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Cardiomyopathies aux anthracyclines : prévention et traitement
Pierre GIBELIN, CHU de Nice

L’action antitumorale des anticancéreux exercent des effets secondaires sur les tissus sains de l’organisme. Si certains effets délétères sont communs à la plupart des antimitotiques (nausées, vomissements, aplasie médullaire, alopécie), les effets indésirables au niveau cardiaque sont souvent l’apanage de quelques agents, notamment les anthracyclines.
La cardiotoxicité liée à la chimiothérapie est en augmentation du fait, d’une part, du vieillissement de la population, d’où une association plus fréquente de cancer et de maladies cardiovasculaires, d’autre part, d’une meilleure efficacité du traitement anticancéreux. En effet, les survivants à un traitement de tumeurs solides ou hémopathies ont augmenté très fortement depuis 20 ans. Ainsi les atteintes cardiaques ont augmenté parallèlement. De même, de nombreux traitements associés de traitements adjuvants favorisent l’atteinte cardiaque, ainsi que la radiothérapie associée. Le problème est important et on conçoit l’intérêt du bilan cardiologique dont l’objectif est la recherche d’une dysfonction myocardique avant le traitement (détection des sujets à risque) pendant la chimiothérapie et à distance du traitement pour assurer une prise en charge spécialisée aussi optimale que possible. Définition de l’atteinte cardiaque Il n’y a pas de définition universelle. L’European Association of Cardiovascular Imaging et l’ASE retiennent une chute de 10 % de la FEVG avec une FEVG 50 %. Mais Cardiac Review and Evaluation Commitee retiennent une chute de 5 % avec une FEVG 55 % si signes cliniques et 10 % sans signes cliniques ; enfin la FDA est plus exigeante et propose une chute de 20 % si la FEVG de départ est normale et de 10 % si elle est 53 %. Fréquence Les incidences sont très variables selon les études et les doses. En effet, l’incidence varie de 3 à 48 % pour la doxorubicine : 3 à 5 % pour 400 mg/m 2, 7 à 26 % pour 550 mg/m 2 et 18 à 48 % pour 700 mg/m 2 (dose cumulative totale, DCT, conseillée 550 mg/m 2), de 1 à 11 % pour l’épirubicine (DCT conseillée 900 mg/m 2), de 5 à 18 % pour l’idarubicine (DCT conseillée 90 mg/m 2) et 2 % pour l’anthracycline liposomale (dose > 900 mg/m 2). Cardinale et coll. ( Circulation 2015) nous renseignent de manière plus précise : sur une étude portant sur 2 625 patients traités par anthracyclines suivis tous les 3 mois pendant 1 an, puis tous les 6 mois pendant 4 ans, puis tous les ans, l’incidence était de 9 %(9,7 % cancer du sein ; 6,2 % autres) dont 81 % en classe I/II NYHA. Au total, 98 % des atteintes se produisaient dans la première année (temps moyen entre début chimiothérapie et CMD : 3,5 mois). Prévention Détection des patients à risque (tableau) Facteurs de risque liés aux malades • L’âge : les sujets jeunes semblent plus vulnérables de même que les personnes âgées. • Le sexe féminin : à dose cumulée identique, les femmes sont plus à risque que les hommes. • Les facteurs génétiques : probable mutation concernant le métabolisme du fer par exemple. Les sujets trisomiques 21 et les Noirs américains sont à risque accru. • La durée du suivi : les effets du temps écoulé depuis l’arrêt du traitement constituent un facteur de risque essentiel. • Des antécédents cardiovasculaires : la préexistence de maladie cardiaque est sous-estimé. Dans une étude observationnelle monocentrique, Schmidinger et coll. ont étudié les patients programmés pour une chimiothérapie. Ils ont analysé les facteurs de risque de la maladie coronarienne, les antécédents cardiovasculaires, les troubles du rythme, l‘HTA et les signes ou antécédents d’insuffisance cardiaque. Les auteurs retrouvent des antécédents cardiovasculaires dans 9,3 % des cas avec 5,8 % d’infarctus du myocarde, 7 % d’insuffisance cardiaque, 3,5 % des troubles du rythme et 3,5 % d’HTA non contrôlée. De nombreux patients ont des facteurs de risque cardiovasculaire : HTA (48,8 %), une hypercholestérolémie (26,7 %), un diabète (22 %), une hypertriglycéridémie (12,8 %). Ainsi il faut insister sur la détection des patients à risque avant chimiothérapie à savoir : – les patients avec une FEVG 50 % asymptomatiques ; – insuffisance cardiaque à FE altérée ou conservée ; – coronaropathie : antécédent d’infarctus, d’angor, de pontage, de stent ; – valvulopathie modérée à sévère ; – antécédents d’AVC ou d’AIT ; – antécédents de thromboembolie ; – HTA répondant mal aux traitements et/ou avec HVG ; – troubles du rythme sévère ; – cardiomyopathie hypertrophique, restrictive dilatée ; – facteurs de risque : diabète, hypercholestérolémie, tabac, obesité, alcool. De tels patients ont un risque élevé de développer une cardiotoxicité. L’évaluation du profil cardiovasculaire par le cardiologue doit être pris en considération par l’oncologue afin de décider du type de thérapeutique et du mode d’administration individualisé : dose administrée lors de chaque session, la dose cumulée, les horaires, le mode d’administration, l’association de plusieurs médicaments et un suivi optimal (par exemple : évaluation de la FEVG : 2 à 4 semaines, 3 ou 4 mois, et à 6 mois après le début du traitement et la fin de la cure). Un registre national a été mis en place par le groupe insuffisance cardiaque de la SFC pour déterminer la fréquence des cardiopathies et facteurs de risque chez les patients devant avoir un traitement par les anthracyclines et/ou trastutumab (ce registre a débuté en juin 2017). Facteurs de risque liés aux traitements • Dose totale cumulée : en effet, il existe une augmentation exponentielle de l’incidence de la cardiopathie toxique avec l’augmentation de la dose cumulée. Si la probabilité d’apparition est inférieure à 10 % pour des doses cumulées en deçà de 550 mg/m 2 le risque croît considérablement pour des doses supérieures. Ces données ont conduit à considérer la dose de 550 mg/m 2 de doxorubicine comme la limite supérieure à ne pas dépasser. L’épirubicine parait moins toxique. La tendance actuelle des oncologues est d’utiliser des doses bien moindres d’anthracycline. Il existe une grande variation inter individuelle quant à la sensibilité cardiaque aux anthracyclines. • Mode d’administration : il est préférable de faire des perfusions de produit sur une période prolongée. • Irradiation médiastinale : cette association peut majorer la toxicité cardiaque aux anthracyclines, de même que l’association avec d’autres anticancéreux : mitoxantrone, mitomycine, cyclophosphamide, melphalan, vincristine, actinomycine, bléomycine, trastuzumab. Détection précoce de la dysfonction VG Monitoring de la fraction d’éjection C’est de loin le paramètre le plus utilisé. Celle-ci est habituellement évaluée par l’échocardiographie. La FEVG est le meilleur facteur pronostique. La fréquence et la méthode d’évaluation de la FEVG (échocardiographie, scintigraphie, IRM…) n’est pas clairement précisé dans les recommandations internationales. Cependant cette méthode a montré une mauvaise sensibilité diagnostique et une faible valeur prédictive pour les formes paucisymptomatique. Toutes les modalités de l’échocardiographie pour l’évaluation de la FEVG doivent être utilisé : 2D simpson, 3D, contraste, écho de stress. Autres indicateurs échocardiographies • Paramètres diastoliques L’altération des paramètres diastoliques survient avant l’atteinte de la fonction systolique évaluée par la FEVG. De nombreuses études ont montré que les anthracyclines altèrent les paramètres diastoliques mesurées en échographie tel que le rapport E/A, le temps de décélération de l’onde E (TDE) et la relaxation isovolumétrique. D’autres études ont montré des résultats identiques avec le DTI avec la mesure de E’ et du rapport E/E’. Toutefois, une atteinte précoce de la fonction diastolique n’a pas de valeur prédictive du développement ultérieur d’une cardiotoxicité avec altération de la fonction systolique. Sawaya et coll. (2011) sur un suivi de 6 mois n’a pas pu montrer une valeur prédictive d’une atteinte de la fonction systolique. • Strain et strainrate Cette technique permet d’évaluer les déformations longitudinale, radiale et circonférentielle ; la plus étudiée étant la déformation longitudinale. La FE ou FR évalue la fonction ventriculaire gauche globale. Il peut être important d’étudier la dysfonction régionale qui peut précéder la déformation globale. De plus, la FE dépend de la pré- et de la postcharge. Les paramètres de déformation sont moins sensibles aux variations de charge. Sawaya en 2011 et 2012 a démontré que le strain longitudinal prédit le développement d’une cardiotoxicité chez les patients traités par les anthracyclines et trastuzumab. On retiendra avec les recommandations de l’ESC 2016 une réduction relative de la déformation longitudinale globale (GLS) > 15 % par rapport à la déformation de base. Ces résultats restent à confirmer car il existe une grande variation de la norme en fonction des appareils utilisés pour la mesure. • Biomarqueurs • Troponines (Tn) : deux grandes études ont montré l’intérêt du dosage de la troponine I effectuées par l’équipe de Cardinale. La plus récente a étudié 703 patients pour évaluer l’impact pronostique de l’élévation des troponines. Les résultats sont les suivants : – patients qui ont leur Tn I normale après chaque cure et après la fin du traitement (n = 495) (1 mois après) ont un risque très faible d’événement cardiovasculaire ( 1 %) ; – patients qui ont une élévation de la Tn I après chaque cure et à la fin du traitement (n = 63) ont un risque élevé d’événement cardiovasculaire (84 %) ; – patients qui ont une élévation de la Tn I après chaque cure mais qui revient normale à la fin de la cure de chimiothérapie ont un risque intermédiaire (37 %). Des résultats voisins sont retrouvés avec le trastuzumab. • BNP/NT-proBNP : les natriurétiques ont été utilisés comme biomarqueurs, leur intérêt dans la détection précoce de la toxicité cardiaque des chimiothérapies est en cours d’évaluation avec des résultats contradictoires. Au total, même si les biomarqueurs ont montré des résultats contradictoires, ils ont également montré leur potentiel à prédire une cardiotoxicité. Leur valeur prédictive négative est importante. L’élévation de la troponine peut prédire l’évolution vers une dysfonction VG, sélectionne les patients pouvant bénéficier d’un traitement préventif et définit un groupe à surveillance rapproché et prolongé. Traitement préventif La
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