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Est-ce un Takotsubo ?
G. LAIRY, centre hospitalier francilien Gilles de Corbeil, Corbeil-Essonnes

Nous rapportons une observation qui a débuté en 1996 chez une femme de 70 ans, hospitalisée pour infarctus et insuffisance cardiaque.
On retrouve également une dyskinésie apicale et la coronarographie est normale. L’évolution est en faveur d’un Takotsubo, même si aucun stress intense n’a initié la symptomatologie.
Le cas de Mme S. Alors qu’elle marchait normalement, sans port de charge, Mme S., 70 ans, a ressenti, sans aucun prodrome, une douleur thoracique précordiale, sous-mammaire, sans irradiation. Cette douleur sourde ne l’a pas alertée et n’a pas régressé malgré la prise d’un antalgique banal. Secondairement, des nausées sont apparues ainsi qu’une fièvre à 38 °C, le lendemain matin. Mme S. a alors décidé de faire appel à son médecin traitant qui a alerté le SAMU. La prise en charge s’est faite 22 h 30 après le début de la douleur. La patiente était consciente et souffrait toujours, la PA était à 116/80 mmHg et tous les pouls périphériques étaient perçus. Il existait des râles crépitants aux deux bases pulmonaires. L’électrocardiogramme (figure 1) était en rythme sinusal à la fréquence de 100 par minute, sans troubles de la conduction mais avec des ondes R « rabotées » en V1 et V2. Il existait un courant de lésion sous-épicardique en antéroseptal et des ondes T négatives dans le territoire apicolatéral ; l’espace QT était mesuré à 0,44 seconde (QT théorique = 0,31). À l’arrivée en USIC, l’échocardiogramme confirmait le diagnostic d’infarctus avec une akinésie antéro-septo-apicale et latérale haute. Il existait une hyperkinésie inféro-latéro-basale. Il n’y avait aucune valvulopathie ni épanchement péricardique. Figure 1. ECG à l’entrée évoquant diagnostic d’IDM antéro-septal. La radiographie thoracique montrait une surcharge vasculaire bilatérale avec un aspect flou des vaisseaux aux hiles. La biologie apportait des éléments supplémentaires au diagnostic avec des créatine-kinases à 384 UI/l (N 215), CK-MB à 41 (soit 11 % du total), LDH à 295 UI/l (N 190) et une myoglobinémie à 179 µg/l (N 80). L’ensemble était normalisé au 6 e jour. Les facteurs de risque cardiovasculaire étaient une HTA traitée depuis quelques mois par un thiazidique et un âge > 70 ans. Le cholestérol total sous traitement par un fibrate était mesuré à 2,33 g/l et les triglycérides à 0,60 g/l. Tous ces éléments n’ont été recueillis qu’a posteriori car, devant la persistance de la douleur et l’état hémodynamique jugé précaire, une coronarographie a été rapidement pratiquée. La conclusion était « plaque non significative de l’IVA moyenne, réseau circonflexe et droit normaux. À la ventriculographie, anévrisme du septum apical et postéro-latéral avec dyskinésie apicale et antéro-latérale ». La fraction d’éjection ventriculaire gauche était calculée à 25 % et la pression télédiastolique mesurée à 30 mmHg. Le diagnostic d’infarctus antérieur étendu sans anomalie coronaire était donc retenu et un traitement par héparine et TNT IV était alors institué. L’évolution a été relativement longue et compliquée, avec la persistance de signes d’insuffisance ventriculaire gauche pendant 6 jours, la survenue d’un BAV du 2 e degré (Luciani-Wenckebach) et d’une fibrillation atriale au 3 e jour (réduite par amiodarone per os). Le traitement héparinique était remplacé au 5 e jour par de l’aspirine (d’autant que subsistaient des douleurs thoraciques majorées à l’inspiration et que l’échographie montrait un épanchement péricardique postérieur de 7 mm) et un IEC était débuté. À l’issue d’une quinzaine de jours, l’état fonctionnel était amélioré permettant la déambulation, l’ECG montrait des signes d’ischémie sous-épicardique circonférentiels (figure 2). Un test d’effort était possible au 25 e jour permettant d’atteindre le palier de 75 watts pendant 2 minutes, avec une fréquence cardiaque à 75 % du maximum théorique, sans gêne particulière ni modification ECG, ni trouble rythmique et avec évolution normale de la PA. Les échocardiographies successives ont montré la correction des anomalies initiales puisque, au 28 e jour, le ventricule gauche était mesuré à 46/33 mm respectivement en diastole et systole et que la fraction d’éjection était estimée à 60 %, avec akinésie apicale discrète et localisée. Figure 2. ECG : réapparition des ondes R à J15 en V1-V3 et aspect d’ischémie circonférentielle. Une scintigraphie myocardique au thallium pratiquée au repos, 1 mois après l’épisode douloureux initial, était strictement normale sans aucune séquelle visible. Au 15 e mois, la fraction d’éjection du ventricule gauche mesurée par échographie était de 60 %. Commentaires La lecture d’une revue de la littérature récente (Ann Inter Med 2004 ; 141 : 858-65) concernant le syndrome d’ectasie transitoire du ventricule gauche peut aider à répondre à la « question titre ». Les caractéristiques de ce syndrome, encore appelé Takotsubo (les termes de transient ballooning, myocardial stunning, human stress cardiomyopathy ou cardiomyopathie apicale transitoire sont aussi employés, selon l’origine des publications) sont les suivantes. Caractéristiques du Takotsubo La plupart des patients sont des femmes (82 à 100 % des cas), d’âge moyen compris selon les séries entre 62 et 75 ans et ménopausées. Elles n’ont pas d’antécédent d’angor, et c’est donc une douleur thoracique inaugurale qui amène le plus souvent à consulter et pratiquer un électrocardiogramme. Celui-ci comporte un courant de lésion sous-épicardique, dans les dérivations précordiales, dans 46 à 100 % des cas. L’évolution électrique se fait vers la disparition de la lésion et son remplacement par des ondes T négatives et souvent profondes quasi circonférentielles (les ondes Q ne sont notées que dans 6 à 30 % des cas). L’espace QT est allongé entre 450 et 500 ms. L’augmentation des enzymes cardiaques est nette dans 56 à 100 % des cas, celle de la troponine est constante dans deux séries de cas, où elle était recherchée. Habituellement, cette ascension est modérée, rapide et de courte durée. Dans le cadre de la recherche, les dosages des catécholamines montrent une ascension 2 à 3 fois plus importante qu’au cours d’un infarctus en classe III de Killip et de 7 à 34 fois la valeur normale. Enfin, l’augmentation de la métanéphrine, de la normétanéphrine, du neuropeptide Y, du BNP ou de la sérotonine a été signalée. Les constatations angiographiques font toute la particularité de cette atteinte cardiaque en montrant un réseau coronaire normal ou sub-normal (aucune sténose d’un degré supérieur à 50 %). Par ailleurs, la région apicale et médioventriculaire est akinétique, voire dyskinétique, réalisant une véritable soufflure en forme de ballon, contrastant avec les régions proximales hypercontractiles (donnant sur l’angiographie ventriculaire en AOD une silhouette de vase, évoquant les pièges qui permettaient aux Japonais de capturer des poulpes). La fraction d’éjection ventriculaire gauche est initialement diminuée entre 39 et 49 % selon les séries, avec normalisation étonnamment rapide en quelques jours à semaines. Des biopsies endomyocardiques pratiquées au cours de ces explorations n’ont pas apporté d’élément spécifique (simples infiltrations interstitielles de lymphocytes et de macrophages sans nécrose cellulaire). L’évolution clinique n’est pas toujours simple avec une mortalité établie à environ 1 %. Une défaillance cardiaque gauche est présente dans 30 à 46 % des cas, nécessitant le recours, en cas de choc cardiogénique, à une contre-pulsion intraaortique de suppléance. Une fuite mitrale modérée par dysfonction de pilier, des troubles du rythme ventriculaires (ou atriaux sous forme d’AC/FA) et un thrombus ventriculaire gauche sont inconstamment rapportés. - Une dernière particularité de ce syndrome est sa survenue au cours d’une situation de stress ou d’émotion intense. Il s’agit le plus souvent d’événements désagréables (accident de voiture, décès d’un proche, vive altercation ou agression), mais de grandes joies pourraient aussi être en cause (réunion surprise). À noter que notre patiente n’avait eu aucune contrariété. Tout au plus se faisait-elle une joie de retrouver ses deux fils, réunis – fait exceptionnel – à Paris. La richesse du tableau a incité certains auteurs à proposer des critères permettant d’évoquer le diagnostic de cardiomyopathie de stress ou de sidération myocardique (encadré ci-dessous). Il apparaît, à l’issue de cette revue, que notre cas clinique est un takotsubo. Pourquoi présenter ce dossier ? Tout d’abord, il s’agit d’une entité relativement rare Les séries publiées ne dépassent pas la centaine de cas par centre. La fréquence réelle est difficile à évaluer, elle serait de l’ordre de 1 % des admissions pour infarctus myocardique au Japon. La grande fréquence des cas publiés dans ce pays a fait soulever initialement à une explication ethnique. En réalité, le biais provient d’une ignorance du syndrome (« on ne reconnaît que ce que l’on connaît déjà ») et les cas publiés aujourd’hui ne sont pas cantonnés au Japon. L’observation décrite plus haut (dont certains éléments ont pu paraître anachroniques) date de 1996. Le suivi de cette patiente date donc de près de 10 ans, mais le diagnostic n’a été évoqué que récemment. Ce recul est important puisque les séries publiées ne font état que de 3 ans de surveillance tout au plus. L’évolution de notre patiente est bien en accord avec ce qui est connu : il n’est apparu, à distance, ni angor ni récidive du syndrome ni, enfin, de signe d’insuffisance cardiaque. Durant cette longue période Mme S. a bénéficié de plusieurs interventions orthopédiques relativement lourdes, sans aucune complication cardiovasculaire. La physiopathologie de ce syndrome reste toujours mystérieuse Plusieurs hypothèses ont été émises : – notamment, le rôle toxique direct des catécholamines (identique à celui décrit au cours du phéochromocytome) ; – le spasme coronaire est aussi évoqué sous forme plurifocale ou encore d’une vasoconstriction coronaire intense ; – A. Maseri a souligné le rôle possible du neuropeptide Y dans une vasoconstriction distale entraînant une ischémie sévère (mais de courte durée ?). Toutes ces hypothèses, bien que séduisantes, n’expliquent pas la quasi-exclusivité des cas chez les femmes âgées et ménopausées et ne permettent de dégager ni des facteurs de risque (les caractéristiques
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