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Comment estimer la fonction rénale chez le sujet âgé ?
J. POURRAT, CHU de Toulouse

Le débit de filtration glomérulaire se réduit progressivement au cours du vieillissement, de manière variable d’un sujet à l’autre. Il est donc nécessaire de mesurer ou d’estimer la fonction rénale chez chaque sujet âgé, notamment avant les prescriptions médicamenteuses. En pratique, la formule de Cockcroft et Gault reste aujourd’hui la méthode conseillée, mais il faut connaître ses limites.
La réponse à la question générale « Comment estimer la fonction rénale ? » a été donnée par un consensus d’experts de l’ANAES. (recommandations 2002) : il faut, à partir d’un dosage de créatininémie, utiliser la formule de Cockcroft et Gault pour en déduire une estimation de la clairance de la créatinine, rapporter le résultat à la surface corporelle, et le comparer à une échelle définissant les stades de l’insuffisance rénale chronique. Cependant, le texte qui accompagne les recommandations indique aussi que cette approche n’est pas complètement validée chez les sujets > 75 ans, et invite à prendre des précautions dans son utilisation. C’est chez les patients âgés que l’estimation du débit de filtration glomérulaire (DFG) apparaît particulièrement importante, que ce soit pour le diagnostic d’une néphropathie, pour la prescription de médicaments nécessités par une pathologie intercurrente, ou encore parce qu’on sait maintenant que l’insuffisance rénale chronique (même légère), est un facteur de risque cardiovasculaire majeur et indépendant des facteurs de risque traditionnels (AS Go, 2004). Le but de ce travail est de décrire, à la lumière de travaux récents ce que peuvent être ces « précautions » à prendre dans l’utilisation des méthodes d’estimation de la fonction rénale, chez le sujet âgé. Filtration glomérulaire et vieillissement La réduction progressive de la filtration glomérulaire au cours du vieillissement est maintenant bien documentée : le DFG a été mesuré par des méthodes de référence (clairance de l’inuline, ou clairance isotopique) dans des populations indemnes de pathologie rénale et d’âge varié. La valeur normale est, chez l’adulte jeune, de 120 ± 20 ml/ min pour une surface corporelle de 1,73 m2. K. Hoang (2004) a montré que le DFG était en moyenne inférieur de 22 % chez des donneurs de rein potentiels > 55 ans, comparés à ceux de moins de 40 ans. NVD Noortgate (2003) a mesuré un DFG à 50 ± 23 ml/min dans un groupe d’âge moyen 85 ± 5 ans. I. Fehrman-Ekholm (2004) a montré que, chez des sujets âgés > 70 ans, le DFG était en moyenne de 67,7 ± 10,8 ml/ min/1,73 m 2, et que le déclin annuel du DFG après 70 ans était de – 1,05 ml/min/an. Chez 154 sujets > 80 ans, hospitalisés en gériatrie, E. Rimon (2004) a mesuré des clairances de la créatininine à 45,1 ml/min/1,73 m 2 en moyenne, et la décroissance en fonction de l’âge était de – 1,1 ml/min/1,73 m 2. Ces résultats récents confirment des études beaucoup plus anciennes (Wesson, 1969), et permettent de conclure que le vieillissement physiologique s’accompagne, à partir de l’âge de 40 ans, d’une réduction du DFG qui est en moyenne de – 1 ml/min/an. Cependant, les écarts interindividuels peuvent être importants : au-delà de 75 ans, c’est 40 % des sujets qui avaient un DFG estimé inférieur à 60 ml/min/1,73 m 2 dans l’étude de A.-X. Garg (2005), mais il y a aussi des sujets qui gardent un DFG normal jusqu’à des âges beaucoup plus avancés. Filtration glomérulaire et clairance de la créatinine La créatinine a été choisie comme marqueur de filtration glomérulaire en raison de ses caractéristiques : – production endogène stable dans le temps, – élimination urinaire exclusive, – neutralité de la retouche tubulaire, avec une sécrétion équivalente à sa réabsorption, – simplicité des dosages sanguins et urinaires. Mais il y a des circonstances où la clairance de la créatinine, telle qu’elle peut être calculée à partir de la mesure de la créatinine dans le sang et dans l’urine, n’est plus un bon reflet de la filtration glomérulaire : – lorsque le patient reçoit certains médicaments qui modifient la sécrétion tubulaire : antibiotiques du groupe des céphalosporines, bactrim, clofibrate, cimétidine, barbituriques, L-dopa ; – dans les insuffisances rénales chroniques avancées, où la créatinine est aussi éliminée par sécrétion tubulaire. La clairance est alors supérieure au DFG, la différence pouvant dépasser 20 %. Dans tous les cas, la mesure de la clairance de la créatinine est soumise à de fréquentes causes d’erreurs, surtout liées aux difficultés pratiques du recueil d’urines élaborées pendant une durée donnée (résidus post-mictionnels, pertes d’urines). La formule de Cockroft et Gault Proposée en 1976, elle repose sur les principes suivants : – à l’équilibre (créatininémie stable), l’élimination urinaire de créatinine est égale à sa production ; – la production de créatinine est proportionnelle à la masse musculaire ; – la masse musculaire peut être estimée pour un sujet donné, connaissant son sexe, son âge et son poids ; – dans le calcul de la clairance, la créatininurie peut donc être remplacée par une expression mathématique utilisant l’âge, le sexe et le poids. La formule utilisée est : • chez l’homme : - clairance de la créatinine estimée = (140 – âge) x poids ––––––––––– 72 x S Cr (poids en kilos et S Cr, créatinine sérique en mg/dl) • chez la femme, le résultat doit être multiplié par 0,85. Cette formule ne doit pas être utilisée en cas de variation rapide de la créatininémie (insuffisance rénale aiguë en cours de constitution ou de récupération). La précision du dosage de créatinine dans le sang intervient de manière déterminante dans le résultat de l’estimation. Des travaux récents ont souligné les difficultés liées à la calibration des méthodes de dosage, notamment pour les valeurs basses de créatininémie, qui sont fréquentes chez le sujet âgé. Des écarts de l’ordre de 14 % entre diverses méthodes de dosage ont été notés dans une population de sujets âgés (E.-J. Lamb, 2005). Chez l’insuffisant rénal, la formule de Cockcroft sous-estime la clairance de la créatinine par rapport aux valeurs mesurées. C’est justement dans ces cas que la clairance peut être supérieure au DFG, du fait de la sécrétion tubulaire de créatinine. Il en résulte que la formule de Cockcroft peut donner une valeur plus proche du DFG réel que la clairance mesurée. Estimation du DFG par la formule de Cockroft et Gault Les performances de la formule de Cockcroft et Gault dans l’estimation du DFG ont été directement étudiées dans plusieurs études incluant des sujets âgés, avec des niveaux variables de fonction rénale : selon I. Fehrman-Ekholm (2004), l’estimation chez les sujets > 70 ans est de 20 à 25 % inférieure au DFG mesuré par la clairance du iohexol. Selon M. Froissart (2005), l’estimation diffère, en moyenne, du DFG mesuré par méthode isotopique, de – 5 ml/ min chez les hommes > 65 ans, et de – 3 ml/min chez les femmes > 65 ans. La précision, représentée par la déviation standard de la différence est de 7 à 12 ml/min/1,73 m 2 selon le sexe et le niveau de DFG, chez les sujets > 65 ans. Selon E.D. Poggio (2005), la formule de Cockcroft sous-estime le DFG, d’autant plus que l’âge avance : la réduction mesurée de DFG avec l’âge a été la moitié de celle qui se déduisait de l’estimation selon Cockcroft. Au total, les performances de la formule de Cockcroft pour classifier les patients dans l’échelle des fonctions rénales, apparaissent limitées chez les sujets âgés : globalement, les deux tiers des patients sont correctement classés selon l’échelle des DFG > 60, 30-60, 15-30 et 15 ml/ min/1,73 m 2. Cependant, les erreurs individuelles peuvent être importantes : par exemple, chez un patient pour lequel le DFG est estimé à 60 ml/min, l’intervalle de confiance doit être élargi : la valeur réelle sera comprise entre 40 et 90 ml/min dans 95 % des cas. Alternatives et compléments à la formule de Cockroft et Gault De nombreuses méthodes permettant d’estimer le débit de filtration glomérulaire, à partir de dosages sanguins, ont été proposées : d’autres méthodes utilisant la créatininémie, mais avec une formule différente de celle de Cockcroft et Gault. L’une doit être indiquée, car elle est déjà utilisée dans de nombreux travaux : – la formule dite « MDRD simplifiée », qui a été déduite des mesures effectuées au cours d’une étude interventionnelle de grande ampleur, la « Modification of Diet in Renal Diseases ». Cette formule a l’avantage de n’utiliser que la créatininémie et l’âge (avec un facteur correctif pour les patients de race noire), et de fournir un résultat qui est normalisé pour une surface corporelle de 1,73 m 2. La formule MDRD simplifiée est : DFG estimé = 186,3 x SCr - 1,154 x âge - 0,203 ml/min/1,73 m 2 où SCr est la créatininémie en mg/dl et l’âge en années, avec un facteur de correction de 0,742 pour le sexe féminin, et de 1,212 pour la race noire. Ses performances pourraient être supérieures à celles de la formule de Cockcroft, en particulier dans le groupe des sujets âgés > 65 ans. Les dosages de cystatine C. Cette petite protéine, produite par toutes les cellules de l’organisme, à un taux constant est exclusivement éliminée par filtration glomérulaire. Son taux sanguin est donc un reflet du DFG. Quelques travaux (A. Grubb, 2005) indiquent que les estimations de DFG qui s’en déduisent pourraient être plus fiables que celles de la formule de Cockcroft et Gault ou de la MDRD, en particulier chez le sujet âgé (R. Hojs, 2004). Cependant, les études ne sont pas unanimes, et ces dosages ne sont pas pour l’instant disponibles en routine. Il y a aussi d’autres mesures indépendantes, qui peuvent contribuer à l’interprétation d’un DFG estimé : - le dosage d’urée sanguine. Il a été historiquement le point de départ du concept d’insuffisance rénale chronique (urémie) et la corrélation entre son taux et le DFG est retrouvée dans des travaux récents (J. Fehrman-Ekholm, 2004) : chez 52 patients de plus de 70 ans, une urée sanguine 5,5 mmol/l excluait formellement la possibilité d’un DFG 60 ml/min ; - la mesure échographique de la taille des reins : le processus de vieillissement entraîne une atrophie rénale progressive en même temps que la décroissance de la filtration glomérulaire. La corrélation entre ces deux phénomènes a été documentée par N. Van Den Noortgate (2003) : une taille de reins > 100,8 mm y exclut la possibilité d’un DFG 60 ml/min ; - enfin, l’insuffisance rénale
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