État du traitement de l’obésité en 2024 - Apport des incrétinomimétiques
Bernard BAUDUCEAU(1)*, Jean-Louis SCHLIENGER(2)*, Louis MONNIER(3)*
Après des millénaires de disette et de famine, du moins pour les classes défavorisées, la lutte contre l’obésité est devenue un enjeu mondial. En ce domaine, la conquête de la pierre philosophale n’a pas encore abouti même si la « presse people » et les annonces sur internet proposent régulièrement des solutions miracles. En revanche, les techniques modernes comme la chirurgie bariatrique et les nouvelles classes médicamenteuses permettent d’améliorer la prise en charge des personnes en situation d’obésité, termemaintenant adopté pour parler des obèses, bien que cette sémantique ne change pas grand-chose à ce problème de société.
Fréquence et « poids » de l’obésité en France Selon la dernière étude ObEpiRoche, en France métropolitaine, la prévalence de l’obésité (index de masse corporelle, IMC > 30 kg/m 2) est régulièrement passée de 8,5 % en 1997 à 17 % en 2020 chez les personnes de plus de 18 ans, avec 2 % d’entre elles atteintes d’une obésité morbide (IMC > 40 kg/m 2 ) (1). L’obésité prédomine chez les femmes (17,4 % versus 16,7 % chez les hommes) et le surpoids est plus fréquent dans le nord et l’est de la France. Ces données peu encourageantes le sont encore moins si on considère qu’aux États-Unis, pays à l’avant-garde dans ce triste domaine, la prévalence de l’obésité pourrait avoisiner les 50 % de la population adulte si on continue sur la trajectoire actuelle (2). L’obésité s’accompagne de nombreuses comorbidités : hépatiques, rhumatologiques, apnée du sommeil, certains cancers, états dépressifs, et surtout complications cardio-vasculaires (3). Ces dernières sont favorisées par l’association de l’obésité avec des facteurs de risque comme l’hypertension artérielle, le diabète et les dyslipidémies. Il s’agit donc d’une affection chronique, fréquente et potentiellement grave pour laquelle une prise en charge raisonnée doit être mise en place. Ainsi, l’OMS et d’autres organisations considèrent que les excès pondéraux (surpoids et obésité) sont la cinquième cause de mortalité dans le monde et qu’ils entraînent le décès d’au moins 2,8 millions de personnes chaque année (4). Pratiques fantaisistes ou dangereuses Tout a été dit, écrit et surtout vendu en ce domaine. Parmi ces pratiques, il convient de citer les prescriptions dangereuses : amphétamines, hormones thyroïdiennes, diurétiques et laxatifs. Tous les médicaments destinés à perdre du poids (Sibutral ®, Isoméride ®, Acomplia ®) ont été progressivement retirés du marché. Seul Xénical ®, qui agit en inhibant les lipases intestinales, est encore disponible, mais son efficacité est modeste. Ce vide de la pharmacopée a plus encore développé un déchaînement de la promotion de toutes sortes de mirages destinés à perdre sans effort les kilos superflus allant des gélules d’extrait de choux au vinaigre de cidre, produit actuellement particulièrement en vogue. Naturellement, toutes ces solutions prétendument miraculeuses ne sont efficaces à court terme que pour les chiffres d’affaires de leurs promoteurs. Mesures hygiéno-diététiques Les modifications des apports alimentaires quantitatifs, à condition de maintenir leur diversité (équilibre entre les différents nutriments) et leur palatabilité (en jouant sur les saveurs et les arômes) et de les associer à une activité physique, sont des mesures à la base de toute prise en charge rationnelle des surcharges pondérales (surpoids et obésité) (5,6). Comme l’obésité est une maladie chronique dont l’évolution naturelle se caractérise par une aggravation progressive et par la fréquence des rechutes, ces mesures non médicamenteuses nécessitent d’être raisonnables pour être pérennes. C’est ainsi que les régimes à très faible teneur énergétique (≤ 800 kcal/jour) pendant 8 à 12 semaines permettent une perte de plusieurs kilogrammes tandis que les régimes hypocaloriques classiques (déficit de 500 à 750 kcal/jour par rapport à la dépense énergétique totale) le sont beaucoup moins (perte de 5 kg au bout de quelques semaines) (7,8), ce qui ne constitue pas une grande surprise. Les régimes trop restrictifs exposent à des rebonds ou effets « yoyo » et sont fortement déconseillés chez les personnes âgées en raison du risque de sarcopénie. Les régimes pauvres en glucides ne sont pas plus efficaces que ceux qui sont riches en glucides et faibles en graisse. Les régimes riches en protéines, en acides gras mono-insaturés, de types méditerranéens, végétariens et à faible indice glycémique obtiennent des résultats minimes allant d’une perte de 0,3 à 2 kg. Il en va de même avec la pratique du jeûne intermittent. Le dénominateur commun de toutes les mesures nutritionnelles ciblant l’obésité repose sur un déséquilibre de la balance énergétique afin d’établir un gradient énergétique négatif entre les entrées et les dépenses caloriques (1 er principe de la thermodynamique) (9). Malheureusement, ce gradient s’estompe avec le temps ce qui explique une partie des échecs à moyen ou long terme (8,9), l’autre partie étant liée à une perte d’observance des régimes restrictifs en calories par des personnes qui acceptent mal les contraintes diététiques et qui les suivent de manière plus ou moins laxiste (8). En réalité, seule compte la perte de poids durable et force est de constater qu’après un an les résultats des différentes formules diététiques s’avèrent souvent équivalents. L’activité physique régulière à condition d’être possible et adaptée à la personne (150 à 300 minutes par semaine d’exercice modéré ou 75 à 150 minutes d’exercice plus vigoureux [7]) possède de multiples effets bénéfiques sur la santé. Toutefois, cette stratégie est insuffisante à elle seule pour perdre du poids et doit nécessairement être associée à des mesures diététiques. En revanche, son importance est cruciale pour le maintien de la perte de poids. Les modifications du mode de vie permettent d’obtenir une perte de quelques kilos au bout d’un an, ce qui est suffisant pour réduire significativement le risque cardio-métabolique, mais qui reste décevant pour la plupart des personnes en quête de minceur. Chirurgie bariatrique La chirurgie bariatrique connaît un succès remarquable. Si la technique des anneaux gastrique est moins utilisée, la gastrectomie en manchon (« sleeve ») est de plus en plus pratiquée en France tandis que le « by-pass » gastrique obtient les meilleurs résultats. L’étude SOS, qui fait référence, enregistre une perte de poids moyenne de 27,5 kg à 2 ans et de 22,7 kg à 10 ans dans le groupe chirurgie versus respectivement 3,2 kg et 4,8 kg chez les patients du groupe traité conventionnellement (10). La perte de poids s’est stabilisée en dessous de 25 % du poids initial dans le groupe by-pass, de 16 % dans celui de la gastroplastie et de 14 % chez les patients ayant reçu un anneau gastrique. Cet effet pondéral remarquable est associé à une diminution de la mortalité globale et d’origine cardio-vasculaire, à une rémission du diabète et à une amélioration de la qualité de vie. Ces résultats très favorables ont été confirmés par 20 ans de suivi dans l’étude SOS et par d’autres études (11,12). Les indications sont actuellement réservées aux personnes dont l’IMC dépasse 40 kg/m 2 ou 35 kg/m 2 en cas de comorbidité associée. Cependant, la chirurgie bariatrique n’est pas un traitement anodin de l’obésité. Certes, la mortalité péri-opératoire a beaucoup diminué dans les centres experts, mais elle constitue un acte irréversible en dehors de la pose d’anneau ou de ballon intragastrique. Cet acte nécessite un suivi à long terme qui n’est pas toujours facile à obtenir des malades et la prise de vitamines pour éviter des carences qui peuvent être graves. Enfin, les conséquences sociales ne doivent pas être sous-estimées, car cette chirurgie modifie considérablement les habitudes alimentaires. Incrétinomimétiques (agonistes des récepteurs aux incrétines) Effet pondéral des agonistes des récepteurs du GLP-1 (AR GLP-1) Cette classe médicamenteuse, administrée par voie injectable, est particulièrement intéressante pour contrôler la glycémie des personnes diabétiques de type 2. En effet, ces molécules stimulent la sécrétion d’insuline et diminuent celle du glucagon en fonction du niveau de la glycémie évitant ainsi des accidents hypoglycémiques (13). Les AR GLP-1 ralentissent la vidange gastrique créant une sensation de satiété et exercent une action centrale en diminuant l’appétit. Ces deux mécanismes expliquent la limitation de la prise alimentaire et la perte de poids qui en résulte. Cependant, il existe des différences entre les personnes avec notamment des sujets non répondeurs. Liraglutide L’étude LEADER est la première étude de grande ampleur publiée avec cette classe médicamenteuse (14). Le liraglutide (Victoza ®) à la dose maximale de 1,8 mg par jour a obtenu, outre ses effets favorables sur la glycémie, une perte de 2,3 kg dans le groupe traité. La forme plus dosée à 3 mg par jour du liraglutide (Saxenda ®) enregistre une perte de poids de 6 à 8 kg dans les différentes études SCALE. Sémaglutide et dulaglutide Les résultats intéressants obtenus avec le liraglutide ont également été observés avec les formulations hebdomadaires d’AR GLP-1. C’est ainsi que le dulaglutide (Trulicity ®) à la dose de 1,5 mg par semaine alors que la dose maximale est de 4,5 mg, enregistre une perte de poids de 1,3 à 3 kg dans les différentes études AWARD (15). La forme hebdomadaire du sémaglutide (Ozempic ®) à la dose de 1 mg permet d’obtenir une perte moyenne de poids de 4,5 kg à 6,5 kg dans les différentes études SUSTAIN. Ces résultats ont conduit à une inflation considérable de la prescription et même à un mésusage de ce médicament dont les indications ont été modifiées pour passer du traitement du diabète de type 2 à celui de l’obésité, notamment aux États-Unis et en Australie. Ce fait explique les difficultés d’approvisionnement et les ruptures de stock qui limitent l’accès de ces molécules aux nouveaux patients diabétiques qui pourraient en bénéficier. La forme hebdomadaire du sémaglutide dosée à 2,4 mg (Wegovy ®) est plus spécifiquement destinée au traitement de l’obésité. L’étude SELECT a permis de réduire de 20 % les événements cardiovasculaires chez des patients obèses ou en surpoids, mais sans diabète avec un antécédent de maladie cardio-vasculaire tandis qu’une perte de poids de 9,4 % était notée versus 0,9 % avec le placebo. Enfin, le sémaglutide oral (Rybelsus ®) est disponible en particulier en Belgique. Il se présente aux doses de 3, 7 et 14 mg et nécessite d’être pris strictement à jeun. Dans l’étude Pionner 1 à la dose de 14 mg, une diminution de l’HbA 1c de 1,1 % et du poids de 2,6 kg versus placebo a
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