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Utilisation des HBPM chez le sujet âgé insuffisant rénal
J.-F. ALEXANDRA, Hôpital Bichat, Paris

Le risque d’accumulation des HBPM en cas d’insuffisance rénale est pratiquement la seule limite à l’utilisation de ces molécules. Cette situation est d’autant plus gênante que le risque de survenue d’une TVP est accru en cas d’insuffisance rénale associée à une albuminurie supérieure à 30 mg/jour(1).
HBPM et fonction rénale altérée Le risque d’accumulation des HBPM en cas d’insuffisance rénale est pratiquement la seule limite à l’utilisation de ces molécules. Cette situation est d’autant plus gênante que le risque de survenue d’une TVP est accru en cas d’insuffisance rénale associée à une albuminurie supérieure à 30 mg/jour (1). Jusqu’à 52 % des patients avec une TVP ont ainsi une insuffisance rénale légère à modérée (2). La prescription d’HBPM chez l’insuffisant rénal implique un certain nombre de précautions. En premier lieu, il importe de mesurer avec le plus de fiabilité possible le débit de filtration glomérulaire (DFG). Ce point sera particulièrement sensible chez le sujet âgé. Nous y reviendrons largement alors, mais notons déjà que les poids extrêmes, la dénutrition, etc. sont des circonstances où même chez l’adulte jeune, les méthodes indirectes d’estimation du DFG peuvent être prises en défaut. Cette évaluation est une nécessité rappelée par l’Afssaps : « En cas d’insuffisance rénale sévère définie par une clairance de la créatinine inférieure à une valeur de l’ordre de 30 ml/min, il existe une contre-indication de l’utilisation des HBPM à dose curative et des précautions d’emploi lors de leur utilisation à dose préventive. Si les HBPM sont contre-indiquées, l’HNF peut être utilisée. En cas d’insuffisance rénale modérée (clairance de la créatinine comprise entre 30 et 60 ml/min), il existe des précautions d’emploi pour l’utilisation des HBPM à dose curative. Dans tous les cas, l’évaluation de la fonction rénale par la formule de Cockcroft doit être systématique après 75 ans (http://www.afssaps.sante.fr) ». La principale et historique alternative aux HBPM est l’héparine non fractionnée (HNF) qui est éliminée par le système réticulo-endothélial mais nécessite une surveillance biologique quotidienne et un abord veineux préférentiel rendant son usage lourd, imposant une surveillance hospitalière. L’obtention de données claires quant à l’usage des HBPM chez l’insuffisant rénal est donc un enjeu important pour une situation clinique fréquente. Comment estimer la fonction rénale ? Répondre à cette question signifierait être capable de déterminer le DFG de manière fiable pour tous les sujets. Malheureusement, les estimations par les formules de Cockcroft et Gault ou par le MDRD sont imparfaites (tableau 1). Ces deux formules sous-estimeraient le DFG r.el de respectivement 25 % et 10 % au-delà de 65 ans. Les données manquent en réalité dans le grand âge(3), population dans laquelle la prévalence d’une insuffisance rénale modérée (stade 3 [ tableau 2 ]) est élevée. On ne peut en aucun cas se baser sur le seul chiffre de créatinine, reflet d’une masse musculaire pouvant beaucoup varier dans les âges extrêmes. Globalement, ces méthodes indirectes de mesure ne permettent de classer correctement que 2/3 des patients âgés en regard de leur degré d’insuffisance rénale (4). Pour les autres, en cas de traitement néphrotoxique ou à élimination rénale, la question d’autres méthodes de mesure doit se poser (cystatine C en cours d’évaluation, mesure au laboratoire d’explorations fonctionnelles, etc.). Si l’on s’en tient aux études épidémiologiques, la diminution du DFG est estimée à 1 % par an au-delà de 40 ans, mais les écarts interindividuels sont majeurs. On considère qu’environ 50 % des plus de 70 ans ont un DFG 60 ml/min/1,73 m 2(5), ce qui est résumé dans le tableau 3. La prévalence d’une insuffisance rénale chronique et l’impossibilité de l’estimer par la seule valeur de la créatinine plasmatique imposent un calcul du DFG chez tous les patients âgés. En cas de doute (poids extrême, sarcopénie importante, etc.) ou de traitement prolongé à élimination rénale, des méthodes de mesure plus précises que les formules usuelles peuvent être discutées. Qu’est-ce qu’une HBPM ? Pour commencer, il faut revenir à la molécule d’héparine elle-même d’où proviennent les différentes HBPM. L’héparine est composée de différentes chaînes polysaccharidiques de poids moléculaire (PM) allant de 3 000 à 30 000 daltons mais surtout compris entre 13 000 et 15 000 daltons. L’activité anticoagulante est liée aux chaînes d’héparine porteuses d’un pentasaccharide (1/3), qui permet la liaison à l’antithrombine, inhibant autant le facteur Xa que la thrombine (le rapport anti-Xa/anti-IIa de l’HNF est égal à 1) pendant que les 2/3 restants des chaînes n’ont pas d’effet anticoagulant. Différentes techniques immunoenzymatiques permettent de couper la chaîne d’HNF pour obtenir les HBPM dont le poids moléculaire varie de l’une à l’autre. Ces différences semblent ne pas influencer l’effet anticoagulant de ces molécules, la coupure conservant les capacités d’inhibition du facteur Xa, mais l’inhibition de la thrombine sera plus marquée avec les chaînes les plus longues. En revanche, la clairance rénale des HBPM sera modifiée par le poids moléculaire (PM) : plus le PM diminue, plus la voie d’élimination des HBPM sera rénale, les HBPM plus lourdes étant également métabolisées par le système réticulo-endothélial, profil d’élimination plus proche de l’HNF (6). Le poids moléculaire le plus élevé est celui de la tinzaparine (6 500 Da), puis la daltéparine et la nadroparine (5 800 Da) et l’énoxaparine (4 500 Da) (7). Clairance rénale des différentes HBPM De plus en plus de données amènent donc à considérer que le profil d’élimination rénale varie d’une HBPM à l’autre. Cependant, peu de comparaisons entre les molécules sont disponibles et les études souffrent de l’hétérogénéité des patients recrutés et d’un caractère volontiers rétrospectif. Nous examinerons les 4 HBPM disponibles en France pour lesquelles les données sont les plus étayées dans la littérature. Énoxaparine : c’est l’HBPM la mieux étudiée. Son faible poids moléculaire la rend très sensible aux variations de la créatinine plasmatique : une augmentation de 20 μmol/l pourrait ainsi majorer de 40 % le risque hémorragique (8). Il existe une forte corrélation entre le DFG et l’accumulation d’énoxaparine mesurée par l’activité anti-Xa (9), y compris à dose prophylactique (10). Cette corrélation est pertinente cliniquement : aux doses curatives, le risque de complication hémorragique est majoré si le DFG est 30 ml/min passant de 2,4 à 8,3 % (11). L’adaptation des doses à l’activité anti-Xa pourrait diminuer ce surrisque (11), mais aucune étude ne valide actuellement cette attitude. À dose préventive, on retrouve une augmentation progressive de l’activité anti-Xa si le DFG est 30 ml/min (12), mais le surcroît de risque hémorragique est moins bien démontré (13). Daltéparine : les données sont beaucoup plus rares. Dans une étude prospective portant sur des patients dialysés, aucune accumulation de daltéparine n’est retrouvée quand elle est administrée à dose préventive. Il n’y a pas de données à doses curatives (14). Nadroparine : il n’y a pas de données à large échelle concernant cette molécule, mais il paraît exister une accumulation dès le stade d’insuffisance rénale modérée par rapport au volontaire sain (15). Tinzaparine : la clairance de la tinzaparine est peu modifiée après une dose unique chez l’insuffisant rénal chronique (16). Ce résultat est attendu compte tenu du PM de la molécule. Il est confirmé par plusieurs autres études ne retrouvant pas de corrélation entre le DFG et l’activité anti-Xa chez les patients sous tinzaparine utilisée à dose préventive ou curative (10). Cependant, une réduction empirique de dose était parfois réalisée et les seuls surdosages rapportés se sont produits en cas de DFG 30 ml/min, seuil qui réduit la clairance de la tinzaparine d’environ 24 % (17). Aucune conclusion définitive ne peut donc être tirée. Même si le risque d’accumulation paraît minoré par rapport aux autres HBPM, il ne semble pas nul pour autant. Le risque d’accumulation des HBPM est clairement dépendant de la fonction rénale et du type de molécule choisi. La relation linéaire entre DFG et activité anti-Xa n’existe pas pour toutes les molécules. Il n’y a donc pas de base scientifique forte pour imposer une fourchette basse à l’administration de l’ensemble des HBPM (18), mais un certain nombre de précautions de bon sens rejoignant partiellement les recommandations de l’Afssaps. Rapport bénéfice-risque du traitement anticoagulant en gériatrie Le risque hémorragique lié au traitement anticoagulant est estimé autour de 3,8 % par an avec une mortalité de l’ordre de 20 %, ce qui est à contrebalancer par une mortalité nettement supérieure chez les patients non traités par MVTE. L’EP massive est en effet responsable de 4 à 8 % de la mortalité en milieu hospitalier (19) et est incriminée dans les séries autopsiques dans 4 à 11 % des décès dont les trois quarts concernent des patients issus de service de médecine (20). La mortalité hospitalière de la maladie veineuse thromboembolique est évaluée à 12 % (21). L’âge est communément admis comme procurant un surcroît de risque hémorragique et est intégré dans les scores de risque (cf. infra). Pourtant, cette notion est fortement contredite, d’une part par le caractère très hétérogène de la population âgée qui cumule différents facteurs de risque de saignement (polymédication en particulier antithrombotique, insuffisance rénale mésestimée par une créatinine faussement rassurante, etc.), d’autre part, par des études récentes. Ces dernières ne retrouvent pas d’excès de saignement lié à l’âge tant dans une métaanalyse (22) que dans un essai prospectif mené avec la tinzaparine ajustée au poids et à l’activité anti-Xa (23). Le risque de saignement majeur dans ce dernier essai est de l’ordre de 1,5 %, ce qui n’est pas différent des données de la littérature alors qu’il s’agissait d’une population très âgée (moyenne d’âge de 85 ans). Une autre étude observationnelle estime à 7 % l’incidence de saignements majeurs et mineurs chez les sujets âgés, phénomène majoré par l’insuffisance rénale (24). Les saignements sont volontiers rapportés en cas de co-prescription des
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