



Publié le
Lecture 12 mins
La pharmacologie de demain : optimiser avant tout ce dont nous disposons déjà
M.-D. DRICI, hôpital Pasteur, Nice

Si les maladies cardiovasculaires sont le facteur de mortalité le plus important des pays industrialisés, nous assistons à un essoufflement des innovations médicamenteuses dans cette pathologie, au profit de la technique, de la biomédecine mais surtout de la prévention. Il semble que l’effort futur se concentre sur la validation de nouvelles prises en charge hygiéno-diététiques, l’amélioration de l’observance des traitements existants, ou même la validation de nouveaux concepts comme celui du traitement préventif de l’hypertension…
Les « innovations » font largement appel à des classes de molécules ou des modes d’action déjà largement connus (anti-rénines, inhibiteurs des canaux ioniques membranaires, etc.). Les révolutions technologiques médicamenteuses sont surtout applicables aux traitements à index thérapeutique étroit, ce qui est d’un intérêt modeste pour le principal bailleur de la recherche médicamenteuse en cardiologie : l’industrie pharmaceutique. Une crise sanitaire annoncée Les maladies cardiovasculaires sont responsables de plus de 50 % de la mortalité en Europe, et vont encore constituer le problème le plus important de santé publique des pays industrialisés au 21 e siècle. Cela est une large conséquence de notre mode de vie puisque leurs origines sont sous-tendues par les éléments du syndrome métabolique et les perturbations inflammatoires. Le vieillissement de la population va accentuer cette tendance, si bien que l’on prédit déjà dans certains pays des crises « sanitaires » dans ce domaine, que ce soit par l’augmentation exponentielle des coûts de santé publique en cardiologie, par la diminution progressive du nombre de cardiologues, ou par les difficultés que chacun d’entre nous connaît pour maintenir et accroître une formation médicale continue adéquate. Dans les années à venir, et malgré l’apparition de nouveaux outils médico-techniques diagnostiques, la notion de coût/efficacité et sa mesure précise va devenir essentielle à considérer. Le coût sans cesse croissant des thérapeutiques cardiovasculaires « innovantes » renforcera probablement les inégalités avec l’admission des pays de l’Est au sein de l’Europe. Si les facteurs de risque des maladies cardiovasculaires sont maintenant bien identifiés (et suggèreraient même une origine commune aux maladies cardiovasculaires, au diabète et au cancer), nous sommes obligés de constater que leur prévention, nécessitant des changements drastiques du mode et de l’hygiène de vie, fait largement défaut. Si l’on n’attend pas de grandes révolutions pharmacologiques dans notre domaine au cours des prochaines années, il faut néanmoins souligner que l’utilisation de la pharmacopée à notre disposition est loin d’être optimale. Pharmacologie cardiovasculaire du futur ? La pharmacologie future dans le domaine cardiovasculaire comporte deux notions différentes : la pharmacologie du futur et la cardiologie du futur, et la congruence des deux n’est pas évidente. Dans la cardiologie du futur, un effort particulier devra être réalisé pour la prévention sérieuse des maladies cardiovasculaires. La pharmacologie du futur va faire appel aux innovations thérapeutiques médicamenteuses (de moins en moins nombreuses), ou galéniques (déjà utilisées pour la plupart). Elle va consister à mettre sur le marché, d’une part dans des pathologies très fréquentes, modérées et non compliquées des médicaments dont l’index thérapeutique est large et la prise extrêmement simplifiée, et d’autre part, des traitements spécifiques qui vont agir sur des cibles extrêmement précises correspondant à un petit nombre de patients dans chacune des pathologies considérées. Innovations galéniques Les « nano-médicaments » Parmi les innovations galéniques qui devraient devenir prééminentes au cours des 20 prochaines années figurent les nanotechnologies et les futurs « nanomédicaments » qui sont fabriqués à l’échelle du milliardième de mètre, soit la taille d’une molécule. Un des exemples est la sécurité cardiaque qui sera accrue lors de l’utilisation des futures chimiothérapies anticancéreuses. Il est, en effet, difficile de diriger spécifiquement une molécule thérapeutique vers l’organe, le tissu ou la cellule cibles et les principes actifs du médicament sont souvent libérés loin du site d’action, perdant ainsi de leur efficacité et entraînant des effets secondaires toxiques pour des zones saines de l’organisme. C’est le cas des anthracyclines qui sont délétères pour la fonction cardiaque. La mise au point de vecteurs de médicaments de taille nanométrique est en passe de contourner cet obstacle. Le principe consiste à insérer la molécule active dans de minuscules capsules ou vésicules creuses, ou encore à l’introduire dans des nanotubes de carbone qui la protègent et permettent, une fois cette nanosonde introduite dans l’organisme par voie intraveineuse ou orale, de contrôler sa libération dans le temps et dans l’espace. Les nanovecteurs de première génération, reconnus comme des corps étrangers et captés par les macrophages du foie, où ils se concentrent, ont permis des avancées récentes dans le traitement des hépatocarcinomes. La doxorubicine, provoque des troubles cardiaques sévères, mais ce même médicament, administré sous forme de nanoparticules, s’avère non seulement actif à dose beaucoup plus faible, mais n’entraîne pas d’insuffisance cardiaque, sa diffusion restant cantonnée à la zone hépatique. Les chercheurs développent aujourd’hui des nanovecteurs de deuxième génération, qui sont recouverts d’un leurre constitué de polymères leur permettant d’échapper aux macrophages hépatiques. Ces « clandestins » peuvent ainsi franchir la barrière hémato-encéphalique, ce qui ouvre des espoirs nouveaux dans le traitement des pathologies cérébrales. Les nanovecteurs de troisième génération, comportant des ligands (anticorps, peptides, sucres, acides) reconnaissant les antigènes ou les récepteurs spécifiques seront capables d’atteindre précisément leur cible. Il est possible d’y intégrer des nanoparticules métalliques qui, excitées par un moyen physique, détruisent en chauffant sélectivement les cellules visées. Les nanotechnologies ouvrent encore d’autres voies à la médecine de demain puisque les chercheurs évoquent, grâce aux nanomatériaux, des biopuces au sein de prothèses et implants rendus plus résistants et présentant une meilleure biocompatibilité humaine. Les artifices galéniques Dans le cadre des formes médicamenteuses à libération prolongée utilisées fréquemment dans l’hypertension artérielle, il semble qu’on ait fait le tour des artifices galéniques destinés à prolonger l’exposition du patient à un médicament dont la demi-vie est courte (que ce soit en utilisant des gels matriciels, des comprimés dotés d’une « éponge osmotique », percés au laser, etc.). Il faut toutefois signaler que la réponse thérapeutique d’une population à ces monothérapies monodosées prend l’aspect d’une courbe de Gauss dont les extrêmes sont soit insuffisamment traités pour l’une, ou font les frais d’effets indésirables pour l’autre. C’est malheureusement le prix à payer pour une simplicité des traitements et une observance optimale des patients. C’est aussi la raison pour laquelle le fameux serpent de mer « les patients des essais réagissent différemment de ceux de la vraie vie » revient régulièrement à la surface. À l’opposé, certaines affections cardiovasculaires nécessitent des médicaments dont l’index thérapeutique plus ou moins étroit ne permet pas cette approche monodose à une population globale, le traitement des troubles du rythme par exemple. Chaque patient ou chaque famille de patients (les insuffisants rénaux, les insuffisants cardiaques, les femmes, les sujets âgés, les enfants, les insuffisants hépatiques…) deviennent alors autant de populations « niches » et le traitement préconisé devient adaptable à la carte de par l’adaptation de posologies qui en découle. Voici quelques avancées dans le domaine cardiovasculaire… Hypertension Nous n’attendons plus de miracle pharmacologique dans cette pathologie dans les prochaines années. Les nouvelles classes d’antihypertenseurs font appel aux mécanismes d’action qui ont fait leur preuve comme la classe des inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone. Ainsi, le dossier de l’aliskiren, nouvel antirénine, vient d’être déposé pour l’enregistrement aux États-Unis. Les premiers antirénines ont été synthétisés il y a plus de 25 ans mais se sont révélés peu efficaces, avec des biodisponibilités médiocres. Bien que ce dernier partage peu ou prou les mêmes caractéristiques pharmacocinétiques, l’aliskiren paraît aussi efficace qu’un IEC avec une bonne tolérance, et un effet additif lorsqu’on l’associe aux thiazidiques ou aux inhibiteurs des canaux calciques. Il agit en se liant au site actif de la rénine et sa demi-vie est longue. En association avec un IEC, il offre l’avantage et les inconvénients potentiels d’un blocage plus efficace de l’axe rénine-angiotensine : chute plus importante de la pression artérielle mais risque majoré d’hyperkaliémie et/ou d’anémie en cas d’insuffisance rénale, collapsus ou insuffisance rénale chez le patient dont la pression artérielle et la fonction rénale sont rénine-dépendants (sujets âgés ou après déplétion sodée ou sous AINS ou avec sténose d’artère rénale ou recevant une anesthésie générale). Il ne semble pas que l’aliskiren ait un effet additif en association avec un ARAII. La place de cette nouvelle classe des antirénines demeure donc à définir en l’absence d’avantage net par rapport aux ARAII. Troubles du rythme et angine de poitrine Dans les troubles du rythme, pas de nouveauté pharmacologique à l’horizon. Après avoir vainement tenté d’augmenter les périodes réfractaires des cellules myocardiques en prolongeant leur potentiel d’action par des médicaments de classe III de plus en plus spécifiques, il s’est avéré que l’on induisait un substrat proarythmogène et que la mortalité des patients auxquels ces molécules étaient destinées augmentait ! Puis il est apparu que le fait de raccourcir le potentiel d’action était également arythmogène avec les magnifiques observations du syndrome du QT court ! L’obligation de maintenir le potentiel d’action dans ses sages limites homéostasiques pour ne pas être délétère a fait que les industriels ne se précipitent plus sur les troubles du rythme, tant ils ont été échaudés… De nouvelles voies d’action sur de nouveaux canaux (potassiques : Kv1.4, mitochondriaux…) sont ouvertes mais seules les études cliniques à large échelle
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :
Articles sur le même thème
Pagination
- Page 1
- Page suivante