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L’hypertension artérielle : ce qui a changé en 20 ans
X. GIRERD, hôpital de la Pitié, Paris

Mme L., âgée de 70 ans, est veuve depuis 3 mois : son mari est décédé des suites d’un infarctus du myocarde inaugural compliqué d’une défaillance ventriculaire fatale.
Une pression artérielle à 170/90 mmHg diagnostiquée en 1984 Mme L., âgée de 70 ans, est veuve depuis 3 mois : son mari est décédé des suites d’un infarctus du myocarde inaugural compliqué d’une défaillance ventriculaire fatale. Elle doit quitter sa maison qui est devenue trop grande et consulte, car elle se trouve fatiguée et s’essouffle à l’effort. Chez cette fumeuse (20 cigarettes/jour depuis 40 ans), l’examen clinique ne retrouve aucun signe de décompensation cardiaque, l’ECG de repos ainsi que la radiographie du thorax sont normaux. La pression artérielle est à 170/90 mmHg. Ses traitements actuels sont un vasodilatateur cérébral et un anxiolytique prescrit depuis le décès de son époux. Ce que je faisais en février 1984 devant cette histoire Pour un jeune médecin travaillant au centre de diagnostic de l’hôpital Broussais, dans une nouvelle structure appelée « hôpital de jour » dirigée par le Pr Michel Safar, le vade mecum pour la prise en charge de l’HTA était la récente monographie de la Revue du Praticien, sur l’hypertension artérielle essentielle coordonnée par le Pr Paul Milliez, et dans laquelle on pouvait lire, entre autres : « Chez le vieillard, l’hypertension artérielle est le plus souvent de type systolique et les thérapeutiques sont lourdes à supporter par le malade et difficilement prescrites par le médecin. » Après le bilan rassurant effectué chez Mme L., aucune prise en charge de l’élévation tensionnelle n’aurait été envisagée, car les données de la science étaient en faveur de l’absence d’indication de traitement. Une définition de l’HTA uniquement basée sur la PAD Le bilan ayant éliminé une pathologie cardiaque pouvant conduire à une prise en charge spécifique, l’observation d’une élévation de la systolique chez un sujet âgé correspondait parfaitement aux données enseignées sur la valeur normale de la PAS avec l’âge : « À 50 ans : 150 mmHg, à 60 ans 160 mmHg, à 70 ans : 170 mmHg… ». La définition de l’HTA ne faisait d’ailleurs référence qu’à la valeur de la PAD et, selon les recommandations nord-américaines du JNC II publiées en 1980, l’HTA était définie comme « légère » pour une PAD entre 90 et 104 mmHg, comme « modérée » pour une PAD entre 105 et 109 mmHg et comme « sévère » pour une PAD > 110 mmHg. Aucune décision de traitement ne se basait sur la seule valeur de la PAS. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1984 que la publication du JNC III allait introduire la définition de l’hypertension systolique isolée lorsqu’un sujet présentait une PAS > 160 mmHg et une PAD 90 mmHg. Ainsi, en février 1984, Mme L. avait toutes les chances de ne rien se voir proposer de particulier pour la prise en charge de cette pression artérielle à 170/ 90 mmHg observée au décours du décès de son époux. Les traitements médicamenteux de l’HTA en 1984 Si d’aventure un médecin « avant-gardiste » avait pris la décision de débuter un traitement antihypertenseur, quel médicament aurait-il choisi ? Diurétiques thiazidiques. La prescription était dominée par les diurétiques thiazidiques à des doses considérées aujourd’hui comme fortes, car ayant un équivalent de 50 à 100 mg d’hydrochlorothiazide. Pour lutter contre l’hypokaliémie fréquemment observée à ces doses, le médicament diurétique était une « association à dose fixe » comportant le diurétique et un épargneur de potassium comme l’amiloride, le triamtérène ou la spironolactone. Ces stars de l’ordonnance avait comme noms : Moduretic ®, Cycloteriam ®, Aldactazine ®, Hygroton ®. Bêtabloquants. Mais les médicaments à la mode n’étaient déjà plus les diurétiques, mais les bêtabloquants. Toutes les justifications scientifiques étaient en faveur de cette classe. Les données expérimentales montrant que l’HTA était la conséquence d’une hyperactivité du système nerveux, en particulier sympathique, la logique s’imposait pour proposer un blocage spécifique des récepteurs bêta-adrénergiques. Pour éviter les effets indésirables d’une action pharmacologique sans nuance, il était justifié de choisir un bêtabloquant cardiosélectif, évitant le risque de bronchospasme (chez l’animal du moins), ou un bêtabloquant avec une activité sympathomimétique intrinsèque, possédant une action vasodilatatrice (pouvant expliquer pourquoi ces médicaments font baisser la pression artérielle) ou un bêtabloquant ayant un effet alphabloquant associé (avec alors un effet bêtabloquant modeste). Antidépresseurs centraux. Mais les diurétiques et les bêtabloquants ne résumaient pas la prescription de tous les hypertendus, et de nombreux patients se voyaient proposer des antihypertenseurs centraux. Médicaments révolutionnaires dans les années 1970 pour leur efficacité, Aldomet ® et Catapressan ® avaient comme inconvénient une tolérance moyenne à dose usuelle, voire médiocre à forte dose. Médicaments miracles pour une génération de médecins, faciles d’utilisation car ne nécessitant aucun avis spécialisé (à l’instar des bêtabloquants considérés comme le médicament des cardiologues, car un ECG était nécessaire avant leur prescription), ni aucune surveillance biologique (comme les diurétiques), les antihypertenseurs centraux à petite dose constituaient ainsi la prescription sans risque et sans histoire, en particulier chez les hypertendus âgés. Inhibiteurs calciques. Mais en ce milieu des années 80, c’est vers de nouvelles classes d’antihypertenseurs que les thérapeutes dirigeaient leur intérêt. L’arrivée récente des antagonistes calciques, en particulier de la nifédipine, ouvrait de nouvelles perspectives thérapeutiques dans le traitement des hypertendus au long cours, mais surtout celui de la poussée hypertensive. La gélule orange qu’il fallait percer avant de libérer son contenu sous la langue devenait le traitement « miraculeux » et de référence face à toutes les élévations tensionnelles. IEC. L’autre nouveauté était le captopril, qui appartenait à une nouvelle famille pharmacologique : les inhibiteurs de l’enzyme de conversion. Ce médicament était réservé à des patients ayant une HTA sévère. Aux doses préconisées de 150 à 300 mg par jour avec 3 prises par jours, l’efficacité hypotensive était remarquable, mais le risque d’intolérance de ce nouveau médicament imposait une surveillance précise. Les principaux soucis étaient l’élévation de la créatinine, la survenue d’une protéinurie, mais aussi des troubles plus atypiques comme une agueusie ou, plus graves, une neutropénie qui survenait chez les patients ayant une HTA secondaire à une collagénose. En pratique, l’utilisation du captopril restait encore restreinte à certains patients bien sélectionnés. L’absence de preuve d’un bénéfice du traitement de l’hypertendu âgé À la date de février 1984, la publication des études de morbi-mortalité qui indiquent le bénéfice du traitement antihypertenseur par comparaison au placebo se limitait aux essais de la Veterans’ Administration réalisés dans l’HTA sévère, publiés en 1970, et à la toute récente publication de l’essai ANBP1 dans l’HTA légère chez des sujets de la cinquantaine, dont les résultats seront confirmés par l’étude MRC publiée en 1985. Dans l’HTA des sujets âgés de plus de 60 ans, l’étude EWPHE, ayant inclus des patients avec une HTA systolo-diastolique, ne sera publiée qu’en 1985, et l’étude SHEP, ayant inclus des patients avec une HTA uniquement systolique (le cas de Mme L.), ne sera publiée qu’en 1991. Une pression artérielle à 170/90 mmHg diagnostiquée en 2004 Mme L., âgée de 70 ans, s’occupe de son mari qui sort d’une hospitalisation pour un infarctus du myocarde inaugural dilaté à la phase aiguë. Elle consulte, car elle se trouve fatiguée et s’essouffle à l’effort. Chez cette ancienne fumeuse (20 cigarettes/jour pendant 35 ans), l’examen clinique ne retrouve aucun signe de décompensation cardiaque, l’ECG de repos est normal. Une échographie cardiaque note une insuffisance mitrale minime, une dilatation débutante de l’OG et un trouble de la relaxation ventriculaire gauche. La pression artérielle est à 170/90 mmHg. Ses traitements actuels sont une statine prescrite depuis 5 ans et un antidépresseur prescrit depuis 2 ans. Ce que je fais en février 2004 devant cette histoire Ce sont les nombreux essais réalisés et publiés depuis 20 ans, chez des sujets hypertendus âgés de plus de 60 ans qui ont fait changer ma pratique médicale concernant la prise en charge d’une patiente comme Mme L. Les résultats de deux décennies d’essais thérapeutiques Cinq familles pharmacologiques ont démontré, dans des essais de morbi-mortalité, un rôle de prévention des complications cardio-vasculaires de l’hypertendu. Ce sont les diurétiques, les bêtabloquants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les antagonistes calciques et les antagonistes récepteurs de l’angiotensine II. Ce bénéfice paraît essentiellement associé à la baisse tensionnelle induite par le traitement. De nombreuses études ont cherché à comparer, pour une même baisse tensionnelle, les actions des différentes familles pharmacologiques sur la prévention des complications cardio-vasculaires de l’hypertendu. Ce sont les métaanalyses qui ont permis de trouver des différences statistiquement significatives entre les différentes classes pharmacologiques. À partir de ces analyses, il est aujourd’hui admis que : - les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II, dans une métaanalyse incluant quatre essais thérapeutiques (réalisés avec trois médicaments ARA II différents), montrent un bénéfice spécifique pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux par comparaison à un traitement de référence ; - les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II, dans une métaanalyse incluant trois essais thérapeutiques, montrent un bénéfice spécifique pour la prévention des épisodes d’insuffisance cardiaque par comparaison à un traitement de référence ; - les antagonistes calciques, dans une métaanalyse incluant neuf essais thérapeutiques, montrent un bénéfice spécifique pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux par comparaison aux traitements diurétiques
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