



Publié le
Lecture 11 mins
Vingt ans d'évolution des paradigmes en cardiologie
N. DANCHIN, hôpital européen Georges Pompidou, Paris

Les 20 dernières années ont amené des bouleversements considérables dans notre compréhension de la physiopathologie des maladies cardiaques, bouleversements s’accompagnant de changements radicaux de nos pratiques. Sans vouloir passer en revue l’ensemble de notre discipline, certaines évolutions de nos courants de pensée méritent d’être rappelées, qui illustrent l’évolution rapide de notre mode de pensée.
Pathologie coronaire : du spasme à la rupture de plaque Fin des années 70, début des années 80 : la période du spasme coronaire La fin des années 70 et le début des années 80 ont été « la période du spasme coronaire », explication centrale du déclenchement des syndromes coronaires aigus. Dans la foulée des travaux d’Attilio Maseri, le spasme était omniprésent : au stade aigu de l’infarctus, il était considéré comme un facteur déclenchant prépondérant ; dans toutes les formes d’angor de repos ou aggravé, le spasme était soit le mécanisme responsable, soit un élément de déstabilisation de la maladie. Simultanément, les antagonistes calciques, médicaments par excellence du spasme, prenaient un essor considérable. Enfin, l’hypothèse du spasme générateur de lésions coronaires « fixées » était avancée avec de nombreux arguments convaincants. Courant des années 80 : évolution des conceptions Au fil des années, et avec l’utilisation désormais totalement routinière des explorations coronarographiques, puis de l’échographie endocoronaire, la pensée a progressivement évolué, tandis que l’utilisation des antagonistes calciques ne semblait pas permettre une stabilisation de l’évolution de la maladie athéroscléreuse. L’évolutivité de la maladie coronaire n’est plus apparue comme un phénomène linéaire (aboutissant à l’occlusion progressivement de plus en plus marquée de la lumière artérielle), mais bien comme une progression discontinue : les épisodes instables (nouvellement appelés syndromes coronaires aigus) résultant de l’accroissement plus ou moins inopiné du degré de sténose. Année 90 : ancrage du concept « rupture de plaque » Et s’est développé ainsi, à partir des années 90, le concept de rupture de plaque (liée à une fragilisation de la chape fibreuse recouvrant la plaque), concept popularisé par Peter Libby. Plus récemment : hypothèse d’érosion Plus récemment, l’accent a également été mis sur la possibilité d’érosion de la plaque, dont les mécanismes initiaux diffèrent de ceux de la rupture, mais qui aboutit à des conséquences analogues : l’accumulation plaquettaire pouvant évoluer soit vers l’occlusion coronaire complète, soit vers une incorporation dans la plaque qui « grossit » alors rapidement ; cette activation des plaquettes qui adhèrent à la brèche pariétale et s’agrègent provoque, en outre, une vasoconstriction artérielle, qui vient en quelque sorte rappeler à notre souvenir l’idée du spasme. Infarctus du myocarde : le rôle central de la thrombose 1980 : une révolution conceptuelle Pour ce qui est de l’infarctus, la révolution conceptuelle a eu lieu en 1980. Jusque-là, le rôle essentiel de la thrombose était discuté, en particulier aux États-Unis. Les premières angioplasties coronaires étaient d’ailleurs réalisées sans couverture par aspirine. En 1980, étaient publiés dans Circulation les résultats d’une étude anatomo-pathologique réalisée immédiatement au décours d’un infarctus : les auteurs reconnaissaient la présence de thrombus dans l’artère coupable, mais expliquaient doctement qu’il s’agissait forcément de thromboses survenues après le déclenchement de l’épisode aigu, conséquence et non cause du mal. La thrombose en est le facteur déclenchant Ce n’est que 6 mois plus tard que venait la preuve définitive du rôle déclenchant de la thrombose, grâce à un travail de De Wood qui montrait la présence d’une occlusion coronaire thrombotique quasi systématique sur les coronarographies effectuées lors des toutes premières heures. Une désobstruction mécanique ou chimique Un peu plus tard, Rentrop montrait la possibilité d’une désobstruction mécanique de l’artère responsable d’un infarctus en utilisant le guide qui avait servi à monter la sonde de coronarographie, puis l’intérêt d’une thrombolyse in situ. Ainsi, les premières études ayant apporté la preuve de l’intérêt de la thrombolyse dans l’infarctus aigu ont-elles réalisées avec la thrombolyse intracoronaire. Et ce sont elles qui ont servi de fondement théorique à l’utilisation de la thrombolyse par voie intraveineuse. Une nouvelle définition de l’IDM Parallèlement aux progrès réalisés dans le traitement de l’infarctus, l’apparition des nouveaux marqueurs de la nécrose myocardique (troponine Ic et troponine T) a conduit à une redéfinition de l’infarctus, reposant sur l’association d’une augmentation des marqueurs, et soit d’une douleur prolongée, soit d’anomalies électriques. Mais les choses ne sont certainement pas figées et la définition de l’infarctus n’est sans doute toujours pas complètement « stabilisée » à l’heure actuelle. Athérosclérose Contrôle lipidique et stabilisation des plaques, inflammation, impact grandissant du diabète Lipides En dehors de la meilleure connaissance de l’évolution de la maladie athéroscléreuse, les concepts sur le rôle des lipides ont considérablement évolué à la suite des essais thérapeutiques avec les statines. L’association entre hyperlipidémie et maladie coronaire était, certes, connue de très longue date, mais l’idée d’une stabilisation de la maladie coronaire grâce à des traitements hypolipémiants n’était pas communément admise, en particulier à cause des essais thérapeutiques non concluants conduits avec certains fibrates. Il a fallu attendre les années 1990 pour que resurgisse véritablement ce concept, à la suite de l’étude 4S, puis des études WOSCOP, CARE et LIPID. Avec les résultats des essais plus récents (ALLHAT, PROSPER, HPS, ASCOT), une relation quasi linéaire a été constatée entre la réduction du risque et la baisse du LDL cholestérol obtenue grâce aux médicaments. Tout récemment, l’étude REVERSAL a permis de constater un parallèle entre la baisse du LDL cholestérol et la stabilisation anatomique de l’athérosclérose coronaire, constatée par échographie endocoronaire, fournissant ainsi un substratum anatomique aux constatations cliniques. Mais en dehors du contrôle lipidique, d’autres facteurs nutritionnels interviennent, comme en attestent les études évaluant l’impact du régime méditerranéen, avec encore d’assez nombreuses incertitudes (par exemple le rôle des apports en oméga-3) qui laissent encore de beaux espoirs pour la recherche clinique dans ce domaine. Inflammation Le rôle de l’inflammation dans le développement commençait tout juste à être évoqué dans le milieu des années 80. Actuellement, l’inflammation est considérée comme un mécanisme central, à la fois du développement des lésions athéroscléreuses, mais aussi de leurs complications. La piste infectieuse (Chlamydia pneumoniae) a suscité un grand engouement il y a quelques années, pour s’éteindre doucement actuellement. Les corrélations entre CRP ultrasensible et pronostic cardio-vasculaire ont été confirmées par de nombreuses études épidémiologiques et les interactions entre CRP et statines font l’objet de nombreux travaux de recherche. Enfin, l’intérêt de traitements anti-inflammatoires commence à être évalué dans des études cliniques. Diabète Dans les années 80, le diabète était loin des préoccupations des cardiologues et l’infarctus loin de celles des diabétologues. Vingt ans après, il représente un élément central de la problématique cardiologique ; une interrogation Medline note 70 articles sur diabète et infarctus en 1983 et 580 en 2003. Au cours de ces 20 dernières années : - nous avons ainsi appris que le risque cardio-vasculaire du diabétique non coronarien était pratiquement comparable à celui d’un sujet ayant fait un infarctus du myocarde ; - nous savons aussi que l’atteinte coronaire du diabétique est plus diffuse que celle des non-diabétiques ; - enfin, il est dorénavant clair que la prise en charge thérapeutique du diabétique coronarien doit être spécifique. Mais on a encore le sentiment que beaucoup de chemin reste à parcourir dans notre connaissance des interactions entre diabète et cœur, et il ne fait aucun doute qu’avec son petit frère, le syndrome métabolique, le diabète représentera une thématique cardiologique majeure dans les années qui viennent. Insuffisance cardiaque Avec le vieillissement de la population et l’amélioration du pronostic des maladies cardiaques causales, l’insuffisance cardiaque est devenue un enjeu de santé publique majeur, imposant des perspectives de prise en charge nouvelles, comme l’hospitalisation à domicile. Les 20 dernières années ont été le théâtre d’une mutation profonde dans notre mode de pensée du traitement de cette pathologie. Le rôle clef de l’inhibition neurohormonale Il y a 20 ans, les digitaliques et les diurétiques représentaient le traitement de référence et les principaux espoirs étaient placés dans les nouveaux médicaments inotropes positifs. Il a fallu rapidement se rendre à l’évidence : des médicaments capables d’améliorer en aigu les paramètres hémodynamiques s’avéraient délétères au long cours. Les digitaliques eux-mêmes ne paraissaient plus avoir toutes les vertus dont ils étaient initialement parés. À l’inverse, deux catégories de traitements allaient devenir les références dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. La révolution des IEC : leurs effets hémodynamiques bénéfiques étaient tout juste explorés au début des années 80. La décennie qui a suivi a permis de documenter de façon formelle leur impact favorable au long cours, en termes de morbi-mortalité. Les bêtabloquants : quand les contres-indications deviennent des indications. Les bêtabloquants ont longtemps été considérés comme contre-indiqués dans l’insuffisance cardiaque ; en 1983, seuls 13 articles évoquaient le lien entre les deux et un article de Waagstein et des auteurs suédois (Beta-blockers and dilated cardiomyopathies : they work) faisait alors office de précurseur visionnaire. Vingt ans plus tard, 283 articles évoquaient cette thématique et, entre les deux, les bêtabloquants étaient devenus l’un des traitements majeurs de l’insuffisance cardiaque, quelle qu’en soit l’étiologie. L’insuffisance cardiaque diastolique L’IC diastolique était déjà considérée comme une pathologie importante au début des années 80 ; 20
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :
Articles sur le même thème
Pagination
- Page 1
- Page suivante