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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le  Lecture 12 mins

Fibrillation auriculaire : peut-on utiliser les AVK après 80 ans ?

F. PUISIEUX, Pôle de Gérontologie, CHRU de Lille et Université de Lille 2


Le Printemps de la cardiologie
La fibrillation auriculaire (FA) constitue, avec la pathologie thromboembolique veineuse, la première indication du traitement anticoagulant chez la personne âgée. La question de l’utilisation des antivitamines K (AVK) dans la population des plus de 80 ans n’a pas de réponse simple et univoque car, bien entendu, chaque cas est particulier. Il faut, pour chaque patient, peser les avantages et les risques liés à l’utilisation des AVK.

Une population hétérogène Si la population âgée a une particularité, c’est l’hétérogénéité. Les gériatres distinguent au sein de cette population trois sous-groupes : les vigoureux, les fragiles et les dépendants. Le sous-groupe des vigoureux est composé des personnes âgées au vieillissement réussi, qui réagissent face à un stress comme des personnes plus jeunes parce que leurs réserves fonctionnelles sont importantes. On peut a priori leur proposer les mêmes prises en charge thérapeutiques qu’aux adultes jeunes. À l’opposé, le sous-groupe des personnes âgées dépendantes rassemble des personnes qui ont besoin d’aide pour les actes élémentaires de la vie quotidienne. Ils sont souvent très polypathologiques. L’objectif thérapeutique est le maintien de la qualité de vie par des soins de confort. Entre ces deux sous-groupes se situe celui des personnes âgées dites fragiles, dont les réserves fonctionnelles sont réduites et qui, à l’occasion d’un stress, d’une pathologie médicale même bénigne, peuvent brutalement basculer dans la dépendance. Ce sont donc des sujets à haut risque de perte d’autonomie et de décompensations fonctionnelles en cascade. Cette population est particulièrement intéressante à reconnaître car une attitude thérapeutique adaptée peut prévenir les décompensations fonctionnelles. L’évaluation gérontologique qui fait appel à des outils standardisés est particulièrement adaptée aux personnes âgées fragiles car elle contribue à reconnaître l’ensemble des problèmes médicaux, psychologiques et sociaux et permet d’établir un projet de soins et d’aide personnalisé qui ne se réduit pas au seul traitement de la pathologie pour lequel le patient est pris en charge (1). Quelques certitudes Bien que chaque cas soit particulier, on dispose de données nombreuses et solides qui autorisent quelques certitude et sur lesquelles le raisonnement peut reposer. Première certitude : la prévalence et l’incidence de la FA augmentent avec l’âge (figure 1) Figure 1. Première certitude : la prévalence de la FA augmente avec l’âge. Plusieurs études épidémiologiques de grande ampleur (2,3) ont démontré qu’avant 50 ans, elle est inférieure à 1 pour 1 000. Elle est de l’ordre de 1 % entre 50 et 65 ans, se situe entre 2 et 5 % entre 70 et 80 ans et atteint 10 % après 80 ans. En réalité, la fréquence réelle de la FA est probablement plus élevée encore puisque ces chiffres sont fondés sur des études électrocardiographiques faites un jour donné. Ces études ignorent donc les formes paroxystiques, probablement aussi fréquentes que les formes permanentes. Deuxième certitude : en cas de FA, le risque thromboembolique et en particulier le risque d’AVC ischémique augmentent avec l’âge Ainsi, dans l’étude Atrial Fibrillation Investigators (4), le pourcentage d’AVC ischémiques chez les patients en FA passe de moins de 5 % avant 65 ans à plus de 8 % au-delà de 75 ans. Après 80 ans, près d’un quart des AVC sont liés à une FA (5). Plusieurs études réalisées pour reconnaître les facteurs de risque d’AVC ischémique en cas de FA ont permis de distinguer des populations à risque élevé, moyen et faible (tableau 1). Les sujets âgés de plus de 75 ans et particulièrement les femmes de plus de 75 ans, les patients atteints d’hypertension artérielle, de diabète, ayant une dysfonction ventriculaire gauche, une valvulopathie mitrale ou ayant déjà fait un AVC appartiennent au groupe des patients à risque élevé. Ces facteurs de risque sont pris en compte dans le score de risque d’AVC ischémique CHADS 2 (6,7) qui a été repris dans les récentes recommandations américano-européennes pour la prise en charge de la FA (8). Troisième certitude : les AVK sont efficaces chez le sujet âgé pour prévenir le risque d’AVC ischémique dans la FA (figure 2) Figure 2. Troisième certitude : les AVK sont efficaces pour prévenir le risqué d’AVC dans la fibrillation auriculaire (réduction des AVC de 68 % et de la mortalité de 33 %). Les nombreux essais cliniques randomisés en double-aveugle des AVK versus placebo ont montré de façon concordante que les AVK réduisent de près des deux tiers le risque d’AVC et d’un tiers la mortalité (4,9). Ces études ont aussi montré, et ceci n’a rien de surprenant, que c’est dans la population à risque élevé que les AVK sont les plus efficaces. • Selon la métaanalyse de Hart et coll. (11), en prévention primaire, dans le groupe à risque faible, où le risque d’AVC ischémique n’excède pas 1 % par an, le nombre d’AVC ischémiques évités chaque année pour 1 000 patients traités est de 6 pour la warfarine comparée au placebo, de 2 pour l’aspirine comparée au placebo et de 4 pour la warfarine comparée à l’aspirine. Les résultats sont très différents en prévention primaire dans le groupe à risque élevé dont font partie la plupart des personnes âgées. En effet, dans ce groupe où l’incidence des AVC ischémiques sans traitement est de l’ordre de 6 % par an, un traitement par warfarine comparé au placebo permet d’éviter 36 AVC pour 1 000 patients traités pendant un an tandis que l’aspirine comparée au placebo évite seulement 2 AVC et la warfarine comparée à l’aspirine permet d’éviter 24 AVC ischémiques pour 1 000 patients traités par an. • En prévention secondaire, dans une population ayant des antécédents d’AVC ischémique, la supériorité de la warfarine est évidente ; celle-ci permet d’éviter 84 AVC ischémiques quand on la compare au placebo et 72 AVC ischémiques quand on la compare à l’aspirine. Ainsi donc, le bénéfice des anticoagulants est parfaitement établi par de nombreux essais thérapeutiques qui tous ont inclus des sujets âgés en nombre suffisant pour extrapoler le résultat d’efficacité à la population des plus de 80 ans. Quatrième certitude : le risque hémorragique augmente chez le sujet âgé Les AVK sont des médicaments à marge thérapeutique étroite et aux effets secondaires potentiels graves. Ils seraient annuellement responsables en France d’environ 17 000 hospitalisations selon le recueil des centres de pharmacovigilance. Cependant, dans les essais thérapeutiques, le risque d’hémorragie intracérébrale, la complication hémorragique la plus redoutée, apparaît assez faible sous AVK, à peine supérieur à celui sous placebo (0,3 %/an vs 0,1 %/an) (4,11 ). L’étude SPAFII est la seule étude avec un taux élevé d’accidents hémorragiques mais l’objectif thérapeutique en termes d’INR était plus élevé dans cette étude que dans les autres essais thérapeutiques. Dans SPAFII, l’âge élevé constitue en outre un facteur de risque indépendant comme un INR > 3 (12). Les essais cliniques randomisés ne sont peut-être pas les plus adaptés pour refléter l’incidence exacte des accidents hémorragiques survenant sous AVK parce que, dans ces essais, n’incluent pas les patients les plus âgés et les plus fragiles, mais aussi parce que les participants sont particulièrement bien surveillés. Les essais cliniques randomisés ne rendraient dpnc pas compte de ce qu’on appelle aujourd’hui volontiers la « vraie vie » du médicament. Les études observationnelles sont probablement plus intéressantes à considérer. Dans l’étude ISCOAT, qui a suivi 2 745 patients (dont 60 % avaient entre 60 et 79 ans et 8 % plus de 80 ans) consécutifs traités par AVK (et suivis dans des « cliniques des anticoagulants »), le risque de décès, de complications majeures et de complications mineures étaient, respectivement, de 0,25, 1,1 et 6,2 pour 100 patients/an (13). Le risque de saignement sous AVK était significativement plus élevé après 70 ans qu’avant : taux de complications hémorragiques (mineures, majeures et fatales) pour 100 patients/années de 10,5 % après 70 ans contre 6 % avant 70 ans. Dans une autre cohorte de grande ampleur, la cohorte ATRIA (14), qui a suivi 13 559 patients en FA non valvulaire, traités ou non par AVK, dont l’objectif était de savoir si le risque hémorragique augmente de façon indépendante avec l’âge, il a été observé une augmentation significative de l’incidence des hémorragies intracrâniennes avec l’âge mais, l’incidence des hémorragies extracrâniennes était pratiquement superposable dans le groupe sans AVK et le groupe avec AVK. Chez les plus de 80 ans, l’incidence était même inférieure dans le groupe sous AVK. L’incidence des hémorragies intracrâniennes s’élevait aussi avec l’âge. À tout âge elle était plus élevée dans le groupe sous AVK que dans le groupe sans AVK sauf chez les plus de 80 ans où l’incidence était la même dans les deux groupes. Les auteurs concluent qu’un âge élevé (> 80 ans) augmente le risque d’accident hémorragique grave, particulièrement d’hémorragie intracrânienne chez les patients en FA, que les patients soient ou non traités par AVK. Il est aussi intéressant d’observer que, dans cette étude, l’incidence des accidents hémorragiques était faible, de l’ordre de celle qui a été rapportée dans les essais cliniques randomisés, ce qui indique qu’un monitorage de qualité permet d’utiliser les AVK avec une sécurité raisonnable chez les sujets âgés. Si l’âge en lui-même constitue un facteur de risque hémorragique sous AVK, il n’est pas le seul facteur de risque et probablement pas le facteur de risque le plus fort (tableau 2). Les études ont montré de façon concordante qu’un niveau d’anticoagulation trop élevé (INR > 3) ou fluctuant constitue un risque majeur. Les autres facteurs de risque retrouvés dans les études sont (10,15) : - un antécédent d’AVC ischémique, - un antécédent de saignement digestif, - une HTA non contrôlée, - les associations médicamenteuses potentialisant le risque : aspirine +++, AINS, - l’anémie, - l’insuffisance rénale, - la démence, les troubles cognitifs, - le défaut d’observance, - les chutes, - une néoplasie, - l’alcoolisme (aigu ou chronique). Des travaux ont aussi montré qu’il n’y a aucun gain en termes de prévention des AVC ischémiques à dépasser les objectifs thérapeutiques, c’est-à-dire à dépasser un INR de 3. Dans ces conditions, le risque hémorragique est majoré et le risque ischémique n’est pas réduit (16). Il est donc

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