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Thérapeutique

Publié le  Lecture 14 mins

Les craintes sur les anticoagulants oraux directs en utilisation prolongée sont-elles fondées ?

J.-C. DAUBERT, M. FOURNET*, *Service de cardiologie et maladies vasculaires, CHU de Rennes

Un rapport sur les anticoagulants oraux directs (AOD) publié par l’Académie nationale de médecine en 2014 concluait que « en l’état actuel des données de la littérature et au vu de celles résultant des pratiques encore récentes, les AOD doivent être considérés comme peu différents des AVK autant en termes d’efficacité que de risque en particulier hémorragique ; ils en représentent donc une alternative ». Il insistait sur la nécessité de données de suivi prolongé en conditions de vie réelle pour évaluer la sécurité à long terme.
Cette revue critique analyse avec le regard du clinicien, l’abondante littérature publiée depuis un an associant métaanalyses et analyses secondaires des essais cliniques AOD versus AVK dans la fibrillation atriale et la maladie thromboembolique veineuse, et suivis de cohortes.

Globalement, les résultats des études pharmaco-épidémiologiques sont rassurants, ne montrant pas de différences significatives entre « vie réelle » et ce qui était prédit par les essais cliniques. En particulier, Il n’a pas été observé de sur-risque global d’hémorragies. Le risque d’hémorragies intracrâniennes est plus faible sous AOD. Les données ne sont pas homogènes pour les hémorragies gastrointestinales. Enfin, il n’existe pas d’évidence de mésusage de ces nouveaux médicaments, en particulier en France. Malgré les limites actuelles des AOD (absence d’antidote vraie…), leur sécurité d’emploi semble satisfaisante, qu’ils soient utilisés en première intention ou en relais des AVK. Leur facilité d’emploi et une mei l leure adhérence au traitement sont à considérer. Des anticoagulants oraux inhibiteurs directs de la thrombine (dabigatran) ou du facteur Xa (rivaroxaban, apixaban) sont disponibles à la prescription et viennent concurrencer les antivitamine K (AVK), produits de référence. En usage curatif, les indications cliniques autorisées (AMM) concernent la fibrillation atriale (FA) non valvulaire pour la prévention des accidents thromboemboliques (ATE/AVC) en traitement continu, et la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) avec un traitement habituellement temporaire (3-12 mois). La population « cible » est considérable ; elle est estimée pour la seule FA à 1,5 million d’individus en France dont une proportion importante de sujets âgés (> 30 % de 80 ans et plus) et à risque plus élevé. Un rapport de l’Académie nationale de médecine sur les AOD a été rédigé sous la direction de Gilles Bouvenot en 2014 (1). Comparés aux AVK, les AOD ont des avantages potentiels : moindres contraintes pour le patient, pas de surveillance de l’activité anticoagulante, dose fixe, demi-vie brève, moindres interactions alimentaires et médicamenteuses au moins pour les produits les plus récents… Mais ils gardent d’importantes limites : élimination rénale prédominante qui contre-indique l’utilisation en cas d’insuffisance rénale sévère et impose la prudence en cas d’insuffisance rénale modérée, absence actuelle d’antidote que ne compense qu’en partie la demi-vie brève, absence de possibilité d’ajustements posologiques personnalisés, observance plus incertaine et difficile à évaluer… sans omettre un recul insuffisant et un coût élevé (x 6 vs AVK). La conclusion générale du rapport était que « en l’état actuel des données de la littérature et au vu de celles résultant des pratiques encore récentes, les AOD doivent être considérés comme peu différents des AVK autant en termes d’efficacité que de risque en particulier hémorragique ; ils en représentent donc une alternative ». Le rapport insistait aussi sur la nécessité de données de suivi prolongé pour évaluer la sécurité à long terme. Un an après ce rapport, la situation a-t-elle évolué ? Pour tenter d’y répondre, cette revue critique se base sur une réinterprétation des résultats des grands essais cliniques et sur les nombreuses données de suivi publiées au cours des derniers mois. Elle correspond à une vision de clinicien et non de méthodologiste. Informations complémentaires issues des essais cliniques Fibrillation atriale Plusieurs métaanalyses ou revues systématiques de la littérature ont été récemment publiées. La métaanalyse de C.T. Ruff et coll. (2) est la plus complète en ce qui concerne les essais randomisés dans la FA. Elle regroupe les données des quatre principales études, RE-LY (3) avec dabigatran, ROCKET AF (4) avec rivaroxaban, ARISTOTLE (5) avec apixaban et ENGAGE AF (6) avec edoxaban, totalisant 71 683 patients dont 59 % randomisés dans les bras AOD. La durée moyenne de suivi était de 2,2 ans (ext. : 1,9-2,8). Les populations n’étaient pas strictement comparables d’un essai à l’autre. En particulier, le score de risque thromboembolique (CHADS2) était plus élevé dans l’étude ROCKET AF (3,5 vs 2,1-2,2 dans les autres études). Ces différences n’autorisent pas de comparaison directe entre études et donc entre produits. Les principaux résultats de la métaanalyse figurent dans le tableau 1 et sont exprimés en réduction du risque relatif (RRR) observée avec les ADO comparés aux AVK (warfarine). Sont concernés le critère primaire d’efficacité (AVC/ embolies systémiques), le principal critère secondaire de sécurité (hémorragies majeures) et leurs composantes. En résumé, les AOD réduisent en moyenne le risque relatif d’AVC/embolies systémiques de 19 %. Le bénéfice est toutefois variable d’une étude à l’autre, compris entre 12 % (NS) dans les études ROCKET AF et ENGAGE AF et 36 % dans l’étude RE-LY avec la dose élevée de dabigatran (150 mg). Fait intéressant, l’effet bénéfique des AOD ne porte que sur les AVC hémorragiques (RRR : 51 %). Aucune différence n’est observée sur les AVC ischémiques. RRR : réduction du risque relatif ; HR : hazard ratio ; ATE : accidents thromboemboliques ; AVC : accidents vasculaires cérébraux ; HM : hémorragies majeures ; HIC : hémorragies intracrâniennes ; HGI : hémorragies gastro-intestinales. *p 0,01 ; **p 0,001. Concernant la sécurité, le risque relatif d’hémorragies majeures n’est pas significativement différent entre AOD et AVK. Seules les études ARISTOTLE (5) et ENGAGE AF (6) ont montré une RRR significative de 29 % et 20 % respectivement, en faveur de l’AOD. Concernant le type d’accidents hémorragiques, une réduction très significative (52 %) est observée pour les hémorragies intracrâniennes (0,7 % sous AOD vs 1,5 % sous AVK). En revanche, il existe un sur-risque (+25 % : 2,6 % vs 2 %) d’hémorragies digestives. Concernant la sévérité et la prise en charge des hémorragies majeures, une information intéressante est apportée par une réanalyse des résultats de RELY (7). Les patients sous dabigatran victimes d’hémorragie nécessitaient plus de transfusions sanguines mais moins de plasma que les patients sous AVK, avaient des durées de séjour en soins intensifs plus courtes (1,6 vs 2,7 nuits) et une mortalité à 30 jours plus faible (9,1 % vs 13 %). Ces données suggèrent un pronostic meilleur des hémorragies majeures sous dabigatran que sous AVK. Il est intéressant de noter que le ratio hémorragies majeures/ATE survenus en cours d’essai est en moyenne de 1,6, identique pour les AOD (1,61) et les AVK (1,63). Pendant un suivi moyen de 2 ans, 3,1 % des patients sous AOD et 3,8 % des patients traités par AVK ont présenté un ATE quand 5,2 % et 6,2 % respectivement ont eu une hémorragie majeure. En se référant à la métaanalyse de R.G. Hart et coll. (8) montrant une RRR de 65 % pour les AVC sous AVK par rapport au placebo, on peut admettre qu’un patient traité par anticoagulant oral pour FA a un risque égal de présenter une hémorragie majeure et d’éviter un AVC ou une embolie systémique en cours de traitement. Il convient aussi de rappeler que le risque d’hémorragie majeure augmente sur un mode quasi linéaire avec le temps, en particulier chez les sujets âgés (9) . Ces observations illustrent le « prix à payer » pour prévenir un événement clinique dans cette population. Dans la pratique, Il illustre la nécessité d’évaluer le risque hémorragique avant chaque prescription et de le réévaluer régulièrement au cours du suivi. Il souligne enfin le besoin de nouveaux critères pour évaluer le bénéfice réel de ces traitements à risque. Une évaluation objective du bénéfice net doit se substituer aux seuls critères d’efficacité clinique. Concernant enfin la mortalité totale (critère secondaire des études), il existe une réduction modeste (RRR = 10 %), mais significative avec les AOD. Dans la métaanalyse de Ruff (2) ainsi que dans une revue systématique de la littérature incluant les études observationnelles (10), les analyses de sous-groupes n’ont pas montré d’interaction significative tant pour le critère d’efficacité que pour le risque d’hémorragies majeures avec les principales caractéristiques de base des patients : âge, sexe, fonction rénale (sachant que l’insuffisance rénale sévère était un critère d’exclusion des études), histoire d’AVC/AIT, insuffisance cardiaque, diabète, prescription antérieure d’AVK. Seul le score CHADS2 ≥ 2 prédit un risque hémorragique plus élevé (p 0,01) confirmant qu’il s’agit d’un indicateur de risque composite même s’il est surtout utilisé en pratique pour prédire le risque thromboembolique et indiquer le traitement anticoagulant. Maladie thromboembolique veineuse À titre indicatif, sont indiqués dans le tableau 2 et la figure les principaux résultats des essais cliniques avec dabigatran (11-13), rivaroxaban (14-17), apixaban (17) et edoxaban (18) dans la maladie thromboembolique veineuse et de leur métaanalyse (19). Les durées de traitement étaient plus courtes que dans la FA (3, 6 ou 12 mois). Les résultats sont cohérents avec les observations faites dans la FA. L’efficacité clinique (récidives de thromboses veineuses profondes ou d’embolies pulmonaires) est non inférieure à celle des AVK. Le risque d’hémorragies majeures ou d’hémorragies « cliniquement significatives » (hémorragies fatales, hémorragies intracrâniennes, hémorragies digestives sévères) est globalement réduit avec toutefois des différences sensibles d’un produit à l’autre. La méta analyse ne montre pas de sur-risque d’hémorragies gastrointestinales sévères. TEV : événements thromboemboliques veineux ; H : hémorragies ; HGI : hémorragies gastro-intestinales. *p 0,01 ; **p 0,001. Métaanalyse (N. van Es (19) ) des essais cliniques randomisés comparant AOD et AVK dans la maladie thromboembolique veineuse. Études pharmacoépidémiologiques en conditions de « vie réelle » Dans les mois qui ont suivi la commercialisation du dabigatran aux États-Unis en 2010, la FDA s’est inquiétée de multiples messages d’alerte pour des accidents hémorragiques graves associés à l’utilisation de ce produit (11). Le taux d’événements rapportés était supérieur à celui attendu à partir des résultats de l’étude RE-LY (3) et l’expérience ancienne des AVK. Pour déterminer si ces alertes

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