Surveillance et traitement des grands enfants et des adultes opérés de tétralogie de Fallot
L. COHEN, T. HAZELZET, J. ZOGHBI et Y. LECOMPTE, Unité de Cardiologie Congénitale, Institut Hospitalier Jacques Cartier, Massy
Plusieurs dizaines d’années se sont écoulées depuis les premières réparations de tétralogie de Fallot. On a pu espérer que les résultats immédiats, le plus souvent brillants, de ces réparations se maintiendraient définitivement et que les patients pourraient bénéficier d’une vie de durée et de qualité proches de la normale. C’est probablement cet espoir qui a justifié l’appellation de « cure complète » donnée depuis longtemps à cette opération, par opposition à la chirurgie palliative. Il faut malheureusement se rendre à l’évidence : de nombreux patients, même ceux qui ont bénéficié des techniques les plus raffinées de chirurgie et de protection myocardique, n’ont pas un cœur normal et risquent de souffrir de troubles variables dans leur délai d’apparition, leurs manifestations cliniques et leur gravité.
La surveillance de ces patients laisse souvent à désirer pour diverses raisons : - ils se croient eux-mêmes guéris de toute affection cardiaque, puisqu’ils n’ont souvent aucun souvenir de leur opération, faite dans la petite enfance et qu’ils ont pendant longtemps été indemnes de tout symptôme ; - parvenus à l’âge adulte, ils ne sont généralement plus surveillés par les cardiopédiatres et pas (ou mal) pris en charge par les cardiologues d’adultes jusqu’à ce qu’apparaissent des troubles sérieux. On assiste ainsi depuis quelques années au développement de cette pathologie, fruit des premières décennies de la chirurgie cardiaque, pathologie encore mal connue, donc mal surveillée et probablement mal traitée. Dans la prise en charge de ces patients, la chirurgie a une place importante. Ce chapitre a pour but d’en définir les indications et les modalités. Les causes de lésions résiduelles après réparation chirurgicale La réparation de la tétralogie a deux buts principaux : la fermeture de la communication interventriculaire (CIV) et la levée de l’obstacle entre le ventricule droit et les artères pulmonaires. Pour atteindre ces deux buts, le chirurgien doit avoir recours à une série de gestes qui, tous, peuvent être à l’origine de séquelles. L’incision du cœur et la résection musculaire Classiquement, les lésions cardiaques sont abordées par une incision ventriculaire droite, permettant de réséquer les bandelettes musculaires obstructives et de fermer la CIV. Dans les premières années de cette chirurgie, cette incision était de grande taille, pour donner au chirurgien le confort qu’imposaient une relative inexpérience et surtout l’absence de techniques efficaces de cardioplégie. Elle est actuellement beaucoup plus petite, limitée à la partie haute de l’infundibulum. Depuis la fin des années 80, on a même proposé de ne plus faire d’incision ventriculaire et de n’utiliser qu’un abord atrial, éventuellement complété par une incision du tronc pulmonaire. En fait, cette solution est très imparfaite pour au moins deux raisons : - la levée de l’obstacle intraventriculaire exige dans la quasi totalité des cas une résection musculaire intraventriculaire, qui peut être au moins aussi agressive et donc délétère pour la fonction ventriculaire que l’incision épicardique ; - un certain nombre de réparations exigent la section de l’anneau pulmonaire et une incision du haut de l’infundibulum pas beaucoup plus petite que celle qui permet de faire la totalité de la réparation. On n’a d’ailleurs jamais pu démontrer la supériorité de cet abord transatrial sur l’abord ventriculaire classique. Malheureusement, on doit admettre que la réparation de la tétralogie comporte nécessairement une agression du muscle ventriculaire droit, soit directement, par section ou résection, soit indirectement, par lésions d’artères coronaires traversant le muscle au niveau de ces sections musculaires. La fermeture de la CIV Elle se fait très généralement par un patch. Les séquelles possibles de ce geste sont liées à des lésions du tissu de conduction. Le bloc auriculo-ventriculaire complet est devenu rare. Plus souvent, c’est la branche droite qui est lésée, participant à la genèse d’un bloc de branche plus ou moins complet, l’autre facteur de ce bloc pouvant être la résection musculaire. Il semble que ce trouble de conduction, longtemps considéré comme banal, voire inévitable, est moins anodin qu’on ne le pensait. Il semble même être de mauvais pronostic lorsqu’il s’aggrave au fil du temps. Par ailleurs, il n’est pas rare qu’il persiste un shunt résiduel, de degré variable, qui peut constituer l’une des imperfections de la réparation. Le traitement de la sténose valvulaire pulmonaire Dans un grand nombre de cas (très diversement appréciés dans les publications), l’appareil valvulaire pulmonaire participe à l’obstacle à l’éjection du ventricule par deux mécanismes, souvent associés : l’hypoplasie de l’anneau et la malformation du tissu valvulaire. Le traitement du premier mécanisme est la section de l’anneau, celui du second la commissurotomie. Dans les deux cas, on crée une insuffisance pulmonaire, aujourd’hui de plus en plus souvent mise en cause dans la détérioration des résultats à distance. L’agrandissement de la voie pulmonaire Dans la très grande majorité des cas, la levée de l’obstacle pulmonaire nécessite l’agrandissement, par patch, de la voie d’éjection. Seules des formes anatomiques extrêmement favorables, à la limite de la définition stricte de la tétralogie, ne nécessitent pas d’agrandissement, au moins au niveau de l’infundibulum. En cas d’hypoplasie de l’anneau, ce patch est infundibulo-pulmonaire. S’il y a une sténose d’une branche pulmonaire ou des deux, il s’étend au-delà de la bifurcation. Les séquelles possibles de ce geste d’agrandissement sont de trois ordres : - au niveau du ventricule, le patch est une zone akinétique, parfois dyskinétique dont l’existence même altère le fonctionnement ventriculaire ; - sur l’ensemble de la voie d’éjection, il peut exister, immédiatement après l’opération ou plus tard, un ou plusieurs obstacles résiduels ; - enfin, peuvent survenir des anévrismes soit par dilatation du tissu constituant le patch soit par distension du tissu naturel sur lequel a été fixé ce patch. Cette lésion est particulièrement fréquente au niveau de l’infundibulum du ventricule droit, et elle est souvent plus sévère du côté gauche du patch, sans doute parce que l’incision ventriculaire est responsable d’une interruption, de ce côté, de la perfusion venant de la coronaire droite. À ces séquelles de la chirurgie, il faut ajouter les anomalies du lit vasculaire pulmonaire. Leur sévérité, très variable, est très probablement dépendante des anomalies circulatoires fœtales accompagnant la cardiopathie. La diminution du flux pulmonaire peut empêcher la poursuite du développement pulmonaire après la naissance. Enfin, d’éventuelles interventions palliatives (anastomoses systémico-pulmonaires) peuvent aggraver les anomalies du lit pulmonaire par deux mécanismes : distorsions mécaniques et/ou sténose cicatricielle des artères sur lesquelles a porté l’anastomose, altérations du lit d’aval soit par hyperdébit, soit au contraire par mauvaise perfusion. Indications chirurgicales Les indications de la réintervention chirurgicale sont encore, malheureusement, très mal codifiées. Certes, il existe d’assez nombreuses publications concernant la réintervention sur tétralogie de Fallot. Elles concernent des patients qui ont en commun des symptômes quasi constants : limitation de la capacité d’effort, insuffisance pulmonaire, dilatation et/ou dysfonction ventriculaire droite, troubles du rythme. Cependant, ces différentes séries sont très peu homogènes quant à la sévérité de ces symptômes, le recul par rapport à la réparation initiale, l’âge de cette réparation. Il n’existe pas, à notre connaissance, de publications concernant des indications de réintervention dans des séries de patients suivis de façon prospective, étudiant l’évolution de cette symptomatologie ainsi que la qualité du lit vasculaire pulmonaire. Nous nous bornerons donc à énumérer les symptômes et les anomalies qui peuvent amener à discuter une réintervention. Signes cliniques Il s’agit de manifestations d’insuffisance cardiaque. La plus banale d’entre elles est la limitation des capacités d’effort physique. Cette gêne est souvent d’appréciation difficile car, de survenue progressive, elle est souvent minimisée par le patient. On ne devrait plus voir arriver à la chirurgie des patients qui ont tous les signes classiques de l’insuffisance cardiaque droite, ou même de l’insuffisance cardiaque globale, comme c’est encore trop souvent le cas. Troubles du rythme La survenue de troubles du rythme est très souvent le signal d’alarme qui, à la fois, amène le patient à consulter un cardiologue et constitue l’occasion de faire un bilan des lésions résiduelles. Ces troubles peuvent être très variables dans leur gravité : fibrillation, flutter ou tachysystolie auriculaires, extrasystolie, tachycardie voire épisodes de fibrillation ventriculaire. L’élargissement progressif du QRS est maintenant considéré comme un facteur pronostique permettant de prévoir l’augmentation du risque d’arythmies ventriculaires graves. Dilatation et dysfonction ventriculaires droites, insuffisance valvulaire C’est par l’échographie et, plus récemment, par la résonance magnétique que sont étudiées les anomalies ventriculaires et valvulaires. La dilatation ventriculaire droite est quasi constante chez les patients candidats à une réintervention. Elle s’accompagne fréquemment d’une altération plus ou moins sévère de la fonction systolique qui devrait être évaluée systématiquement chez tous les opérés. L’apparition ou l’aggravation d’une telle dysfonction est un élément important dans l’indication d’une réintervention. Il est en outre important d’analyser la part qui revient, dans la dilatation, à l’existence d’un anévrisme de la voie de sortie du ventricule droit. Bien que cette lésion ait fait l’objet de beaucoup moins d’études que les anévrismes ischémiques du ventricule gauche, il est difficile d’imaginer qu’elle n’ait pas les mêmes conséquences sur la fonction ventriculaire et sur la genèse de troubles du rythme ventriculaire. Nous pensons par conséquent qu’elle mérite une analyse préopératoire et un traitement chirurgical spécifiques. L’insuffisance valvulaire pulmonaire est moins méconnue. Inévitablement associée aux réparations comportant une section de l’anneau et un patch infundibulo-pulmonaire, elle peut survenir après une simple commissurotomie, voire sans qu’aucun geste n’ait été fait sur la valve lors de la réparation : il s’agit alors, vraisemblablement, d’une dilatation de l’anneau liée celle du ventricule et à des imperfections de la réparation artérielle pulmonaire. Il s’agit donc à la fois d’une cause et d’une conséquence des anomalies qui sont à prendre en compte dans le traitement du patient ; il est
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