M. GALINIERa,b,c, O. LAIREZa,d, P. FOURNIERa, E. CARIOUa, C. DELMASa,c, C. BIENDEL-PICQUETa, J. RONCALLIa,c a. Fédération des Services de cardiologie, CHU Rangueil, Toulouse b. UMR UT3 CNRS 5288 Evolutionary Medicine, Obesity and Heart Failure: molecular
L’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEp) n’est pas une maladie unique et homogène mais un syndrome protéiforme, à la physiopathologie complexe dépendant de l’étiologie dominante, associé à diverses comorbidités(1). À la différence de l’insuffisance cardiaque par dysfonction systolique, uniformisée par les conséquences neurohormonales de l’altération de la fraction d’éjection, son traitement ne repose sur aucune recommandation solide(2), les 5 grands essais thérapeutiques lui ayant été consacrés n’ayant pu démontrer une diminution significative de la morbi-mortalité.
Si l’élévation des pressions de remplissage du ventricule gauche est le dénominateur commun de ce syndrome, responsable de la dyspnée et de la rétention hydrosodée, rendant compte de la nécessité de contrôler la volémie, le traitement de fond des ICFEp est avant tout étiologique. Ainsi, il n’existe probablement pas de traitement uniforme de l’ICFEp, les choix des thérapeutiques devant se faire sur mesure en fonction de l’étiologie et donc du processus physiopathologique dominant. Une analyse phénotypique précise, prenant en compte les données cliniques, étiologiques, biologiques, échocardiographiques, les comorbidités, voire les résultats de l’IRM myocardique et de la scintigraphie au biphosphonate, est donc nécessaire afin d’aboutir à une classification physiopathologique des différentes formes d’ICFEp et de proposer un traitement adapté (1). Les principales étiopathogénies sont les formes par surcharges barométriques, dominées par la cardiopathie hypertensive, les formes par surcharges volumétriques, avec l’obésité morbide et l’insuffisance rénale, les formes par atteinte myocardique avec, d’une part, la cardiomyopathie propre au syndrome métabolique et au diabète et, d’autre part, les cardiomyopathies hypertrophiques et restrictives, sans oublier la cardiopathie ischémique. Traitements hémodynamiques L’élévation des pressions de remplissage ventriculaire gauche est la conséquence des différents processus physiopathologiques en cause, responsable en phase chronique de la dyspnée d’effort et des signes de rétention hydrosodée et en phase aiguë de l’oedème aigu du poumon, survenant volontiers à l’occasion d’un facteur déclenchant qu’il faudra identifier et corriger. Son traitement passe par la restriction sodée, les diurétiques, les vasodilatateurs et la modulation de la fréquence cardiaque. La restriction hydrosodée et l’éducation thérapeutique La restriction hydrosodée doit être adaptée à l’âge du patient et à la sévérité de la maladie. En règle générale, elle est plus modérée que dans l’insuffisance cardiaque systolique avec un apport en sel de 4 à 6 g/j. Si possible, il faut l’intégrer dans le cadre d’une éducation thérapeutique qui a montré son efficacité dans l’insuffisance cardiaque, indépendamment de la valeur de la fraction d’éjection, notamment chez les patients âgés comme c’est le cas dans l’ICFEp, diminuant le risque de réhospitalisation (3). Les diurétiques Les diurétiques proximaux C’est la seule classe thérapeutique possédant une recommandation de classe I mais de niveau C dans l’ICFEp selon la Société européenne de cardiologie (ESC, tableau). Leur posologie dépend du mécanisme à l’origine de l’ICFEp. Dans les formes par surcharges barométriques, elle doit être initialement modérée pour participer au contrôle tensionnel et les diurétiques thiazidiques peuvent suffire. Dans les autres formes ou en cas d’insuffisance rénale associée, l’utilisation des diurétiques de l’anse s’impose en augmentant leur posologie progressivement en fonction de la réponse thérapeutique et de la sévérité de la maladie. En cas d’épuisement thérapeutique nécessitant des doses importantes de diurétiques de l’anse, administrés alors en plusieurs prises quotidiennes, on peut y associer des diurétiques thiazidiques sous surveillance biologique stricte. Le risque de ce traitement est de diminuer la volémie efficace, qui est moins élevée que dans l’ICFE réduite, et donc d’entraîner une dégradation de la fonction rénale. Les antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM) En bloquant l’action de l’aldostérone au niveau du tube contourné distal, ils potentialisent l’action des diurétiques proximaux tout en évitant le risque d’hypokaliémie. Dans une étude preuve de concept, Aldo-DHF (4), réalisée chez 422 patients, par rapport au placebo, la spironolactone à la dose de 25 mg/j a amélioré les paramètres échocardiographiques, rapport E/e’ et masse ventriculaire gauche, sans cependant augmenter les capacités d’effort. Les effets cliniques de la spironolactone à la dose de 25 mg/j ont été testés versus placebo chez 3 445 patients au cours de l’étude TOPCAT (5). Les critères d’inclusion étaient un âge ≥ 50 ans, une FEVG ≥ 45 %, la présence de symptômes ou de signes cliniques d’insuffisance cardiaque et soit dans les 2 mois précédents un BNP ≥ 100 pg/ml ou un NT-proBNP ≥ 360 pg/ml, soit une hospitalisation pour insuffisance cardiaque dans les 12 derniers mois. Pour l’ensemble des patients inclus, l’étude est négative, la diminution du critère principal, incluant les décès cardiovasculaires, les arrêts cardiaques et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque, n’atteignant pas le seuil de significativité après 3,3 ans de suivi, une réduction significative de 17 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (OR = 0,83 ; IC95% : 0,69-0,99 ; p = 0,04) étant observée. Cependant une analyse post-hoc, dont l’interprétation doit rester prudente (6), tenant compte des pays d’inclusion des patients, justifiée par une différence considérable entre la mortalité des sujets des groupes placebo inclus en Russie et en Géorgie par rapport à ceux inclus en Amérique (Argentine, Brésil, Canada, États-Unis), suggère un effet bénéfique de la spironolactone au cours de l’ICFEp. En effet, l’incidence annuelle des événements de l’objectif principal dans les deux pays de l’Est est de 2,4 %, soit beaucoup plus faible que dans les autres pays où elle s’élève à 11,5 %, la rapprochant des taux de mortalité cardiovasculaire observés dans les registres. Il est donc probable qu’en l’absence d’accès aisé aux dosages des peptides natriurétiques, les patients inclus en Russie et en Géorgie, plus jeunes et avec moins de comorbidités, n’étaient pas tous atteints d’ ICFEp. Ainsi, si la spironolactone n’avaient aucun effet chez les 1 678 patients des deux pays de l’Est (OR = 1,10 ; IC95% : 0,79-1,51 ; p = 0,58), elle diminuait significativement de 18 % l’objectif principal chez les 1 767 patients des autres pays (OR = 0,82 ; IC95% : 0,69-0,98 ; p = 0,026), réduisant également significativement les décès cardiovasculaires et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (figure 1). Figure 1. Résultats de l’étude TOPCAT selon les pays d’inclusion des patients. Les ARM possèdent expérimentalement une action antifibrosante, tant au niveau myocardique que vasculaire, et améliorent la fonction endothéliale par l’augmentation de l’activité NO-dépendante, leur principal effet diurétique épargneur de potassium en fait un des traitements de base de l’ICFEp. • En cas d’insuffisance cardiaque aiguë, en particulier d’œdème aigu du poumon, les diurétiques de l’anse devront être administrés par voie intraveineuse à posologie moins élevée que dans l’ICFEr : 40 à 80 mg de furosémide en l’absence de traitement antérieur, à une dose identique à leur prise orale quotidienne en cas de traitement chronique, l’inflation hydrosodée étant moindre que dans l’ICFEr. Dans l’avenir, les deux nouvelles molécules dont le mécanisme d’action passe en partie par un effet diurétique pourraient s’imposer si les essais thérapeutiques en cours démontrent leur efficacité : les inhibiteurs des récepteurs de l’angiotensine II et de la néprilysine (IRAN), le sacubitril en inhibant la neuropeptidase neutre augmentant les taux endogènes de peptides natriurétiques ce qui majore la natriurèse et la diurèse grâce à une triple action sur le néphron, augmentation du débit de filtration glomérulaire par vasodilatation de l’artériole afférente et vasoconstriction de l’artériole efférente et inhibition de la réabsorption du sodium au niveau du tube contourné proximal et du tube contourné distal ; l’empaglifozine, un inhibiteur du cotransporteur sodium-glucose de type 2, entraînant ainsi un effet diurétique, qui pourrait aussi être utile du moins chez les patients diabétiques. Les vasodilatateurs Les dérivés nitrés L’utilisation des donneurs de NO paraissait logique pour diminuer la pression télédiastolique ventriculaire gauche grâce à leur action vasodilatatrice veineuse prédominante. En traitement de fond, la récente étude NEATHFpEF vient cependant de démontrer leur effet néfaste (7). Dans cet essai, la prise d’isosorbide mononitrate, à la dose augmentée progressivement de 30 à 120 mg/j, était associée par rapport au placebo à une activité physique quotidienne, estimée par un accéléromètre, significativement moindre, la durée des activités étant inversement proportionnelle à la dose de nitrés, et à une augmentation des effets secondaires. Ainsi, il est inutile, voire délétère de proposer un traitement chronique par dérivés nitrés dans l’ICFEp. • Au cours de l’insuffisance cardiaque aiguë, en cas d’oedème aigu du poumon si la pression artérielle systolique (PAS) est ≥ 100 mmHg, ce qui est le plus souvent le cas dans l’ICFEp, les dérivés nitrés par voie intraveineuse restent indiqués, une étude ancienne (8) ayant démontré le bénéfice de l’administration de bolus de 3 mg d’isosorbide dinitrate, répétés si nécessaire toutes les 5 min, la dose moyenne de nitrés administrée étant de 11,4 ± 6,8 mg. Les autres vasodilatateurs Les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (PDE) Ils augmentent l’activité GMP cyclique, comme le sidénafil, et ont été testés chez des patients stables présentant une ICFEp au cours de l’étude RELAX (9). Par rapport au placebo, le sildénafil n’améliore pas le pic VO2 et ne modifie ni le score de dyspnée, ni la distance parcourue en 6 min. L’essai ULTIMATE- HFpEF teste l’efficacité de l’udénafil, un inhibiteur de la PDE-5 de longue durée d’action. Cependant, il est peu probable que les inhibiteurs de la PDE-5 se révèlent efficaces, les études hémodynamiques les plus récentes n’ayant pas retrouvé d’effet du sildénafil au cours de l’ICFEp sur le niveau des pressions artérielles pulmonaires, y compris chez les patients présentant une hypertension artérielle pulmonaire mixte pré- et postcapillaire (10). Les inhibiteurs de la PDE-9, plus abondante dans le myocarde, pourraient être une
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