Scanner coronaire : vers une approche intégrée de l’anatomie et de la physiologie
Alain TAVILDARI, Hôpital du Valais, Centre hospitalier du Valais Romand, Sion, Suisse
Le scanner coronaire s’est imposé comme un outil diagnostique incontournable dans l’exploration des maladies coronariennes(1,2). Initialement centré sur l’évaluation anatomique des sténoses épicardiques, il bénéficie aujourd’hui des avancées technologiques et de l’intelligence artificielle (IA) pour intégrer une analyse physiologique de la circulation coronaire. Cette approche multimodale permet une stratification plus fine du risque et une personnalisation de la prise en charge, s’inscrivant pleinement dans l’évolution contemporaine de la cardiologie interventionnelle.
L a coronaropathie ne se résume pas à la simple présence d’une sténose épicardique obstructive. UNE VISION GLOBALE DE LA CORONAROPATHIE Trois phénotypes cliniques majeurs doivent être pris en compte : Sténose épicardique obstructive Elle est définie par un rétrécissement luminal significatif (≥ 50 % pour le tronc commun gauche, ≥ 70 % pour les autres segments), elle est responsable d’ischémie myocardique. Son diagnostic repose sur l’imagerie anatomique et fonctionnelle, avec une stratégie thérapeutique combinant traitements médicamenteux et revascularisation par angioplastie ou chirurgie. Plaque vulnérable Elle est souvent asymptomatique et est le siège de remaniements pariétaux susceptibles de déclencher un syndrome coronarien aigu (SCA ). Sa détection repose sur des marqueurs scanographiques prédictifs d’événements graves (3), tels que le remodelage positif, la faible densité ( 30 UH), la microcalcification ou l’infiltration péricoronaire. Dysfonction microvasculaire Elle est présente dans plus de 50 % des coronaropathies sans sténose significative et est responsable d’ischémie myocardique par augmentation des résistances microcirculatoires. Le scanner permet d’en évaluer l’impact via l’analyse de la perfusion myocardique dynamique. Dans cet article nous avons choisi de développer l’ischémie et la plaque vulnérable, l’étude de la dysfonction microvasculaire par la perfusion moycardique pourra faire l’objet d’un article à part entière. ISCHÉMIE MYOCARDIQUE : CONSÉQUENCE FONCTIONNELLE DES STÉNOSES L’ischémie myocardique résulte d’un déséquilibre entre l’apport et la demande en oxygène du myocarde. Elle survient en présence d’une sténose coronarienne significative réduisant le flux sanguin au repos ou à l’effort. Son identification repose sur des tests fonctionnels tels que l’échographie d’effort, la scintigraphie myocardique, l’IRM de stress, ou encore, la FFR invasive. L’apport du scanner coronaire est majeur dans l’évaluation de l’ischémie grâce à la FFR virtuelle (FFRCT), qui permet une analyse fine et non invasive des répercussions hémodynamiques des sténoses (figure 1) (4). La FFRCT repose sur des modèles de dynamique des fluides ( computational fluid dynamics, CFD) (5) qui intègrent les équations de Navier-Stokes pour modéliser les gradients de pression et les variations de flux coronaires. Figure 1. A : Scanner et FFRCT montrant une atteinte athéromateuse diffuse de l’IVA avec une lésion sténosante sur le segment distal. La FFRCT de la lésion est à 0,75. B : Angiographie de l’IVA ne montrant pas de lésion serrée mais la FFR invasive retrouve la même mesure de 0,75 en hyperémie. Cette approche a été validée par plusieurs études cliniques de grande envergure : • PLATFORM (6) : démontrant une réduction significative des coronarographies inutiles grâce à la FFRCT. • ADVANCE (7) : confirmant la fiabilité diagnostique de la FFRCT avec une excellente corrélation aux mesures invasives. • DISCOVER-FLOW (8) : démontrant la capacité de la FFRCT à identifier les sténoses fonctionnellement significatives avec une sensibilité de 86 % et une spécificité de 79 %. D’un point de vue technique, il existe une deuxième méthode d’évaluation de la FFR virtuelle par scanner basée sur l’intelligence artificielle (IA). Cette intégration de l’IA dans le traitement des images permet aujourd’hui d’automatiser la segmentation des vaisseaux et d’améliorer la précision des calculs hémodynamiques en quelques minutes seulement, réduisant ainsi le délai diagnostique. VULNÉRABILITÉ DES PLAQUES : UNE NOTION INDÉPENDANTE DE L’ISCHÉMIE Contrairement à l’ischémie myocardique, conséquence directe d’une sténose coronarienne significative, la vulnérabilité d’une plaque athéromateuse repose sur un ensemble de caractéristiques morphologique s, histologiques et biologiques qui prédisposent à sa rupture, initiant ainsi la cascade thrombotique à l’origine des syndromes coronariens aigus. Dans une récente mise au point publiée dans JACC : Cardiovascular Imaging(9), Peter Libby et ses collaborateurs revisitent ce concept de « plaque vulnérable », introduit il y a plus de trois décennies à partir d’observations anatomopathologiques et d’études épidémiologiques ayant identifié la rupture de plaque suivie de thrombose comme mécanisme central des SCA. Aujourd’hui, la notion de plaque à haut risque s’est élargie. Elle englobe les trois grands phénotypes lésionnels susceptibles de déclencher une thrombose coronaire : – La rupture de plaque, favorisée par un cœur lipidique nécrotique instable ; – L’érosion de plaque, souvent associée à une fine chape fibreuse ( 65 μm) et une inflammation endothéliale ; – Les nodules calcifiés éruptifs, résultant de microcalcifications activement remodelées. La caractérisation précise de ces plaques impose une approche intégrée, combinant l’analyse de la morphologie et de l’ activité des lésions. L’imagerie endocoronaire (IVUS, OCT) a longtemps constitué l’outil de référence pour leur identification. Toutefois, les récents progrès du scanner coronaire, tant en résolution spatiale qu’en analyse fonctionnelle et inflammatoire, permettent aujourd’hui une évaluation non invasive fine des plaques athéromateuses, offrant ainsi de nouvelles perspectives pour la stratification du risque et la prise en charge personnalisée des patients. ANALYSE DE LA COMPOSITION DE LA PLAQUE ET CHARGE ATHÉROMATEUSE GLOBALE L’étude détaillée de la plaque athéromateuse est essentielle pour évaluer son risque de complication aiguë. Le scanner coronaire permet d’analyser sa composition et d’établir une charge athéromateuse globale, paramètre clé pour la stratification du risque cardiovasculaire (10). Charge athéromateuse globale : un indicateur prédictif La charge athéromateuse globale correspond à la quantité totale de plaque présente sur l’ensemble du réseau coronaire. Contrairement à l’évaluation segmentaire d’une lésion isolée, cette approche systémique permet d’anticiper le risque cardiovasculaire global (11). Plusieurs scores quantitatifs ont été développés pour estimer cette charge : – Segment involved score (SIS) : nombre total de segment s atteints par des plaques. – CT-Leaman score : intégration de la localisation des plaques et de leur importance dans la perfusion myocardique. – Plaque burden score (PBS) : proportion de la lumière vasculaire occupée par la plaque. Ces indices sont aujourd’hui optimisés par l’intelligence artificielle, qui permet d’automatiser leur calcul à partir des images scanographiques, réduisant ainsi l’hétérogénéité des interprétations. Composition de la plaque : caractéristiques et vulnérabilité Au-delà de cette valeur quantitative, le scanner coronaire permet de caractériser finement la plaque athéromateuse en fonction de ses composants structurels (figure 2) (12). Ceux-ci sont classés en trois grandes catégories, selon leur densité en unités Hounsfield (UH). Figure 2. Analyses de plaques. • Plaques calcifiées (densité > 350 UH) : – constituées principalement de dépôts de calcium ; – associées à un remodelage vasculaire chronique ; – peu susceptibles de rupture aiguë mais peuvent contribuer à une sténose obstructive ; – peuvent compliquer les procédures de revascularisation percutanée en raison de leur rigidité. • Plaques fibreuses (densité entre 130 et 350 UH) : – composées de tissu conjonctif dense ; – tendance à la stabilisation mais peuvent évoluer vers des plaques plus vulnérables ; – modérément associées à un risque de rupture, notamment si un cœur lipidique est présent. • Plaques lipidiques ou hypodenses (densité 30 UH) : – présence d’un cœur lipidique riche en cholestérol ; – chape fibreuse fine, favorisant la rupture et la formation de thrombus ; – fortement associées aux syndromes coronariens aigus (SCA), même en l’absence de sténose significative. La plaque vulnérable typique présente souvent un remodelage positif, des microcalcifications, une densité faible et/ ou un signe en napkin ring, prédictifs d’événements cardiovasculaires majeurs. Si deux de ces éléments sont présents, alors la plaque est qualifiée de haut risque ( high risk plaque, HRP) (figure 3). Figure 3. A : Plaque non sténosante de l’IVA proximale, mixte calcifiée et hypodense, évocatrice d’une plaque vulnérable. B : Analyse de la composition de la plaque et étude de l’inflammation par index d’atténuation du tissu adipeux péricoronaire (FAI). C : FFRCT confirmant le caractère non ischémiant de la lésion. D : Angiographie : discrète plaque modérément calcifiée de l’IVA proximale. E : imagerie OCT de la plaque mettant en évidence une érosion de l’endothélium en regard d’une calcification pariétale. Importance des plaques lipidiques dans la vulnérabilité coronarienne Parmi ces différentes catégories, les plaques lipidiques sont Figure 2. Analyses de plaques. les plus préoccupantes en raison de leur instabilité. Leur déstabilisation est souvent liée à des processus inflammatoires, qui fragilisent la chape fibreuse et favorisent la rupture. Plusieurs éléments renforcent la prédictibilité de ces plaques pour les événements aigus : • Le fat attenuation index (FAI) : un marqueur de l’inflammation péricoronaire, validé par l’étude CRISP-CT (13), qui permet d’identifier les plaques les plus à risque. • Le wall shear stress (WSS) (14) : force de cisaillement exercée par le flux sanguin, qui influence la progression et la rupture des plaques (en cours d’évaluation pour le moment et non encore intégrée en pratique de routine). Ainsi, une plaque lipidique peut provoquer un infarctus du myocarde sans sténose obstructive, ce qui explique pourquoi la seule analyse anatomique des coronaires ne suffit plus à prédire les événements cardiovasculaires. SCANNER CORONAIRE : un outil unifiant les deux concepts ischémie et vulnérabilité Ces deux approches, longtemps séparées, convergent vers une stratification complète du risque cardiovasculaire, intégrant à la fois l’obstruction et la susceptibilité de la plaque à l’événement aigu. L’intelligence artificielle
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