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Vers le « tout endo » pour le carrefour aortique ?
Jean-Baptiste BOCQUEL, service de chirurgie vasculaire, Clinique de la porte de l'Orient, groupe HGO, Lorient

Avec la révolution endovasculaire de la chirurgie vasculaire, les techniques mini-invasives d’angioplastie de la terminaison aortique, initialement développées pour les cas moins complexes de sténose, ont montré dès le départ des résultats prometteurs. Aujourd’hui, les reconstructions du carrefour par stents en kissing ou en « tour Eiffel » s’appliquent aux formes plus sévères et plus étendues de thrombose, repoussant encore les limites de l’endovasculaire dans le traitement de l’artériopathie oblitérante.
La chirurgie du carrefour aortique a toujours été un « grand classique » de notre spécialité. Pour l’opérateur, la satisfaction du service rendu est grande avec une prise en charge qui permet à des patients toujours actifs, souvent plus jeunes que la moyenne, de reprendre rapidement une vie normale. Jusqu’à la fin des années 1990, dans la plupart des services de chirurgie vasculaire, chaque semaine, plusieurs patients étaient opérés par voie ouverte d’une prothèse aortobifémorale. Le bénéfice de cette chirurgie lourde était certain, mais sa morbimortalité non négligeable (1). Après le succès des premiers traitements endovasculaires par angioplastie de la bifurcation aortique, les promoteurs de l’endovasculaire ont persévéré. Initialement le traitement endovasculaire était réservé aux atteintes les moins sévères et les moins diffuses, ne coupant pas les ponts pour une chirurgie classique ultérieure. L’objectif était double : alléger la prise en charge initiale et repousser l’échéance de la chirurgie ouverte. Portés par de bons résultats initiaux, entretenus par l’angioplastie itérative des resténoses (2-4) et tirant profit de l’amélioration du matériel, nous avons certainement tous progressé dans les techniques de recanalisation. Notre révolution endovasculaire a opéré. Le recours systématique au stenting a contribué à améliorer encore les résultats de perméabilité primaire (5). Bientôt, il faudra analyser statistiquement les résultats à plus long terme de nos reconstructions complexes utilisant des stents couverts à l’étage iliaque. En 20 ans, même si nos sociétés savantes ont tardé à actualiser leurs recommandations, les techniques endovasculaires ont fini par s’imposer pour le traitement de première intention de l’artériopathie aorto-iliaque, y compris dans les atteintes plus sévères classées TASC C ou TASC D (6,7). Conséquence logique, la chirurgie ouverte du carrefour aortique est devenue plus rare, réservée aux cas encore plus complexes de thrombose étendues à l’étage aortorénal, d’atteinte conjointe des troncs digestifs ou d’une pathologie anévrismale associée. Aujourd’hui, l’endovasculaire, gold standard pour l’étage aorto-iliaque, est fiable et efficace. Mini-invasif, il est même souvent compatible avec une prise en charge ambulatoire, notamment lorsque toute la procédure a pu être menée en percutané. Ce n’est pas de la magie, mais c’est magique ! Un patient de 60 ans, pénalisé par une claudication invalidante, pourra rapidement remarcher « comme un mec de son âge », ou une patiente de 50 ans, qui ne pouvait même plus monter ses escaliers, verra sa vie changer. Comme pour toute chirurgie, le succès de la recanalisation aorto-iliaque sera conditionné par deux éléments fondamentaux : l’anticipation de la procédure et la détermination de l’opérateur. Jamais sans scanner Pour anticiper la stratégie Incontournable, l’angioscanner préopératoire doit être systématique. La stratégie anticipée de l’intervention reposera sur son analyse précise et complète. Examiné en coupes axiales, l’angioscanner nous renseigne sur la nature de l’obstacle : calcifications ? matériel hypodense ? dissection ? petit pertuis au sein de la thrombose ? Il permet le « bilan d’extension » de la maladie occlusive sur l’étage aortorénal, sur la bifurcation aortique, les artères hypogastriques, les troncs digestifs, les trépieds fémoraux. Il nous montre la géométrie de la fourche aortique : ses angulations, ses sinuosités, les diamètres, les longueurs. Si une insuffisance rénale marquée contre-indique l’injection de produit de contraste, un scanner non injecté sera tout de même préconisé, avec au moins le mérite de repérer les calcifications, leur sévérité, leur localisation au sein de la thrombose et sur les accès fémoraux. L’angioscanner préopératoire nous permet de planifier ainsi la stratégie opératoire en anticipant les possibles difficultés de franchissement, le type de reconstruction, le matériel nécessaire, les voies d’abord, les angles de scopie, le recours éventuel au cross-over, voire le principe d’une voie brachiale ou axillaire pour une recanalisation antérograde de la bifurcation aortique ou pour la protection des artères rénales. Anticiper cette stratégie c’est définir un plan A et imaginer déjà un plan B. Un certain état d’esprit Persévérant voire combatif parfois… Ces procédures de recanalisation de la bifurcation aortique peuvent être longues et complexes, notamment lorsqu’il s’agit de traiter des thromboses très étendues ou très calcifiées. Il faudra se montrer persévérant, voire même combatif parfois… Le jour J, les difficultés anticipées à la lecture du scanner, appellent un mental « à toute épreuve », une détermination poussée par une conviction forte et soutenue par des leitmotivs qui nous viennent en tête dès qu’une solution endovasculaire est discutée : « rien à perdre avec l’endo… si on n’essaie pas, on ne risque pas d’y arriver… ce qui était trop complexe hier, est souvent plus facile aujourd’hui ». Soyons convaincus et confiants. Le matériel pour la recanalisation a progressé, les chirurgiens aussi. Et s’il y a échec du plan A, l’opérateur pourra sereinement persévérer dans un plan B, sans redouter d’aggraver la situation et sans craindre d’empêcher le recours ultérieur à une chirurgie ouverte rarement nécessaire mais toujours possible. Stratégie et technique Sous anesthésie générale Elle est réservée souvent aux cas les plus complexes. Tout d’abord pour le confort du patient qui conditionne celui du chirurgien dans des procédures parfois longues, nécessitant plusieurs voies d’abord, fémorales et axillaire ou brachiale. Parce que le temps de remodelage de l’aorte thrombosée peut être douloureux. Enfin, l’anesthésie générale nous met dans les conditions idéales d’une éventuelle conversion open urgente – précaution qui rassure pour mener une procédure avec un peu plus d’audace parfois… Voies d’abord et introducteurs Le déploiement de deux stents en kissing impose la mise en place d’un introducteur à chaque scarpa de 6 F voire 7 F si des stents couverts sont envisagés dans les iliaques primitives notamment. Il faudra parfois monter à 8 F, au moins d’un côté, pour un remodelage aortique au ballon à plus fort calibre. On peut utiliser des introducteurs longs de 25 ou 45 cm offrant de belles images angiographiques par opacification « à bout portant » et permettant le déploiement protégé des stents aortiques et iliaques. Il est parfois décidé d’utiliser une voie « haute », axillaire ou brachiale si une recanalisation antérograde est envisagée ou si une protection des artères rénales est préférable lorsque la thrombose aortique remonte en juxta-rénal. Un introducteur 6 F long de 90 cm offrira alors le bon appui pour la levée d’un verrou calcaire à l’ostium iliaque, par exemple. Et il est frappant de constater que la recanalisation antérograde (par cross-over ou par voie brachiale) d’une longue thrombose hypodense s’opèrera simplement et d’emblée dans le bon chenal, alors que toutes les tentatives rétrogrades s’engageaient irrémédiablement en dissection sous-intimale jusqu’à l’aorte juxta-rénale. Guides Les guides 0,035’’ sont en général adaptés pour les procédures de recanalisation aorto-iliaque. On pourra jouer sur la souplesse en appui sur la bonne sonde pour le temps du cathétérisme. Des guides plus rigides, après échange, donneront plus d’appui et de stabilité pour la progression du plus gros matériel, introducteurs, stents et ballons de remodelage. Il peut être avantageux parfois à la phase de franchissement d’une lésion calcifiée de recourir à un guide 0,018’’ qui, une fois passé, permettra une prédilataprédilatation à faible calibre avant de repasser en 0,035’’ pour la suite de la procédure. Sondes L’arsenal des sondes utiles reste sobre : – sonde béquillée 5 F BER II ou vertébrale pour le cathétérisme précis et stable d’un petit pertuis repéré sur l’angioscanner préopératoire ; – sonde béquillée 4 F BER II ou sonde 5 F droite profilée pour la progression dans la thrombose ; – sonde en crosse 5 F type UF pour l’amorce d’une recanalisation iliaque antérograde en cross-over ; – sonde vertébrale 5 F par un accès axillaire ou brachial pour le franchissement antérograde de l’étage aortique et le cathétérisme sélectif, l’une après l’autre, des artères iliaques ; – sonde pour cathétériser et protéger les artères rénales. A : Recanalisation rétrograde des deux côtés. Vérification du « bon chenal » à la sonde (BER II, 5 F). B : Prédilatation de tous les segments recanalisés au ballon de 5 mm. C : Positionnement avant largage du stent aortique autoexpansible Sinus XL 14 x 30 mm (Optimed) avec l’introducteur en repère à l’ostium de l’iliaque controlatérale. D : Kissing stent par déploiement simultané de deux stents acier couverts LifeStream ® 7 x 58 mm (Bard). E : Contrôle final. Figure 1 : Patiente de 52 ans avec une claudication invalidante. Thrombose de l’aorte basse débutant en regard d’une belle artère mésentérique inférieure. Géométrie pour la reconstruction stentée et choix des stents Si la thrombose aorto-iliaque ne concerne que les 15 derniers millimètres de l’aorte, un kissing stent couvrant complètement les lésions réalisera une géométrie harmonieuse avec tout au plus une légère transposition vers le haut de cette « néobifurcation » (figure 2). Kissing stenting aorto bi-iliaque. Stent acier couvert LifeStream ® 7 x 56 mm (Bard) de chaque côté. Figure 2 : Patiente de 65 ans en bon état général. Claudication invalidante sur une thrombose basse de la terminaison aortique. En revanche, si l’atteinte de la bifurcation remonte au-delà des 20 derniers millimètres de l’aorte, un montage en « tour Eiffel » composé d’un gros stent aortique et d’un kissing stent bi-iliaque sera privilégié (figure 3). Recanalisation antérograde par voie axillaire puis stenting en « tour Eiffel » toujours perméable aujourd'hui. Stent aortique auto-expansible Sinus XL 16 x 60 mm (Optimed). Kissing stenting bi-iliaque Assurant Cobalt® 8 x 60
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