Risque cardiovasculaire du patient diabétique de type 2 - De quoi parle-t-on exactement ?
Lisa LUDWIG(1), Patrice DARMON(2), Bruno GUERCI(1) 1. Service endocrinologie, diabétologie et nutrition CHRU de Nancy et université de Lorraine 2. Service d’endocrinologie, maladies métaboliques et nutrition, AP-HM et université d’Aix-Marseille
Les maladies cardiovasculaires constituent une part importante de la morbidité et de la mortalité liées au DT2, même si la prise en charge globale des facteurs de risque des patients a permis d’en réduire considérablement l’incidence et la prévalence. Il persiste néanmoins un risque cardiovasculaire résiduel pour le patient diabétique dont le niveau est au moins deux fois plus élevé comparativement à une population non diabétique. La moitié de la réduction de l’espérance de vie des patients diabétiques est liée à la morbi-mortalité cardiovasculaire. Au-delà de l’hyperglycémie, les raisons avancées pour ce sur-risque du patient diabétique tiennent à l’existence d’autres facteurs de risque comme l’hypertension artérielle, les dyslipidémies ou l’existence d’une néphropathie, qui justifient par conséquent une prise en charge globale du patient diabétique.
Au-delà de l’effet protecteur controversé du contrôle glycémique sur le développement des maladies cardiovasculaires (CV) (études UKPDS, ADVANCE, ACCORD et VADT), la question de la sécurité, voire de la protection CV apportée par les traitements antihyperglycémiants utilisés en pratique constitue une question essentielle qui pourrait déterminer le choix d’une stratégie thérapeutique selon la présence ou non d’une pathologie CV préexistante chez un patient diabétique. Depuis 2008, la Food and Drug Administration (FDA), impose à tous les fabricants de nouvelles molécules arrivant sur le marché de démontrer sa sécurité d’emploi sur le plan CV, notamment en conduisant des études comparatives évaluant les événements CV majeurs, nous y reviendrons. Prévention cardiovasculaire : définitions et contours La définition du statut CV du patient s’est alors révélée être un enjeu pour le diabétologue con fronté au choix de la molécule la plus adaptée à son patient, et s’est accompagnée d’un débat autour de la notion de « prévention CV ». La prévention correspond à l’ensemble des actions mises en place pour éviter ou réduire le nombre et/ou la gravité des maladies ou des accidents. Plus spécifiquement, en pathologie vasculaire, selon les définitions données en 2004 par la Direction générale de la santé (DGS), trois stades de prévention peuvent être distingués : – la prévention primaire consiste à lutter contre des risques avant l’apparition de tout problème ; risques en termes de conduite individuelle à risque, d’environnement ou encore sociétale ; – la prévention secondaire, dont un synonyme pourrait être le dépistage, cherche à révéler une atteinte pour prévenir une maladie ou un désordre psychologique ou social ; – la prévention tertiaire vise à prévenir les rechutes ou les complications. Il s’agit d’une réadaptation médicale, psychologique ou sociale. Le Collège national des enseignants de cardiologie (CNEC) et maladies vasculaires a publié en 2012 sa propre définition de la prévention CV secondaire. Celle-ci concernerait les patients ayant déjà présenté un symptôme, une complication CV, mais aussi ceux pour lesquels une lésion athéromateuse a été découverte, regroupant ainsi la notion de prévention secondaire et tertiaire définie par la DGS. L’objectif d’une démarche de prévention secondaire était alors de diminuer le risque de récidive de la maladie et d’apparition d’une complication dans un autre territoire vasculaire. Il était également rappelé que la suppression des facteurs de risque CV restait impérative dans cette situation de prévention secondaire. Dans sa deuxième édition de 2018 (cf. 2 e édition du référentiel de cardiologie pour la préparation des ECN), le référentiel du CNEC a redéfini la prévention secondaire comme étant une action engagée : 1) dans les suites d’un accident vasculaire ; ou 2) en présence de lésions vasculaires documentées, afin de réduire le risque de récidive et de ralentir la progression des lésions. La prévention primaire visait, quant à elle, à réduire l’incidence de la maladie, en dépistant et contrôlant les facteurs de risque en amont de tout accident vasculaire. Les études d’événements cardiovasculaires en diabétologie ou « CVOT » Des populations très hétérogènes dans leur description initiale du risque cardiovasculaire Ces définitions du patient en prévention CV secondaire sont à comparer aux phénotypes des patients ayant participé aux études de sécurité CV exigées par la FDA communément appelées CVOT pour « CardioVascular Outcomes Trials ». Dans la majorité de ces études, les patients étaient, selon les niveaux de risque définis par l’European Society of Cardiology dans ses récentes recommandations de 2020 (tableau 1), à haut ou très haut risque CV. L’objectif est clairement annoncé de définir une population selon son niveau de risque et non plus sur le fait que le patient ait ou non présenté un événement clinique de type infarctus, accident vasculaire cérébral ou revascularisation vasculaire. Cela représente un vrai changement dans l’appréciation du risque vasculaire du patient. De ce constat, la définition du patient en prévention CV secondaire n’est pas tout à fait la même en fonction des études CVOT. Pour certaines, les patients en prévention CV secondaire sont des patients ayant déjà présenté un événement vasculaire significatif de type infarctus, accident vasculaire cérébral, ou ayant bénéficié d’un geste de revascularisation coronaire (pontage ou dilatation avec ou sans pose de stent actif ou non), carotidienne ou des axes vasculaires ilio-fémoraux (stents, pontages, endartériectomie). Pour d’autres, elles intègrent également dans la prévention CV secondaire des patients considérés à très haut risque CV, car associant de multiples facteurs de risque de maladie vasculaire, avec des atteintes d’organes cibles telles qu’une atteinte rénale (diminution significative du débit de filtration glomérulaire [DFG] à 60 ml/min et/ou présence d’une albuminurie significative), sans pour autant qu’ils aient présenté un événement clinique ou bénéficié d’un geste de revascularisation. Ainsi, certains critères cliniques tels que l’insuffisance cardiaque ou l’insuffisance rénale définie par un DFG 60 ml/min ou une albuminurie sont partagés autant par des études dites de prévention primaire que de prévention secondaire. Le niveau de risque CV absolu des populations étudiées est alors susceptible de varier considérablement en fonction des critères de sélection (figure 1). Cette absence d’harmonisation des critères d’inclusion des patients dans les CVOT s’observe aisément dans les études testant la sécurité d’emploi des AR GLP-1, et dans une moindre mesure, dans les études testant les iSGLT2. La Société francophone du diabète (SFD) a résolument pris un virage en 2019 en définissant les populations à risque CV selon la présence ou l’absence d’une maladie CV avérée, et non plus sur la notion de prévention primaire ou secondaire. Elle s’est appuyée pour cela sur les données des CVOT et sur un certain nombre de critères cliniques et/métaboliques (tableau 2 et figure 2). Ces critères étaient assez proches de ceux publiés dans le même temps par les sociétés savantes européennes et américaines du diabète (figure 3). Ainsi les stratégies recommandées par les différentes sociétés savantes sont désormais en meilleure adéquation avec les données des études d’événements. La présence d’une maladie CV avérée sous-entend que les patients concernés ne sont pas seulement des patients ayant présenté un événement clinique significatif de type MACE ( Major Adverse Cardiovascular Events) ou un geste de revascularisation, mais aussi des patients avec une atteinte d’organe, un très haut risque CV, ou une lésion athéromateuse significative et identifiée, quel que soit le territoire vasculaire. L’ADA et l’EASD sont même allés plus loin en différenciant et en priorisant un peu plus les critères cliniques amenant à choisir entre un traitement par AR GLP-1 et un iSGLT2, notamment sur des critères de maladie rénale et/ou d’insuffisance cardiaque, et ce indépendamment des valeurs d’HbA 1c initiale et d’objectifs d’HbA 1c à atteindre. C’est donc sur leur pouvoir de protection cardio-rénale que les molécules du traitement du diabète sont aujourd’hui sélectionnées dans l’arbre décisionnel (algorithme ADA/EASD, figure 3), au-delà de leur degré d’efficacité glycémique et pondérale, en considérant qu’environ 15 à 25 % de la population des patients avec un diabète de type 2 présentent ces critères de haut ou très haut risque CV. Tous ces éléments différenciant les études d’événements doivent alors rendre particulièrement attentifs à la notion de nombre de sujets à traiter couramment appelé NNT pour « Number Needed to Treat », présenté comme une mesure d’efficacité, voire de puissance d’un traitement ou d’une stratégie thérapeutique versus comparateur. En résumé, le NNT associé à une étude CVOT dépend de 3 facteurs principaux, et son calcul est basé sur une méthode ajustée aux études de type « time to event » (délai entre l’entrée dans l’étude du patient et la survenue d’un premier événement de significativité clinique du critère principal d’analyse, le « MACE » en général). Ces 3 facteurs sont le risque CV absolu de la population (que conditionnent les critères d’inclusion des patients), la durée de suivi des patients dans l’étude, et le critère de jugement principal qui peut différer d’une étude à une autre. Sachant cela, il semble douteux, voire aberrant en termes d’interprétation, de vouloir comparer les NNT d’une étude à l’autre et de tenter de classifier des molécules ou des stratégies selon le NNT sur une échelle de puissance d’action. Pour une normalisation des définitions des populations à risque cardiovasculaire, une vraie comparabilité des études, et une attitude thérapeutique cohérente Sur la base de 3 études CVOT emblématiques, il est aisé d’observer que toutes ne définissent pas le patient à risque CV élevé ou en prévention secondaire de la même manière. Pourtant, pour définir une ligne de conduite thérapeutique pour la prévention CV, il conviendrait d’être en adéquation avec les caractéristiques des patients issus des études de sécurité CV. Toutes ces études recrutaient avant tout des patients à haut risque CV plutôt qu’en prévention CV secondaire. Prenons par exemple l’étude LEADER incluant 81,3 % de patients avec une maladie CV établie (« prior CVD ») et 18,7 % sans maladie CV établie. Dans le groupe « prior CVD » figuraient sans distinction des patients sans accident vasculaire clinique préalable (IDM, AVC, ou geste de revascularisation), mais âgés de plus de 50 ans, pour lesquels une scintigraphie myocardique pathologique, une échographie de stress positive, une sténose vasculaire d’au moins 50 % sur les artères coronaires, carotides ou jambières, une insuffisance cardiaque de stade 2 ou 3, ou une insuffisance rénale avec un DFG 60 ml/min avaient été identifiés ; les proportions de patients ayant présenté ou
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