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Prévention thromboembolique : à tout âge ?
Fabrice EXTRAMIANA, service de cardiologie, Hôpital Bichat, Paris

La prévalence de la fibrillation atriale (FA) augmente avec l’âge et la population de nos pays vieillit.
Fibrillation atriale, risque thromboembolique et grand âge La prévalence de la fibrillation atriale (FA) augmente avec l’âge et la population de nos pays vieillit. La FA est déjà une pathologie majoritairement du sujet de plus de 75 ans et les projections à 2060 estiment que près des 2/3 des patients avec une FA auront plus de 80 ans (1). Par ailleurs, un âge au-delà de 75 ans est le facteur de risque d’AVC associé à la FA le plus puissant (risque multiplié par plus de 5, alors que l’antécédent d’AVC ne multiplie le risque « que » par 2,9) (2). Ce sont d’ailleurs les sujets de plus de 80 ans qui paient le tribut le plus lourd aux AVC. Ces notions sont bien connues et intégrées dans le score de CHA 2DS 2- VASc et les recommandations de la prise en charge de la FA. Les sujets de plus de 75 ans devraient tous (sauf contre-indication absolue) être sous anticoagulants (3). Cependant, les enquêtes anciennes ou même récentes montrent régulièrement qu’au mieux la moitié des patients de plus de 80 ans avec de la FA sont effectivement sous traitement anticoagulant (4). Ce faible taux d’anticoagulation des patients âgés avec FA pourrait ne relever que d’une mauvaise diffusion et connaissance des recommandations. Cependant, il est également possible que cela reflète des interrogations et/ou réticences légitimes des prescripteurs. En effet, même s’il semble clair que le sur-risque d’AVC associé à la FA augmente beaucoup avec l’âge(5) et que plus du tiers des AVC sont attribués à une cause cardio-embolique après 75 ans (6), le risque hémorragique sous anticoagulant est également plus fort après 80 ans (7). La question de la balance bénéfice/risque est donc centrale pour la décision d’anticoagulation chez les patients les plus âgés caractérisés par la présence de nombreuses comorbidités et des taux de mortalité annuelle de 6 % entre 80 et 90 ans et de 18 % au-delà (données INSEE 2016). Il est donc légitime d’évaluer les niveaux de preuve scientifique du traitement anticoagulant en prévention du risque thromboembolique associé à la FA chez les sujets les plus âgés. Que disent les études randomisées qui ont démontré l’intérêt des anticoagulants dans la FA ? Il y a près de 20 ans, entre 1989 et 1992, 5 études randomisées (AFASAK, SPAF1, BAATAF, CAFA, SPINAF) ont montré que le traitement par AVK comparé au placebo diminuait le risque d’AVC des 2/3 (8). Cependant, l’âge moyen des patients inclus dans ces études était toujours inférieur à 75 ans, souvent à 70 ans et les patients de plus de 75 ans étaient même exclus de l’étude SPAF1 (8). Ainsi, seuls environ 20 % des 2 900 patients inclus dans ces études avaient plus de 75 ans et la durée moyenne de suivi était de 1,6 an (8) pour revue et références des différentes études. Seules 3 études ultérieures ont évalué des patients d’âge moyen supérieur à 80 ans mais avec l’aspirine comme comparateur à la warfarine (sous analyse > 75 ans de SPAF2, WASPO et BAFTA). L’étude SPAF2 montre que les risques d’AVC et d’hémorragie sont au moins 2 fois plus importants après 75 ans. Après 75 ans, et par rapport à l’aspirine, les AVK sont associés à une diminution non significative du risque d’AVC mais augmentent les hémorragies (9). L’étude WASPO n’incluait que 75 patients. L’étude BAFTA (10) est beaucoup plus informative. Il s’agit d’une étude randomisée incluant près de 1 000 patients de plus de 75 ans (60 % > 80 ans, 20 % > 85 ans). Le taux d’AVC était diminué de moitié (RR = 0,46 ; IC95% : 0,26-0,79 ; p = 0,003) chez les patients sous AVK ( vs aspirine) (10). Ce bénéfice des AVK était observé dans les 3 tranches d’âge (75-79, 80-85 et > 85 ans). Le risque hémorragique sous traitement augmentait avec l’âge dans les 2 bras mais avec des taux supérieurs dans le bras aspirine par rapport au bras AVK. Le risque d’AVC + hémorragie majeure était supérieur sous aspirine comparé aux AVK. On peut cependant considérer que l’aspirine est un moins bon comparateur que le placebo pour le risque hémorragique. La mortalité quant à elle était comparable dans les 2 groupes (autour de 8 % par an) (10). Il n’y a pas d’étude randomisée anticoagulant oral direct (AOD) versus placebo en prévention du risque thromboembolique associé à la FA. Cependant, l’étude AVERROES a comparé l’apixaban à l’aspirine (11). L’apixaban est associé à une diminution de plus de 50 % du risque d’AVC ou d’embolie systémique (HR = 0,45 ; IC95% : 0,32-0,62 ; p 0,001) sans augmentation significative du risque d’hémorragie majeure (HR = 1,13 ; IC95% : 0,74-1,75 ; p = 0,57) (11). Une sous-analyse d’AVERROES a évalué les effets des traitements chez les patients de plus ou moins de 75 ans (12). Dans les 2 bras, les risques d’AVC et d’hémorragies sont plus importants chez les patients de plus de 75 ans à l’inclusion. Mais la diminution des AVC par l’apixaban est plus importante chez les patients les plus âgés sans majoration du risque hémorragique par rapport à l’aspirine (12). Par conséquent le bénéfice clinique net de l’apixaban versus l’aspirine augmente avec l’âge et est maximum chez les sujets plus âgés (figure ) (12). Figure. Risque d’AVC, d’hémorragie sous traitement et bénéfice clinique net en fonction de l’âge (d’après référence 12). AOD versus AVK Les études randomisées comparant AVK et AOD ont montré une meilleure balance bénéfice/risque avec les AOD (13). Pour chaque AOD, une sous-étude a été réalisée chez les patients de plus de 75 ans. L’ensemble de ces études a été récemment évalué dans une métaanalyse (14). Il en ressort que, chez les patients avec FA et de plus de 75 ans, les AOD sont associés à une diminution d’un quart des accidents emboliques (HR = 0,76 ; IC95% : 0,67-0,85 par rapport aux AVK), sans majoration des hémorragies majeures (HR = 0,95 ; IC95% : 0,74-1,23) et avec une diminution de plus de 50 % des hémorragies intracrâniennes (HR = 0,48 ; IC95% : 0,34-0,67) (14). Il semble donc clair que lorsque l’on décide de prescrire un anticoagulant à un patient de plus de 75 ans, il est préférable de choisir un AOD, en l’absence de contre-indication, plutôt qu’un AVK. Quid des patients de plus de 85 ans ? De plus de 90 ans ? Les études avec les AOD ont inclus près de 40 % de patients de plus de 75 ans (13). Mais ce chiffre cache en réalité une très faible proportion de patients très âgés. Ainsi la proportion de patients de plus de 85 ans était entre 4 et 5 % dans les études RELY et ROCKET, et il y avait moins de 0,5 % de patients de plus de 90 ans dans l’étude RELY (d’après la communication de O. Hanon à l’ESC 2019). Pour ses populations très âgées, plusieurs petites études donnent des résultats parfois contradictoires. Les données numériquement significatives les plus solides que nous ayons actuellement sont celles issues de grands registres. Le registre européen PREFER in AF a inclus plus de 4 500 patients de moins de 80 ans, 467 patients ≥ 85 ans et 84 patients ≥ 90 ans (15). Chez les patients de 85 ans et plus, le taux d’événement embolique était de 6,3 pour 100 patients/an sans anticoagulant et de 4,3 pour 100 patients/an sous anticoagulant. Le taux d’hémorragie majeure chez les patients de 85 ans et plus était de 4,2 et 4,0 pour 100 patients/an sans et sous anticoagulant respectivement (15). Le traitement anticoagulant était associé à une diminution du critère combiné (AVC ischémique + embolie systémique + infarctus du myocarde + AVC hémorragique + hémorragie majeure), de -1,92 % chez les patients de moins de 85 ans, - 2,78 % chez les patients de 85 ans et plus et de -8,02 % chez les patients de 90 ans et plus. Le bénéfice clinique net est donc beaucoup plus fort chez les patients les plus âgés. Les pourcentages sont impressionnants mais là encore, ils cachent un très faible nombre de patients de plus de 90 ans. Le registre taiwanais est remarquable (16). L’ensemble de la population adulte de Taiwan avec un nouveau diagnostic de FA entre 1996 et 2015 a été évaluée. Sur les 481 534 nouveaux diagnostics de FA en 20 ans, 26 608 patients (6 % des FA) avaient 90 ans ou plus (92,6 ± 2,7 ans). Trois analyses différentes ont été conduites. • 1 re analyse. Les patients de plus de 90 ans avec FA mais sans traitement anticoagulant ont été comparés à un échantillon apparié 1:1 pour l’âge et le sexe avec des sujets sans FA. Le taux ajusté d’AVC était de 2,9 % et 5,8 % chez les patients sans ou avec FA (HR ajusté sur le risque compétitif = 1,93 ; IC95% : 1,74-2,14 ; p 0,001). Le taux ajusté d’hémorragie intracrânienne était de 0,63 % et 1,0 % chez les patients sans ou avec FA (HR ajusté sur le risque compétitif = 0,85 ; IC95% : 0,66- 1,09 ; p = 0,196) (16). Cela confirme que la FA non traitée est associée à une majoration du risque embolique (mais pas du risque d’hémorragie intracrânienne). • 2 e analyse. Les risques d’AVC et d’hémorragie intracrânienne ont été évalués chez les patients de de 90 ans ou plus avec une FA en fonction du traitement (AVK, antiagrégant plaquettaire ou pas de traitement) pendant la période précédant la commercialisation des AOD (1996-2011). Les résultats montrent, en comparaison avec l’absence de traitement, une diminution minime et statistiquement non significative des AVC ischémiques avec les antiagrégants plaquettaires (HR après ajustement par score de propension = 0,91 ; IC95% : 0,78-1,06) alors que les AVK sont associés à une diminution significative (HR après ajustement par score de propension = 0,61 ; IC95% : 0,40- 0,94 ; p = 0,024) (16). Pour ce qui concerne le risque d’hémorragie intracrânienne, les antiagrégants n’ont pas d’effet sur le risque (HR = 1,02 ; IC95% : 0,70-1,48 ; p = 0,92) et on observe une tendance non significative à une augmentation sous AVK versus pas de traitement (HR = 1,46 ; IC95% : 0,58- 3,71 ; p = 0,42) (16). • 3 e analyse. Elle compare les taux d’événements sous AVK et sous AOD (16) pendant la période 2012-2015. Il n’y a pas de différence entre AVK et AOD en termes d’AVC (HR tenant compte du risque compétitif = 1,16 ; IC95% : 0,61-2,22 ; p = 0,65) ni en termes d’hémorragie
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