



Publié le
Lecture 11 mins
Les AVC emboliques de cause inconnue : aspects diagnostiques et thérapeutiques
Guillaume TURC, service de neurologie et unité neuro-vasculaire, CH Sainte-Anne, Paris

Les infarctus cérébraux (IC) constituent un groupe très hétérogène sur le plan physiopathologique et étiologique. En préciser le mécanisme puis la cause représente une étape importante dans la prise en charge initiale et va permettre la prescription du traitement de prévention secondaire le plus adapté.
La classification étiologique des IC la plus utilisée actuellement distingue schématiquement 5 types de causes : athérosclérose des artères de gros calibre (environ 20 % des IC en France ( 1)), origine cardio-embolique (25 %), IC lacunaires (20 % : IC profond de moins de 15 mm de diamètre, situé dans le territoire des artérioles perforantes), autre cause déterminée (5 % : dissection, vascularite…), et cause indéterminée (IC cryptogénique, 30 %) (2). L’analyse des registres de population internationaux suggère que dans 20 à 50 % des cas, aucune cause n’est retenue à l’issue du bilan étiologique ( 1). Ce constat a conduit au développement du concept d’ Embolic Stroke of Unknown Source (ESUS), proposé en 2014 par le Cryptogenic Stroke/ESUS International Working Group ( 3). Puisque la cause de nombreux IC ne peut être déterminée, le groupe de travail a suivi un raisonnement mécanistique et probabiliste, retenant qu’un mécanisme embolique est bien plus fréquent qu’une origine hémodynamique, vasospastique ou thrombotique in situ. Les auteurs ont fait l’hypothèse que trois sources emboliques potentielles sont à l’origine de la plupart des IC d’étiologie indéterminée : embolie cardiogénique, embolie artéro-artérielle (aorte, portion proximale des troncs supra-aortiques), ou origine veineuse (embolie paradoxale). Le groupe de travail a proposé de substituer le concept d’ESUS à celui d’IC cryptogénique pour tous les IC non lacunaires pour lesquels une source cardio-embolique majeure, une sténose d’au moins 50 % dans le territoire artériel concerné et une autre cause spécifique ont été écartés à l’issu d’un bilan étiologique défini (tableau 1) . Pour pouvoir poser le diagnostic d’ESUS, il est donc nécessaire de confirmer formellement le diagnostic d’IC non lacunaire, soit en scanner, ce qui nécessite généralement de répéter cet examen 24 à 48 h après le début des symptômes, soit directement en IRM. L’exploration artérielle doit être à la fois extra et intracrânienne : angioscanner, angio-IRM, ou écho-Doppler des troncs supra-aortiques et transcrânien. Les explorations cardiaques doivent comporter au minimum une échocardiographie transthoracique, un électrocardiogramme, et un monitoring cardiaque automatisé ou un holter ECG, d’au moins 24 heures. Il n’est pas défini de bilan biologique minimal. Les ESUS regroupent de nombreuses sources et causes potentielles d’IC, qui sont détaillées dans le tableau 2. Les plus nombreuses correspondent à des sources cardio-emboliques dites mineures, souvent d’origine structurelle ou rythmique. L’hypothèse sous-tendant le regroupement de ces diverses sources emboliques sous le terme d’ESUS est qu’elles sont toutes associées à la formation d’un thrombus, qui pourrait être évitée par la prescription d’un traitement anticoagulant, particulièrement d’un anticoagulant oral direct en raison d’un risque d’hémorragie intracrânienne plus faible qu’avec les anti-vitamine K ( 4). Il est cependant à noter qu’une majorité de patients ESUS ne présentent aucune des causes mentionnée dans le tableau 2, l’ensemble du bilan étiologique étant strictement négatif. Plusieurs essais randomisés sponsorisés par l’industrie pharmaceutique visent à comparer, suite à un ESUS récent, un anticoagulant oral direct à l’aspirine, qui reste le traitement de référence dans les IC cryptogéniques ( 5-8). Les résultats de l’étude NAVIGATE ESUS, qui concerne le rivaroxaban, ont été publiés en 2018 dans le New England Journal of Medicine ( 6). NAVIGATE ESUS était un essai international contrôlé randomisé en double aveugle visant à comparer le rivaroxaban 15 mg/j à l’aspirine 100 mg/j chez les patients de plus de 49 ans ayant présenté un ESUS datant de 7 jours à 6 mois. Les patients de 50 à 59 ans devaient en outre présenter au moins l’un des facteurs de risque cérébro-vasculaires suivants : hypertension artérielle, diabète, tabagisme actif non sevré, antécédent d’IC, insuffisance cardiaque. Une particularité de NAVIGATE ESUS est que la réalisation d’une imagerie intracrânienne n’était pas indispensable avant de pouvoir poser le diagnostic d’ESUS. Le critère de jugement principal d’efficacité était la survenue d’un accident vasculaire cérébral (ischémique ou hémorragique) ou d’une embolie systémique. Les accidents ischémiques transitoires n’étaient pas inclus dans ce critère de jugement ( 9). Les critères de jugement secondaires d’efficacité incluaient un critère composite comportant décès d’origine vasculaire, accident vasculaire cérébral, embolie systémique et infarctus du myocarde ; la mortalité toutes causes confondues ; la survenue d’un accident vasculaire cérébral invalidant ou fatal. Le critère de jugement principal de sécurité était la survenue d’une hémorragie majeure, définie selon les critères de l’ International Society of Thrombosis and Hemostasis ( 10). Les critères de jugement secondaires de sécurité incluaient, d’une part, la survenue d’une hémorragie fatale ou engageant le pronostic vital et, d’autre part, la survenue d’une hémorragie intracrânienne (traumatique ou non traumatique). Les critères de jugement étaient adjudiqués par un comité dédié. L’analyse principale de cet essai de supériorité était réalisée en intention de traiter. L’objectif de recrutement de l’étude a été atteint, avec l’inclusion de 7 213 patients en 34 mois au sein de 31 pays, notamment en Europe de l’Ouest (43 % des inclus). Cependant, NAVIGATE ESUS a été arrêtée prématurément après la deuxième analyse intermédiaire, en raison, d’une part, d’un sur-risque hémorragique dans le bras rivaroxaban et, d’autre part, pour futilité. À l’issue de la randomisation, les facteurs de confusion potentiels étaient parfaitement équilibrés entre les deux groupes. L’âge moyen était de 67 ans, et le délai médian entre l’IC qualifiant et la randomisation était de 4 semaines. Il est à noter que les patients inclus avaient été quasi exclusivement victimes d’un IC mineur, avec un score clinique de sévérité très faible au moment de la randomisation (NIHSS médian à 1). Seuls 10 % des patients présentaient un aspect d’IC multiples en imagerie. Le suivi médian était de 11 mois, et le taux annualisé du critère de jugement principal d’efficacité était de 5,1 % dans le bras rivaroxaban, contre 4,8 % dans le bras aspirine (HR 1,07 ; IC95% : 0,87-1,33 ; p = 0,52). Le taux annualisé de récidive d’IC était de 4,7 % dans les deux bras. Le taux annualisé de survenue du critère principal de sécurité (hémorragie majeure) était 1,8 % dans le bras rivaroxaban, contre 0,7 % dans le bras aspirine (HR 2,72 ; IC95 % : 1,68-4,39 ; p 0,001), et celui d’hémorragie intracrânienne symptomatique était également en défaveur du rivaroxaban (0,6 % contre 0,1 %, HR 4,02 ; IC95% : 1,51-10,7 ; p = 0,003). Le taux d’hémorragie fatale ou engageant le pronostic vital était deux fois plus élevé chez les patients traités par anticoagulant. Aucune analyse de sous-groupe n’était en faveur du rivaroxaban. Plusieurs pistes peuvent être avancées pour expliquer les résultats décevants de cette étude. Il est possible que les critères d’inclusions aient été trop larges, reflétant une grande hétérogénéité dans les mécanismes responsables de l’IC et entraînant une dilution du possible bénéfice de l’anticoagulation. Une limite potentielle de la notion d’ESUS est en effet que celle-ci regroupe des patients hétérogènes et des sources emboliques potentielles très diverses. En particulier, la présence d’un foramen ovale perméable (FOP) est listée parmi celles-ci, car le concept d’ESUS a été défini avant la publication des essais randomisés montrant une supériorité de la fermeture du FOP par rapport au traitement médical en prévention secondaire de l’IC cryptogénique ( 11-13), avec un bénéfice possiblement plus important en cas de FOP large ou d’association à un anévrisme du septum interauriculaire (14). Il est cependant à noter que ces essais n’ont pas été conçus pour comparer spécifiquement fermeture du FOP et anticoagulation efficace ( 14). Il est regrettable que le bilan étiologique minimal dans le cadre des ESUS ne comporte ni épreuve de contraste ni échocardiographie transœsophagienne. Certaines sources emboliques rassemblées sous le nom d’ESUS correspondent à des embolies artéro-artérielles à partir d’une plaque athéroscléreuse, au niveau de l’aorte ou bien des artères extra- ou intracrâniennes. La cause des IC chez ces patients pourrait être considérée comme liée à l’athérosclérose des artères de gros calibre selon certaines classifications étiologiques ( 15). En effet, les plaques réalisant une sténose de moins de 50 % font partie intégrante des ESUS, et ce même si elles présentent des caractères de vulnérabilité comme une hémorragie intra-plaque ou une ulcération. On peut faire l’hypothèse que ces patients pourraient bénéficier davantage d’un traitement antiplaquettaire optimisé et d’une statine à forte dose que d’une anticoagulation efficace ( 16,17). L’athérome de la crosse de l’aorte est également listé parmi les causes d’ESUS mais le bilan étiologique minimal (tableau 1) ne comprend malheureusement pas d’exploration de la crosse aortique. Il a été montré que la présence d’une plaque de plus de 4 mm, d’un aspect ulcéré ou d’un élément mobile sont associés à un risque 3 à 4 fois plus important d’IC par rapport à l’absence de plaque ( 18). Cependant, le traitement optimal pour ces lésions reste mal codifié. L’essai thérapeutique randomisé ARCH a comparé l’association aspirine-clopidogrel à un traitement anticoagulant par warfarine (INR cible entre 2 et 3) après un IC, un accident ischémique transitoire (AIT) ou une embolie systémique chez des patients porteurs d’une plaque aortique présentant les caractéristiques de vulnérabilité décrites ci-dessus ( 19). En raison d’une dynamique de recrutement insuffisante, peut être favorisé par l’absence de bras comportant uniquement de l’aspirine, l’étude a été arrêtée par défaut de financement après l’inclusion de 349 patients, suivis en moyenne 3,4 ans. En
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :
Articles sur le même thème
Pagination
- Page précédente
- Page 2
- Page suivante