Faut-il fermer un foramen ovale perméable en 2018 ? La pratique clinique
Meyer ELBAZ*, Sébastien HASCOËT**, *service de cardiologie, CHU Rangueil, Toulouse, **Département des cardiopathies congénitales, Hôpital Marie Lannelongue, Le PlessisRobinson
Congrès APPAC
Les foramen ovales perméables sont fréquents en population générale et ne constituent pas une pathologie en soi. Le foramen ovale perméable (FOP) est un shunt nécessaire durant la vie fœtale. À la naissance, le septum secundum vient s’accoler sur la fosse ovale du septum primum. Le FOP correspond à un défaut d’accolement avec persistance d’un shunt possible entre les deux oreillettes. La prévalence élevée du FOP (20 à 30 %) dans la population générale ne permet pas de retenir cette seule anomalie comme constitutive d’une pathologie en soi. La fréquence des nouveaux cas est estimée entre 120 et 150 000/an en France.
L’existence d’un FOP peut être associée au cours de la vie à diverses pathologies : en premier lieu, l’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique cryptogénique, mais aussi le syndrome de platypnée-orthodéoxie, certains accidents de plongée, le syndrome carcinoïde ou des migraines. La physiopathologie et l’imputabilité du FOP dans les accidents qui peuvent survenir dans ces circonstances est souvent difficile à étayer. Un lien a été établi anciennement entre la survenue de certains AVC sans causes identifiées (dits cryptogéniques) et l’existence d’un FOP. Le risque paraît plus élevé lorsque la perméabilité du septum est associée à un anévrisme du septum auriculaire (ASIA), association moins fréquente en population générale que le FOP isolé. La présence d’un FOP et d’un ASIA peut aussi être impliquée dans le syndrome dit de « platypnée-orthodéoxie » qui se traduit sous forme de désaturation aiguë et sévère en position debout ou de dyspnée aggravante sine materia généralement chez le patient âgé. La fermeture du FOP permet généralement une amélioration clinique spectaculaire. Des formes frustes de ce syndrome sont très certainement fréquemment ignorées. D’après les données épidémiologiques déjà anciennes et les recueils d’imagerie, les AVC cryptogéniques représentent 15 à 25 % des AVC ischémiques et jusqu’à 80 % chez les patients âgés de moins de 60 ans. Parmi ces patients, la proportion de porteurs de FOP est de 40 à 50 % (association deux fois plus fréquente que dans la population générale) et l’association FOP et ASIA est également significativement plus élevée. De ce fait, l’existence d’un FOP a été reconnue comme facteur de risque potentiel d’AVC ischémique sans que le mécanisme physiopathologique soit clairement établi. Une thrombose veineuse profonde (TVP) concomitante ou précédant l’AVC et/ou des facteurs favorisant la TVP ne sont que rarement retrouvés (moins de 10 % des cas). L’existence d’un FOP est également associée au risque de récidive d’AVC dans la population de patients ayant déjà présenté un premier accident sans étiologie déterminée. Le risque de récidive est accru par l’association à un ASIA ou par un passage important ou massif de bulles (lors de l’épreuve dite de bulles) passage qui peut être spontané ou provoqué par une manœuvre de Valsalva. Ceci a été clairement montré dans le travail de J.-L. Mas en 2001 (1). La tentation a été grande de proposer une fermeture du FOP comme méthode de prévention des AVC et en particulier des récurrences. Plusieurs constructeurs ont proposé des modèles de prothèses implantables par voie percutanée dès le début des années 2000 sans qu’une preuve d’efficacité soit alors apportée dans des essais randomisés. Le ratio bénéfice-risque potentiel apparaissait d’autant plus faible que l’implantation peut être associée à des risques non négligeables, surtout en l’absence d’expérience de l’implanteur à mettre en balance avec un taux de récidive annuel d’AVC relativement bas sous traitement antiagrégant ou anticoagulant seul. Le choix d’indications discutables, un taux élevé de complications en partie lié à une expérience insuffisante et possiblement à l’architecture de la prothèse, sont à l’origine des résultats négatifs de l’essai randomisé CLOSURE I (2) (prothèse Starflex NMT inc). Au total, 909 patients ayant présenté un AVC ou AIT sont inclus en ouvert dans cette étude qui compare fermeture de FOP versus traitement médical. Le suivi est de 2 ans. Aucun bénéfice n’est retrouvé dans le bras implantation d’un dispositif avec au contraire un taux relativement élevé de complications vasculaires à l’implantation. Les raisons de cet échec se comprennent mieux à la lecture des études actuelles. CLOSURE I a inclus des patients ayant présenté un AIT ou un AVC récent, sans exclure les AVC profonds possiblement lacunaires (30 % de patients hypertendus dans la population globale de l’étude mais 46 % chez les patients présentant un accident neurologique récurrent) et sans exclure les événements neurologiques récurrents sans lésion vasculaire en imagerie cérébrale. Malgré l’exclusion des migraines, il est vraisemblable que de nombreux événements migraineux, voire d’autre nature (ictus, comitialité…) ont été validés comme étant des AVC. D’autres paramètres ont concouru aux résultats négatifs de cette étude : un nombre de patients élevé présentant un shunt de bas grade, une durée de suivi courte, réduite à 2 ans. Il y a beaucoup de cross over entre les 2 bras et de patients perdus de vue. Enfin il faut souligner que l’architecture de la prothèse pouvait entrainer des mauvais déploiements et l’expérience des implanteurs apparaissait parfois insuffisante. Dans ces conditions, la Haute Autorité de santé a restreint en 2005 les indications de fermeture (hors communication inter-atriale) à la platypnée-orthodéoxie. La CCAM a créé l’acte DASF005 limité à cette indication. En 2015, la mise à jour de la HAS ouvre modérément l’indication aux patients porteurs d’un FOP, âgés de moins de 60 ans ayant présenté un AVC ou un AIT récidivant sous traitement médical bien conduit. De 2008 à 2014 (première publication de l’étude RESPECT), ne sont publiés que des études aux méthodologies discutables n’ayant inclus qu’un faible nombre de patients (PC TRIAL) (3) ou des métaanalyses aux résultats contradictoires. Les premiers résultats de RESPECT et de PC TRIAL envoient néanmoins un signal favorable à la fermeture comme l’ont souligné en 2016 les membres du board de l’Académie américaine de neurologie (4). Les données cumulées des deux essais ont retrouvé une différence significative favorable à la fermeture confirmant la métaanalyse de Rengife-Moreno (5). Il faut également souligner que le critère principal de jugement de l’étude RESPECT était la réduction de la récurrence des AVC ischémiques toutes causes. La réduction des AVC cryptogéniques était un critère secondaire avec un résultat significatif. Compte tenu des cross over et des récurrences d’événements ischémiques survenus dans l’attente de la fermeture percutanée du FOP, l’analyse per-protocole de RESPECT était significative en faveur de la fermeture. En conséquence, l’Académie américaine de neurologie a souligné le besoin d’essais randomisés plus larges et mieux conduits (4). En mai 2016, la FDA a demandé une extension du suivi de l’essai RESPECT. En octobre 2016, la FDA a accordé une autorisation d’implantation pour la prothèse Amplatzer dans la prévention de la récurrence des AVC ischémiques chez les patients ayant présenté un « AVC cryptogénique dû à une embolie paradoxale présumée ». En route vers de nouvelles recommandations ? Au mois de mai 2017 ont été communiqués les résultats des essais GORE-REDUCE et CLOSE. Cette dernière étude était très attendue en France puisqu’il s’agit d’un STIC multicentrique français (32 centres) et allemand (2 centres) conduit par Jean-Louis Mas, essai institutionnel indépendant de l’industrie. En septembre 2017, ces trois essais (RESPECT extension, REDUCE et CLOSE) sont publiés dans le même numéro du New England Journal of Medicine accompagnés d’un éditorial et de commentaires. Dans l’essai RESPECT (6) (prothèse Amplatzer ; laboratoire Saint Jude Medical aujourd’hui ABBOTT) avec un suivi prolongé (5,9 ans médiane de suivi), la fermeture du FOP réduit de 62 % la récurrence des AVC ischémiques cryptogéniques en intention de traiter versus traitement médical (aspirine ou anticoagulants) (IC 0,18-0,79 ; p = 007). Cette significativité persiste si l’on considère la récurrence de l’ensemble des AVC. L’essai GORE REDUCE (7) a inclus 664 patients avec un ratio 2:1 comparant la fermeture des FOP avec la prothèse Hellex puis Cardioform (laboratoire GORE) à l’aspirine (pas de traitement anticoagulant dans cet essai). L’objectif principal est la prévention des récurrences d’AVC cryptogéniques. Les patients ayant bénéficié d’une fermeture ont reçu un traitement par aspirine au long cours. Dans cet essai, 20 % des patients ont un ASIA et 80 % un shunt droit-gauche modéré (39 %, moins de 5 bulles) ou important (42 % ; plus de 25 bulles). Les taux de récurrence ont été significativement réduits durant le suivi (médiane 3,2 ans) 5,4 % dans le bras médical versus 1,4 % dans le bras fermeture (RR 0,51 ; IC 0,29-0,91 ; p = 0,04). L’essai CLOSE (8) (11 types de prothèses ont été utilisés dont 50 % Amplatzer) a inclus 633 patients de moins de 60 ans ayant présenté un AVC cryptogénique et porteurs d’un FOP associé à un shunt important dans 90 % des cas et éventuellement à un ASIA (24 %). Dans les cas de shunt modéré, les FOP étaient associés à un ASIA (9 % des patients). L’un des points clés de cet essai est donc une bonne évaluation des critères morphologiques et de perméabilité du FOP, préalable à toute discussion de fermeture. Ceci repose sur la réalisation d’une imagerie du septum d’excellente qualité (ETO d’excellente qualité, manœuvre de Valsalva, semi-quantification de l’importance du shunt, mesure quantitative de l’expansion du septum pour définir l’ASIA et évaluation du caractère flaccide de la membrane inter-atriale) (figure 1). Figure 1. A. ETO. Évaluation et mesure d’un éventuel ASIA. Épreuves de bulles avec manœuvre de Valsalva. B. Grade 0 : aucun passage de microbulles, absence de FOP ; grade 1 (passage faible) ; grade 2 (passage important) : passage de 10 à 30 microbulles ; grade 3 (passage massif souvent spontané en couleur) : passage de plus de 30 microbulles. Dans l’étude CLOSE, 90 % des patients inclus ont un passage de bulle grade 2 ou 3 ; 10 % ont un grade 1 avec ASIA. Dans cette population très sélectionnée les résultats sont spectaculaires puisque aucune récurrence ne survient chez les patients ayant bénéficié d’une fermeture contre 14 dans le bras médical (IC 0-0,26 ; p 0,001). Il n’y a pas de différence significative dans le bras médical entre les traitements antiagrégants et anticoagulants confirmant les données connues jusqu’à présent concernant l’absence de bénéfice des anticoagulants. Dans cette
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