Études cardiovasculaires dans le diabète de type 2 - Vers une sécurité renforcée et une application à la vraie vie
Bruno GUERCI, service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition, hôpital Brabois Adultes, Philippe Canton et CIC Inserm, ILCV, CHRU de Nancy
Malgré des progrès thérapeutiques considérables entrepris dans des domaines aussi variés que complémentaires du contrôle glycémique, du traitement des dyslipidémies et de l’hypertension, et de la prise en charge des autres comorbidités associées, le diabète demeure une situation à haut risque cardiovasculaire pour les patients qui en sont atteints. Ce constat a conduit à une nouvelle stratégie depuis plus de 10 ans, celle des grands essais thérapeutiques d’événements cardiovasculaires, destinés avant tout à vérifier la sécurité d’emploi de molécules qui seront amenées à être prescrites sur le long terme aux populations diabétiques de type 2 en particulier. Quelles leçons pouvons-nous en tirer aujourd’hui, et quelles sont les prochaines étapes en cours d’action et de réflexion ?
Depuis 2008, la Food and Drug Administration (FDA) impose des règles pour tout nouveau médicament arrivant sur le marché, et destiné à être utilisé dans le traitement du diabète. La raison principale fait suite à la publication des données cliniques concernant les glitazones, et plus particulièrement la rosiglitazone, montrant une augmentation du risque cardiovasculaire chez les diabétiques de type 2 traités par cette molécule (1). Plus précisément, cette métaanalyse de 42 essais suggérait une augmentation du risque d’infarctus du myocarde de près de 43 % et de mortalité cardiovasculaire (CV) de 64 % comparativement au placebo ou aux autres agents hypoglycémiants. Cet électrochoc scientifique s’inscrivait aussi dans un contexte bien particulier et propre au diabète de type 2. Le risque de maladie cardiovasculaire est 2 à 4 fois plus élevé chez les personnes diabétiques de type 2 que chez les sujets non diabétiques, et l’absence de démonstration d’un effet favorable du traitement intensif de la glycémie sur les évé nements macrovasculaires (études ACCORD, ADVANCE, UKPDS et VADT) (2). Bien au contraire, une augmentation du risque relatif de mortalité toutes causes de 22 % était observée dans l’étude ACCORD, dont un des enseignements principaux était alors de ne pas « empiler » les traitements les uns sur les au tres de manière déraisonnable, surtout lorsque ces traitements présentent un risque hypoglycémique (3). Focus sur les prérogatives de la FDA Il avait été suggéré initialement que des études de sécurité cardiovasculaire ( Cardiovascular Outcome Trial ou CVOT) ne seraient nécessaires que si les méta-analyses ne pouvaient pas exclure un niveau de risque inacceptable. Cependant, le nombre d’événements cardiovasculaires accumulés au cours d’un programme de développement classique de phase 2 ou 3 étant généralement insuffisant pour fournir un niveau de confiance statistique suffisamment robuste (populations étudiées dont le risque CV absolu était modéré, rarement élevé ou très élevé), il a alors été décidé que chaque nouveau médicament antidiabétique approuvé depuis 2008 aurait un CVOT dédié (4). Par ailleurs, bien que les directives de la FDA aient spécifiquement exclu l’insuline de son évaluation de l’innocuité cardiovasculaire, précisant que sa nécessité en tant que thérapie indispensable et palliative pour le diabète de type 1 rendait cette évaluation impossible, certaines nouvelles formulations d’insuline ont été étudiées dans les essais CVOT suite à la publication des résultats de méta-analyse des études de phases 2 et 3. En résumé, la FDA a requis en complément de l’évaluation du « hazard ratio », une borne supérieure pour l’estimation du rapport de risque (en analyse bilatérale, avec un intervalle de confiance à 95 %) (figure 1), en définissant comme un critère principal de jugement, un critère composite d’évaluation cardiovasculaire (souvent le MACE pour Major Adverse Cardiovascular Events, regroupant les décès cardiovasculaires, les infarctus et AVC non mortels) : – si la borne supérieure de l’IC est > 1,8 : les données sont jugées insuffisantes pour soutenir l’approbation de la commercialisation du traitement ; un essai clinique d’envergure doit être mené pour évaluer la sécurité CV du traitement ; – si la borne supérieure de l’IC se situe entre 1,3 et 1,8 : un risque CV potentiel pouvant encore subsister, un essai post-marketing puissant et adapté est nécessaire pour montrer que le risque est 1,3 ; – si la borne supérieure de l’IC est 1,3 : l’analyse du risque/bénéfice supporte l’approbation de la commercialisation du traitement et un essai post-marketing n’est généralement pas nécessaire. Figure 1. Contraintes statistiques à l’approbation par la FDA. Les CVOT dans l’histoire récente du diabète de type 2 Plus de 10 années ont passé et de nombreuses études de sécurité cardiovasculaire ont été conduites dans le domaine des thérapeutiques destinées au diabète : qu’il s’agisse des premiers essais avec les inhibiteurs de la dipeptidylpeptidase de type 4 (iDPP4), des agonistes du récepteur au GLP-1 (GLP-1 RA), des insulines d’action lente de deuxième génération (études ORIGIN pour la glargine et DEVOTE pour la dégludec), ou des molécules plus récentes comme les inhibiteurs du cotransporteur glucose-sodium de type 2 (iSGLT2 ou gliflozines). Au total, une vingtaine de CVOT ont été publiés, d’autres sont en cours ou ont été abandonnés (figure 2) (5). De manière rassurante, dans la majorité de cas, les essais destinés à montrer la sécurité d’emploi de ces nouvelles molécules antidiabétiques se sont révélés neutres (ce qui sousentend que la non-infériorité a été démontrée sur le critère de jugement principal), voire positifs avec la démonstration récente d’une protection cardiovasculaire et rénale chez des patients à haut ou très haut risque cardiovasculaire et/ou cardio-rénal (supériorité testée et démontrée après vérification du critère de noninfériorité) notamment avec des molécules comme les GLP-1 RA (études LEADER, SUSTAIN-6, REWIND, HARMONY Outcomes) ou les iSGLT2 (études EMPA-REG Outcome, CANVAS, DECLARETIMI 58, CREDENCE) (6,7). Même les sulfamides incriminés d’un risque potentiellement délétère sur le plan cardiovasculaire ont en partie été innocentés dans la récente étude CAROLINA, première étude randomisée et contrôlée qui comparait la linagliptine, iDPP4 versus comparateur actif (sulfamide hypoglycémiant glimépiride). Figure 2. CVOT réalisés et en cours (d’après Cefalu WT et al. Diabetes Care 2018 ; 41 : 14-31). En revanche, dans certaines études, des signaux d’alerte ont été mis en évidence, notamment dans l’étude SAVOR-TIMI, au cours de laquelle l’incidence des épisodes d’insuffisance cardiaque a été retrouvée significativement plus élevée dans le groupe saxagliptine comparativement au groupe placebo, sans qu’aucune explication n’ait pu être donnée sur cette différence observée très précocement dans le suivi de l’étude. Une même tendance, mais non significative, a aussi été observée avec l’alogliptine dans l’essai EXAMINE. Une attention particulière a donc été portée sur des effets et des différences auparavant insoupçonnés entre les iDPP4, qui bloquent le clivage de nombreux peptides circulants et peuvent ainsi avoir divers effets en aval (bénins ou nocifs) autres que la réduction de la clairance et l’augmentation plasmatique des niveaux physiologiques de GLP-1. Autres enseignements (parfois inattendus) et conséquences des CVOT Ces CVOT bien conçus et correctement conduits ont fourni des informations précieuses audelà de leur objectif principal de sécurité CV. Les preuves du bénéfice CV et rénal de l’empagliflozine, de la canagliflozine, de la dapagliflozine pour les iSGLT2, du liraglutide, du sémaglutide, de l’albiglutide et du dulaglutide pour les GLP-1 RA par rapport au placebo, complétées par des données provenant d’autres études, ont incité les experts et les sociétés sa - vantes à reconsidérer les directives, voire les recommandations de traitement pour le diabète de type 2 (8-10). L’ensemble de ces données ont pour but de modifier la pratique clinique afin de réduire les événements CV et les décès parmi les personnes dont les caractéristiques sont proches ou similaires à celles incluses dans ces essais. D’autres informations tirées des CVOT proviennent de critères secondaires, qui sont dans certains cas moins robustes statistiquement, néanmoins d’importance potentielle. En particulier, les récents CVOT comme DAPA HF ont focalisé l’attention sur le problème urgent de l’insuffisance cardiaque congestive (ICC), qui affecte les personnes âgées atteintes de diabète plus fréquemment que l’infarctus du myocarde et qui avait déjà été identifiée comme une préoccupation réelle au cours de l’étude SAVOR-TIMI. Ces essais ont également permis de mettre en évidence des effets protecteurs rénaux, lesquels ont abouti au développement d’essais spécifiques de protection dans des populations à risque, parfois même indépendamment de la présence ou non d’un diabète (études CREDENCE ou DAPACKD). Il en est de même pour les critères de sécurité comme les cas de pancréatites aiguës et de cancer du pancréas avec les GLP-1 RA, ou encore sur le sur-risque potentiel de carcinome thyroïdien, suspecté à partir de modèles animaux. Ce risque thyroïdien n’a par la suite pas été confirmé chez l’homme du fait d’une densité bien plus faible de cellules C et de récepteurs au GLP-1 dans la thyroïde humaine comparativement à celle des rongeurs, et d’une cascade de signalisation intracellulaire, mesurée grâce à l’augmentation de l’AMPc dans la cellule C, qui est un phénomène détectable chez les rongeurs, mais pas chez l’homme. Identification des limites méthodologiques et pratiques des CVOT Bien que tous ces essais aient fourni des informations très précieuses, la question reste controversée de savoir si ces informations justifient l’investissement actuel de temps et de ressources. Il est donc logique de s’interroger aujourd’hui sur la poursuite de tels essais ou la modification des critères de réalisation de ces études de sécurité cardiovasculaire. La raison en est simple : disposant aujourd’hui de molécules dont la protection cardiovasculaire est démontrée, il est de moins en moins éthique de proposer à des patients d’intégrer des essais sur de très longues périodes de temps (comme les études ORIGIN ou REWIND chez des patients à risque cardiovasculaire modéré à élevé) comparativement à un placebo, plaçant alors les patients du groupe placebo dans une situation de perte de chance vis-à-vis des stratégies ayant fait la preuve de leur efficacité sur la protection cardiovasculaire ou rénale. Plusieurs limites des CVOT sont à ce jour bien identifiées : manque de transposabilité des études et des résultats à ceux observés dans la « vraie vie » (études REAL WORLD EVIDENCE ou RWE), calendrier trop court pour évaluer les avantages potentiels, mais aussi calendrier trop court pour évaluer les dommages éventuels sur la sécurité d
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