de ces différentes classes thérapeutiques, on observe une moindre dispensation des bêtabloquants et des IEC/ARA2 pour les patients âgés que pour les patients de moins de 65 ans, alors que le taux de diurétiques augmente (figure 1). Le format de la base de données fait qu’il est malheureusement impossible de savoir les raisons de cette sous-prescription ; l’existence de contre-indication est, par exemple, inconnue, de même que le rationnel de (non-) prescription par le médecin. Figure 1. Prescription des médicaments selon l’âge. On dénombre 3 047 patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque. À compter de la sortie d’hospitalisation, ces patients on fait en moyenne 1,47 séjour hospitalier par an — quelle qu’en soit la raison — avec une durée de séjour moyenne de 10,4 jours. L’insuffisance cardiaque est le motif d’hospitalisation chez 14 % des patients avant 65 ans, et 34 % des patients après 85 ans. À 36 mois de l’hospitalisation index, près de 70 % des patients auront été réhospitalisés pour un nouvel épisode d’insuffisance cardiaque, et 50 % des patients l’auront été dans les 13 mois qui suivent la première hospitalisation. Il est en outre surprenant de constater que seul 28,6 % des patients ambulatoires ont bénéficié d’au moins un dosage de peptide natriurétique en 2012. Le registre bourguignon montre que 50 % des patients sont décédés dans les 36 mois qui suivent l’hospitalisation. La survie est significativement moins bonne pour les patients de plus de 80 ans que pour ceux de moins de 80 ans (HR = 2,57 [2,27- 2,92] ; p 0,001). Néanmoins, même pour les patients de moins de 80 ans, on retrouve une survie de seulement 50 % à 5 ans. La survie est, fort heureusement, meilleure si le patient a consulté un cardiologue dans l’année suivant l’hospitalisation index (HR = 0,84 [0,74-0,94] ; p = 0,0036) ! Les données de la CPAM de Bourgogne montrent donc que la prise en charge quotidienne des insuffisants cardiaques est encore bien différente des grandes études cliniques et bien loin des recommandations. Il en découle une morbi-mortalité importante, le « classique » 50 % de décès à 5 ans restant malheureusement d’actualité. L’amélioration du pronostic de l’insuffisance cardiaque reste donc un problème aujourd’hui, en dépit des progrès fait depuis les années 1980. Mécanisme d’action des inhibiteurs de l’endopeptidase neutre/néprilysine D’après la communication de S. Laurent (Paris) L’endopeptidase neutre (NEP) — ou néprilysine — est une métalloprotéase (au même titre que l’enzyme de conversion de l’angiotensine [ECA]), présente notamment dans le rein, les poumons, le cerveau, le coeur et les vaisseaux. Elle dégrade de très nombreux substrats dont les peptides natriurétiques (ANP, BNP, CNP), la bradykinine, l’angiotensine II ou l’endothéline. En augmentant les taux de peptides natriurétiques, son inhibition permet la vasodilatation des petites et des grosses artères, améliore la natriurèse, et possède des effets antihypertrophiques et antifibrotiques sur le myocarde et les parois vasculaires. Ces effets bénéfiques sont contrebalancés par l’augmentation du taux d’angiotensine II, favorisant vasoconstriction, rétention hydrosodée et effets prohypertrophiques et profibrotiques. Ces deux effets opposés expliquent le faible effet antihypertenseur des inhibiteurs purs de la NEP. Afin de s’affranchir de cet effet antagoniste, des molécules ciblant à la fois la NEP et l’enzyme de conversion de l’angiotensine ont été développées. Ces molécules permettent d’un côté de bénéficier des effets bénéfiques de l’augmentation des taux de peptides natriurétiques via l’inhibition de la NEP, et de ne pas générer d’élévation de l’angiotensine II en raison de l’inhibition de l’ECA. Cet effet synergique permet une baisse de la pression artérielle et une réduction des dommages des organes cibles. Cependant NEP et ECA sont toutes deux responsables de la dégradation de la bradykinine. L’inhibition synergique de ces deux molécules se solde donc par une augmentation du risque d’angiooedème. C’est ce qui a été observé dans l’étude OCTAVE. Cette étude comparait l’adjonction de l’omapatrilat, inhibiteur de la NEP et de l’ECA, ou de l’énalapril, chez des patients hypertendus, sur un suivi de 6 mois. Le traitement par omapatrilat a entraîné trois fois plus d’angio-oedème que l’énalapril (2,17 % contre 0,68 %), conduisant à l’arrêt du développement du produit. Le LCZ696 a donc été mis au point en associant un inhibiteur pur de la NEP, le sacubitril, et un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II, le valsartan. Cette association permet une augmentation du taux de peptides natriurétiques circulants et empêche l’effet délétère de l’élévation de l’angiotensine II liée à l’inhibition de la NEP en empêchant sa fixation sur les récepteurs AT1. En l’absence d’inhibition de l’ECA, l’élévation du taux de bradykinine est moindre, diminuant le risque d’angio-œdème. Le LCZ696 permet donc, par le sacubitril, un blocage du système des peptides natri - urétique, en association au blocage du système rénine-angiotensine-aldostérone par le valsartan, et au blocage du système sympathique via le traitement bêtabloquant (figure 2). Figure 2. Mécanismes du contrôle de l’insuffisance cardiaque. Prise en charge du patient insuffisant cardiaque : des essais cliniques à la pratique quotidienne D’après la communication de P. De Groote (Lille) Depuis l’époque du traitement digitalo-diurétique, l’amélioration de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque a connu de nombreux succès : inhibition hormonale par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion à partir de 1987 puis par les antagonistes de récepteurs minéralocorticoïdes à compter de 1999, et inhibition sympathique par les bêtabloquants à partir de 1999. Puis les années 2000 ont vu le développement des traitements électriques (défibrillateur et resynchronisation) et le contrôle de la fréquence cardiaque par l’ivabradine. Si tous ces succès ont permis d’obtenir une réduction substantielle de la mortalité, plusieurs traitements ont échoué voire se sont révélés délétères : traitements inotropes positifs, antiarythmiques (antiarythmique de classe I, amiodarone, dronédarone), vasodilatateurs (amlodipine, époprosténol, nésiritide), inhibiteurs neurohormonaux (bosentan, tolvaptan) ou chronotrope négatifs (bucindolol, diltiazem). Sans compter les tentatives de supplanter les IEC, pierre angulaire du traitement de l’insuffisance cardiaque : succès mitigés des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 et échec de l’omapatrilat, et, tout récemment, de l’aliskiren dans l’étude ATMOSPHERE. C’est dans ce contexte qu’a été réalisée l’étude PARADIGM, étudiant le LCZ696 (association de sacubitril et de valsartan) en remplacement d’un traitement par IEC chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque chronique à FEVG abaissée. L’étude a inclus 8 442 patients en classe II à IV de la NYHA, avec une FEVG inférieure à 40 %, une pression artérielle supérieure à 100 mmHg, une clairance de la créatinine supérieure à 30 ml/min/m2 et, ou un BNP supérieur à 150 pg/ml ou un NT-proBNP > 600 pg/ml, ou un BNP supérieur à 100 pg/ml ou un NT-proBNP > 400 pg/ml et une hospitalisation pour insuffisance cardiaque dans l’année précédant la randomisation. Après une période de run-in sous énalapril puis LCZ696, permettant d’exclure les patients ne tolérant pas les traitements, les patients ont été randomisés entre LCZ696 (4 187 patients) ou énalapril (4 212 patients). Il s’agissait de patients de 68 ans de moyenne d’âge, dont 22 % de femmes, avec une FEVG moyenne de 29 %, un BNP moyen de 255 pg/ml, en classe II de la NYHA pour 75 % des patients. À l’inclusion, 93 % des patients étaient sous bêtabloquant, 55 % sous antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes, 78 % sous IEC. La dose moyenne atteinte de LCZ696 était de 375 mg, la dose d’énalapril de 18,9 mg. Au total, 17,8 % des patients ont interrompu le traitement par LCZ696, 19,8 % dans le groupe énalapril. Les résultats sont spectaculaires : le critère d’évaluation principal (réduction de la mortalité cardiovasculaire et hospitalisation pour insuffisance cardiaque) a été atteint par 914 patients dans le groupe LCZ696, et 1 117 patients dans le groupe énalapril, soit une réduction significative de 20 % (HR = 0,80 [0,73-0,87] ; p = 0,0000002), ce qui correspond à 21 patients à traiter pour éviter un événement. Le traitement permet également une réduction de 16 % de la mortalité totale (HR = 0,84 [0,76-0,93] ; p = 0,0005). L’ensemble des résultats est homogène quels que soient les sous-groupes, et en particulier quels que soient la FEVG ou l’âge des patients. Les patients traités par LCZ696 présentent plus d’hypotension artérielle symptomatique (14,0 % contre 9,2 % ; p 0,001), mais moins d’élévation de la créatinine (3,3 % contre 4,5 % ; p = 0,007). La toux est
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