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Cardiologie générale

Publié le  Lecture 10 mins

Désensibilisation rapide : une procédure pour faire face à l'allergie à l'aspirine chez les coronariens

S. SILBERMAN, C. NEUKIRCH-STOOP et P.-G. STEG, hôpital Bichat, Paris

L’acide acétylsalicylique, aspirine, a largement prouvé son efficacité en prévention primaire et secondaire de la maladie artérielle, mais aussi dans la prise en charge initiale d’un syndrome coronarien aigu.
Au décours d’un syndrome coronarien aigu, l’association aspirine-clopidogrel permet une réduction du risque d’événement récurrent. Enfin, chez les patients ayant bénéficié d’une endoprothèse, l’association aspirine-clopidogrel est impérative pour minimiser le risque de thrombose subaiguë de stent.
Malgré ces bénéfices établis, un certain nombre de patients ne reçoivent pas d’aspirine en raison d’antécédents d’allergie à l’aspirine (ASA) ou aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Dans d’autres cas, des symptômes d’intolérance d’allure allergique apparaissent au décours de la mise en route du traitement, en particulier après une pose de stent ; l’interruption de l’aspirine expose alors le patient au risque de thrombose aiguë de stent, potentiellement catastrophique.

Protocole de désensibilisation Nous avons mis au point un protocole de désensibilisation rapide à l’aspirine qui a permis de réintroduire avec succès l’aspirine en quelques heures chez 17 des 18 patients de notre série, avec un recul satisfaisant allant jusqu’à 3 ans. Chez les patients ayant des antécédents ou une suspicion d’hypersensibilité à l’aspirine et ayant une indication cardiologique formelle, une telle procédure peut permettre la réintroduction de l’aspirine en quelques heures et le maintien d’un traitement prolongé, sous réserve d’une sélection des indications, et d’une surveillance stricte pendant la désensibilisation et au décours immédiat. Les propriétés antiplaquettaires de l’aspirine ont fait de cette molécule la pierre angulaire tant du traitement du syndrome coronarien aigu que de la prévention primaire et secondaire. Son action sur la plaquette consiste en une inhibition de l’agrégation en agissant sur la prostaglandine H synthétase, par un blocage de son activité cyclooxygénase (COX-1, constitutive) impliquée dans la formation de thromboxane A2, puissant agent vasoconstricteur et proagrégant. De très faibles doses (moins de 100 mg) entraînent, en 2 à 3 jours, une inhibition à 95 % de l’activité COX-1. Le bénéfice clinique du traitement par aspirine est bien établi dans la maladie coronaire dans toutes ses formes. En outre, les études récentes ont démontré l’effet synergique de l’association antiagrégante aspirine–thiénopyridine. En dépit de cette accumulation de preuves rendant quasi « impératif » l’emploi de cette molécule chez tout patient coronarien, un certain nombre d’entre eux se voient refuser ce traitement en raison d’un antécédent d’intolérance à l’aspirine ou aux AINS. D’autres se voient dans l’obligation d’interrompre ce traitement, en raison de l’apparition de manifestations suspectes d’intolérance (notamment respiratoires ou cutanées) après qu’un stent ait été mis en place. Cette éviction, les protégeant des manifestations « allergiques », comporte cependant un risque vital potentiel lié au risque, alors élevé, de thrombose subaiguë de stent, surtout lorsque l’interruption du traitement se produit dans le premier mois suivant la procédure d’angioplastie. Ce problème est encore plus délicat chez les patients porteurs de stents « actifs » enrobés de médicaments, chez lesquels il semble bien qu’un traitement antithrombotique particulièrement prolongé soit utile pour éviter des thromboses tardives de stent. Cela nous a amenés à évaluer une procédure de désensibilisation rapide, afin de permettre la réintroduction de l’aspirine chez les coronariens suspects d’hypersensibilité à l’aspirine. Mécanismes Hypersensibilité aux AINS et à l’aspirine Bien que les signes apparaissent rapidement dans les quelques heures suivant la prise d’aspirine, il semble que la plupart des manifestations cliniques d’hypersensibilité n’aient pas un mécanisme d’ordre immunologique (impliquant les immunoglobulines IgE de la réaction immédiate) mais plutôt un mécanisme pharmacodynamique. L’inhibition spécifique de la cyclooxygénase 1 (COX-1) par l’aspirine est responsable d’une déviation du métabolisme des eicosanoïdes en faveur de la voie de la 5 lipo-oxygénase et donc d’une synthèse accrue de leucotriènes (LTC4, LTD4 et LTE4), puissants bronchoconstricteurs. Cela explique que des manifestations d’hypersensibilité puissent être observées chez un même patient en réaction à différents AINS, de natures chimiques différentes, puisque c’est l’inhibition de la COX-1 qui est responsable des manifestations cliniques. Ainsi, il existe une corrélation entre la puissance inhibitrice de la COX-1 et la capacité à provoquer une crise, même à petite dose. De même, les AINS inhibiteurs spécifiques de la COX-2 inductible (rofécoxib et célécoxib) semblent bien tolérés par les sujets asthmatiques présentant une hypersensibilité à l’aspirine (HSA). Symptômes Les symptômes d’HSA apparaissent chez l’adulte vers 30-40 ans avec une certaine prédominance féminine. Les réactions sont pour la plupart dose-dépendantes et suivent la prise d’ASA de quelques heures (de 30 à 180 minutes parfois jusqu’à 5 heures), délai écourté s’il s’agit d’une administration parentérale. Les manifestations peuvent être respiratoires et nasales avec des épisodes de sinusite récurrente suivie de l’apparition d’un asthme rapidement sévère et corticodépendant, dont les crises sont déclenchées par la prise d’ASA ou d’AINS chez des patients qui toléraient antérieurement ces molécules. L’association polypose nasale, asthme sévère et HSA, a été décrite pour la première fois par F. Widal en 1922, lequel a laissé son nom à cette triade. Les manifestations peuvent également être cutanées : prurit, urticaire, angiœdème, de forme localisée ou généralisée. L’HSA peut venir compliquer une urticaire chronique. Il existe une forme particulière : l’angiœdème isolé (sans urticaire ni bronchospasme), localisé, périorbitaire ou buccal. On rencontre parfois d’autres formes dermatologiques rares : eczéma de contact, photodermatoses... Dans d’autres cas, les manifestations sont générales : choc anaphylactoïde, atteintes immunoallergiques hépatiques, hématologiques ou rénales, etc., dont certaines peuvent menacer le pronostic vital. Diagnostic Le diagnostic se fait sur l’anamnèse de telles manifestations ; les tests cutanés ne sont pas effectués, le mécanisme allergique n’étant pas médié par les IgE. Il n’existe pas de test biologique spécifique standardisé en pratique courante pour le diagnostic d’HSA. Des tests de provocation, par voie orale, nasale ou inhalée bronchique sont parfois utilisés pour conforter le diagnostic, mais ils sont longs et dangereux. Ces tests ne sont pas adaptés à un contexte de soins intensifs. Protocole d’accoutumance rapide à l’aspirine Plusieurs études d’allergologie ont montré qu’il est possible, lorsqu’il existe une indication thérapeutique formelle, d’induire, sous stricte surveillance, un état de tolérance à un médicament jusque-là responsable de manifestations allergiques, et de le soutenir par l’accoutumance en réalisant un protocole de désensibilisation. Des protocoles antérieurs parvenaient à induire cet état de tolérance au terme d’une procédure s’étendant sur au moins une journée. Nous avons décidé d’adapter ces techniques d’accoutumance aux exigences de rapidité imposées par la pathologie coronaire (en dehors de l’infarctus avec sus-décalage du segment ST). Indication Le protocole est indiqué pour tout patient présentant une HSA et ayant une indication de traitement antiagrégant plaquettaire par aspirine pour syndrome coronarien aigu (en dehors du SCA avec sus-décalage du segment ST, auquel cas, la désensibilisation sera à envisager après obtention d’une stabilité coronaire et hémodynamique), angioplastie envisagée, insuffisance coronarienne chronique traitée médicalement ainsi que les indications du traitement antiagrégant plaquettaire au long cours sans accès possible aux thiénopyridines. Tous les patients sont vus par l’allergologue avant la réalisation de la procédure (tableau 1). Procédure - La procédure de désensibilisation est réalisée aux soins intensifs de cardiologie sous stricte surveillance chez un patient scopé et perfusé sous la responsabilité du cardiologue et de l’allergologue, le patient ayant été dûment informé des bénéfices et risques de la procédure. Le principe de cette accoutumance est l’administration à intervalles de temps réguliers (toutes les 30 minutes) de doses progressivement croissantes (d’un facteur 2 à 10) d’aspirine jusqu’à la dose thérapeutique cible. La voie d’administration choisie est la voie orale, correspondant à l’utilisation ultérieure du médicament, au moyen de gélules conditionnées par la pharmacie de l’hôpital pour la procédure de 5 et 20 mg d’aspirine (tableau 2). L’accoutumance peut être obtenue après administration de 5 gélules, soit en 2 heures (tableau 3). Le lendemain matin, les patients reçoivent une dose d’entretien de 75 mg, qui sera la dose chronique, et qui se situe dans la zone d’efficacité optimale de l’aspirine. Chaque palier ne peut être atteint qu’en l’absence totale de manifestation d’hypersensibilité ; la surveillance portera sur les constantes (fréquence cardiaque, fréquence respiratoire, saturation en oxygène, pression artérielle, débit expiratoire de pointe [peak flow]) ainsi que sur l’auscultation pulmonaire et l’inspection cutanée rigoureuse. La survenue de tout signe d’intolérance (cutanée, respiratoire ou hémodynamique) implique l’interruption immédiate de la procédure et la prise en charge thérapeutique adaptée à la gravité des manifestations d’hypersensibilité ; une nouvelle désensibilisation pourra éventuellement être reconduite avec l’accord de l’allergologue responsable. La prémédication par antihistaminiques et corticoïdes n’est pas recommandée car elle peut masquer les éventuels symptômes d’intolérance ; les éventuels traitements antihistaminiques devront être interrompus au mieux 4 à 5 jours au préalable et les bronchodilatateurs la veille. Cela implique que la procédure chez le patient asthmatique soit réalisée dans des conditions de parfait équilibre afin que le sevrage en bronchodilatateurs ne perturbe pas l’accoutumance. De plus, les bêtabloquants doivent être arrêtés au moins 24 heures avant la procédure en raison des interactions possibles avec le traitement par adrénaline nécessaire en cas de choc anaphylactoïde, ce qui implique que cette procédure soit réalisée de préférence chez des patients suffisamment stables pour pouvoir tolérer un sevrage bref en bêtabloquants. Une fois institué, le traitement par aspirine ne pourra être interrompu sous peine de recouvrer la sensibilité antérieure en quelques jours : il s’agit d’une accoutumance et non d’une immunothérapie spécifique. Si l’administration d’aspirine devait être interrompue pour des raisons médicales (intervention chirurgicale intercurrente, soins dentaires importants, etc.), il faudrait alors

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