Physiopathologie et spécificité échographique de l'insuffisance mitrale ischémique
L. A. PIERARD, P. LANCELLOTTI, CHU Sart Tilman, Université de Liège, Belgique
L’insuffisance mitrale (IM) ischémique ne consiste pas en une maladie valvulaire, mais elle représente la conséquence valvulaire d’une dilatation et d’une dysfonction ventriculaires gauches (VG). Il s’agit donc d’une IM fonctionnelle, apparaissant sans qu’il n’y ait d’anomalie structurelle de la valve mitrale.
L’IM ischémique résulte de la balance entre des forces de traction et des forces de fermeture ; un des éléments essentiels est son caractère dynamique. L’échocardiographie est la technique de choix pour l’évaluation d’une IM ischémique. L’examen doit renseigner sur les anomalies du VG, la déformation de l’appareil valvulaire mitral, la sévérité quantifiée de l’IM et son caractère dynamique.
L'IM ischémique est rarement liée à un épisode aigu d’ischémie myocardique. Le terme peut donc prêter à confusion. Il s’agit donc d’une formule raccourcie, caractérisant une situation clinique qui s’accompagne d’une « IM secondaire à un remodelage ventriculaire gauche global ou régional compliquant une maladie coronarienne chronique qui a donné lieu à un ou plusieurs infarctus myocardiques en l’absence le plus souvent d’une ischémie aiguë réversible ». Physiopathologie La fermeture incomplète de la valve mitrale est liée, d’une part, à des forces de traction accrues et, d’autre part, à des forces de fermeture réduites. Forces de traction Les forces de traction accrues sont liées à la déformation géométrique de l’appareil valvulaire mitral, secondaire au remodelage du VG qui se développe suite à un ou plusieurs infarctus myocardiques. Le point de départ consiste en un déplacement latéral et postérieur d’un ou des deux muscles papillaires. Ce déplacement entraîne une traction accrue sur les feuillets valvulaires par l’intermédiaire des cordages tendineux. Plus les piliers sont déplacés loin de l’anneau mitral, plus la traction des feuillets est importante et plus la régurgitation est sévère. Le déplacement apical du point de coaptation des feuillets valvulaires engendre une forme de tente par rapport à l’anneau mitral. La surface sous la tente est un paramètre étroitement relié à la taille de l’orifice régurgitant (figure 1). Figure 1. A. Coupes parasternale grand axe et apicale des 4 cavités chez un sujet normal. B. Déformation de l’appareil valvulaire mitral chez un patient présentant une IM ischémique. Phénomène de traction sur les feuillets valvulaires avec déplacement apical, entraînant une distance importante du point de coaptation par rapport à l’anneau et une large surface sous la tente. La géométrie de la surface sous la tente peut être asymétrique ou symétrique : - la forme symétrique est observée chez les patients qui ont présenté un infarctus antérieur. Dans cette situation, le remodelage ventriculaire gauche est global ; le ventricule gauche est plus sphérique, le volume ventriculaire gauche est plus important, de même que le déplacement apical des feuillets valvulaires. La surface de l’anneau mitral est également un paramètre déterminant ; - chez les patients qui ont des antécédents d’infarctus inférieur, la surface sous la tente est asymétrique ; la traction prédomine sur le feuillet postérieur, dans une zone proche de la commissure interne. Le remodelage ventriculaire gauche est davantage régional ; l’élément déterminant est la surface sous la tente dans la partie médiane. La mobilité de la valve postérieure est réduite. Forces de fermeture La dysfonction ventriculaire gauche joue également un rôle important dans la genèse de l’IM ischémique. Cette dysfonction entraîne un retard de montée de pression pendant la phase de contraction isovolumétrique et un faible gradient de pression transmitral. Un élément important chez les patients en insuffisance cardiaque est le degré d’asynchronisme intraventriculaire gauche, soit au niveau des segments de la base du ventricule gauche, soit au niveau des piliers avec un décalage temporel de leur activation qui peut être important. Conséquences Si l’oreillette gauche est peu compliante, l’énergie générée par la régurgitation est essentiellement transformée en énergie potentielle dont témoigne une élévation de la pression auriculaire gauche sous la forme d’une onde V ample. L’IM chronique entraîne une dilatation progressive de l’oreillette gauche qui devient plus compliante mais entraîne également une surcharge volumétrique du ventricule gauche, ce qui contribue à un cercle vicieux. Plus le ventricule gauche est dilaté, plus l’IM est sévère ; plus l’IM est sévère, plus le ventricule gauche se dilate encore. Les conséquences en amont se traduisent par l’apparition d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Les variables indépendantes associées au degré d’HTAP sont les volumes de l’oreillette gauche, la déformation valvulaire mitrale, dont la surface sous la tente est le témoin, et la surface de l’orifice régurgitant. Caractère dynamique La surface de l’orifice régurgitant est le paramètre le plus robuste qui témoigne de la sévérité de l’IM. L’orifice régurgitant peut varier au cours de la systole. Dans le cas de l’IM ischémique, la surface de l’orifice régurgitant est moindre en mésosystole par rapport aux phases proto- et télésystoliques. Ces modifications de l’orifice régurgitant sont déterminées de manière préférentielle par les changements dynamiques de pression transmitrale qui contribuent à la fermeture valvulaire. La contribution de la surface de l’anneau et de la contraction annulaire est beaucoup plus faible. Un autre aspect du caractère dynamique de l’IM ischémique est la diminution du volume régurgité à la suite d’un traitement médicamenteux approprié. Les classes médicamenteuses qui entraînent progressivement un remodelage VG inverse, tels les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les bêtabloquants, permettent la réduction des forces de traction et s’accompagnent d’une diminution de l’IM. La dobutamine agit essentiellement par ses propriétés inotropes en augmentant les forces de fermeture. Les vasodilatateurs tels que les nitrés améliorent les conditions de charge et réduisent le volume régurgité par l’intermédiaire d’une réduction de la surface de l’origine régurgitant. Le troisième aspect du caractère dynamique correspond à des modifications de la sévérité de l’IM dans la vie courante à la suite de divers éléments qui modifient les conditions de charge du ventricule gauche. Il s’agit rarement d’un épisode d’ischémie myocardique. Les éléments qui concourent à cette modification de sévérité peuvent être une montée brusque de pression artérielle, le passage de la position debout à la position couchée qui entraîne une majoration du retour veineux, un effort physique. Il n’y a en fait pas de relation entre la sévérité de l’IM au repos et les variations secondaires à une épreuve d’effort. • Chez certains patients, les modifications sont faibles. • D’autres patients ont une IM modérée, voire sévère au repos, mais une diminution à l’effort. Cette diminution survient le plus souvent à la suite du recrutement d’une réserve contractile, en particulier au niveau de la partie postérobasale du VG et/ou une diminution, voire une abolition de l’asynchronisme intraventriculaire gauche. • À l’inverse, certains patients développent une augmentation importante de l’IM à l’effort, que la régurgitation au repos soit légère, modérée ou sévère. Lorsque l’IM est légère dans les conditions basales et que, dès lors, l’oreillette gauche est peu compliante, l’augmentation brutale du volume régurgité est transmise en amont et peut entraîner une dyspnée ou même un œdème pulmonaire aigu, si les mécanismes de compensation tels que l’augmentation du débit lymphatique sont dépassés. L’augmentation importante de l’IM à l’effort est corrélée à une augmentation rapide du taux sérique de peptides natriurétiques de type B. Si l’on étudie une population importante, on constate qu’au moins 30 % des patients majorent leur IM à l’effort, que 20 % la diminuent, que les variations sont négligeables dans la moitié des cas. À nouveau, les variations des forces de traction et de fermeture jouent un rôle déterminant. Les variations de la surface de l’orifice régurgitant sont directement corrélées, d’une part, aux variations de la surface sous la tente et, d’autre part, aux modifications de l’asynchronisme ventriculaire gauche. Spécificités échocardiographiques L’échocardiographie est la technique de choix pour évaluer les patients porteurs d’une IM ischémique. Une attention particulière doit être portée à tous les éléments qui la caractérisent et qui la déterminent. L’importance de l’IM doit être quantifiée. Les anomalies géométriques et fonctionnelles doivent être définies. Le caractère dynamique doit être étudié. Quantification L’importance de la régurgitation est encore trop souvent estimée par la simple évaluation qualitative du jet dans l’oreillette gauche en utilisant les grades suivants : minime (1+), modéré (2+), modéré à sévère (3+) et sévère (4+). Ce mode d’analyse devrait être abandonné. En effet, la surface du jet de régurgitation dans l’oreillette gauche et le rapport entre la surface de régurgitation et la surface de l’oreillette gauche (en %) présentent de nombreux pièges. La mesure est peu reproductible, dépend de nombreux facteurs tels que : – le niveau de gain, – la taille de l’oreillette gauche, – la vitesse de repliement spectral, – la direction du jet. De plus, la mesure surestime l’IM fonctionnelle. Le diamètre du jet au niveau de la vena contracta est un paramètre plus utile et requiert une excellente résolution latérale. L’IM est jugée sévère lorsque ce diamètre est supérieur à 7 mm. Les méthodes quantitatives sont préférables. Le Doppler volumétrique est techniquement plus difficile. Doivent être mesurés les volumes antérogrades passant par la valve mitrale et la valve aortique ; le volume de régurgitation est mesuré par la différence entre ces deux volumes. La méthode la plus utilisée en pratique est la méthode basée sur l’étude de la zone de convergence ou méthode PISA. Sont mesurés le rayon de la PISA, la vitesse sélectionnée de repliement spectral, la vitesse maximale et l’intégrale temps-vitesse du spectre des vélocités en Doppler continu. Dans le cas de l’IM ischémique, le mode TM couleur doit être utilisé pour évaluer la zone de convergence et juger des variations du rayon au cours de la systole. La méthode PISA repose sur le paradigme du caractère hémisphérique de la PISA. On sait cependant, en particulier grâce à l’échocardiographie 3D en temps réel, que la PISA est le plus souvent hémi-elliptique et qu’une formule hémi-elliptique de calcul pourrait être plus adéquate. Anomalies géométriques Un certain nombre de mesures doivent être obtenues pour
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