Vieillissement cardiovasculaire : physiologique ou pathologique ?
B. SWYNGHEDAUW, hôpital Lariboisière, Paris
Physiologiques ou pathologiques, le vieillissement, l’hypertrophie cardiaque ? Pour l’hypertrophie, la réponse est simple, ce qui n’empêche pas que la question soit souvent posée : ce sont les causes qui sont physiologiques ou pathologiques, ce n’est pas, ou très rarement, l’hypertrophie en soi. Mais pour le vieillissement ? Il se trouve toujours, lorsque le débat est ouvert, un physiologiste intransigeant et féru de sémantique pour dire qu’il y a une physiologie du sujet âgé comme il existe une physiologie de l’enfant. Foin de sémantique ! Ce qui définit le pathologique, c’est qu’il y a approche thérapeutique, et, de fait, on ne traite jamais, ou rarement, une hypertrophie en soi, on en traite la cause ou les défaillances, car l’hypertrophie est d’abord compensatrice.
Le système cardiovasculaire du sujet âgé Il est caractérisé par : une augmentation de l’impédance caractéristique des gros vaisseaux, sans hypertension ; un index cardiaque inchangé au repos et à l’effort, même si la VO2max est diminuée ; un dysfonctionnement diastolique avec gêne au remplissage rapide initial (onde E à l’écho) et augmentation du remplissage d’origine auriculaire (onde A) ; des arythmies bénignes dont la fréquence croît avec l’âge ; une réserve coronaire réduite et une sensibilité plus grande aux effets de l’ischémie ; enfin, la sensibilité aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion reste normale, malgré les modifications du système rénine-angiotensine. Le cardiologue doit-il envisager de traiter le vieillissement ? La réponse n’est pas simple pour deux raisons étroitement associées : • l’âge est un risque, c’est même un facteur de risque majeur, et de risque cardiovasculaire ; en particulier, le risque lié à l’âge est tellement élevé qu’il masque des risques aussi connus que le tabagisme par exemple. Trois affections CV sont plus particulièrement associées à l’âge : - la fibrillation auriculaire - l’insuffisance cardiaque, - et les manifestations cliniques de l’athérosclérose ; • le vieillissement s’accompagne de nombreuses modifications relativement spécifiques, délétères, vasculaires et myocardiques qui facilitent le développement de maladies CV et qui toutes sont ou peuvent être des cibles thérapeutiques. Ces manifestations font en quelque sorte le lit de la pathologie CV véritable du sujet âgé. Le vieillissement : un phénomène récent Nous vivons de plus en plus longtemps, mais l’augmentation de la durée de vie est récente, et surtout elle est extrêmement variable d’un bout à l’autre de la planète. L’espérance de vie est passée par exemple de 46 ans en 1950, à 66 ans en 1998. Les causes majeures de mortalité étaient autrefois les maladies infectieuses et la dénutrition, ce sont maintenant les maladies cardiovasculaires, le cancer et le diabète, mais cette transition épidémiologique est variable selon le pays, voire la région : – dénutrition et infections prédominent et la durée de vie est très courte en Afrique subsaharienne ; – quand les problèmes infectieux commencent à régresser, les problèmes CV commencent à devenir préoccupants, c’est le cas de la Chine contemporaine ; – l’espérance de vie continuant à augmenter, on en vient au stade où les problèmes CV deviennent majeurs, c’était notre cas il y a 50 ans, c’est celui de l’Inde urbaine contemporaine ; – chez nous (en Europe, aux EU), en ce moment, du fait des campagnes préventives intensives contre le tabac ou la sédentarité, les maladies CV commencent à régresser et la durée de vie continue à augmenter ; – mais il est des pays, comme la Russie, qui retrouvent une espérance de vie faible, du fait de la récurrence des maladies infectieuses. Les différences entre pays ou régions sont énormes, la mortalité CV en Ukraine est par exemple 10 fois plus élevée qu’au Japon. Ces différences reflètent un ensemble complexe de facteurs culturels ou socio-économiques. Pendant longtemps on a recherché une cause simple, unique à l’origine du vieillissement, un gène de longévité ou le déclin d’une fonction essentielle et unique ; cette manière de voir est erronée. Le vieillissement est un processus multifactoriel Il y a maintenant un consensus pour penser que le vieillissement n’est pas programmé et que, même s’il existe des gènes affectant la longévité, cette composante héréditaire influence finalement peu la durée de vie humaine moyenne. Ce que l’on appelle la sénescence réplicative est le fait que, in vivo, certaines cellules perdent leur capacité de se diviser, mais, d’une part, il est des tissus dont les cellules ne peuvent se diviser à l’âge adulte, ces tissus vieillissent quand même ; mais il est d’autres formes de vieillissement cellulaire, comme la fibrose, qui n’ont rien à voir avec la perte de cette seule propriété. On ne peut en 2005 réduire le vieillissement à un seul processus, voire à une seule théorie et définir le vieillissement est aussi difficile et hasardeux que de définir la vie. Il existe un grand nombre de théories du vieillissement, aucune ne rend compte de la globalité du processus, chaque théorie ne rend compte que de l’un des aspects de ce processus très complexe, mais chacun de ces aspects est réel ; en d’autres termes, chacune de ces théories repose sur une donnée exacte, mais aucune ne rend compte de tous les aspects du vieillissement. L’une des difficultés pour appliquer ces données expérimentales à l’homme est que, chez l’homme, la situation est d’une grande hétérogénéité, l’hétérogénéité ayant tendance à croître avec l’âge. De plus, les deux seules « thérapies » validées du vieillissement sont, tous les cardiologues le savent, la restriction calorique et l’exercice physique. Le message passe, et cela accroît l’hétérogénéité. Le vieillissement cardiovasculaire dans son ensemble Du vieillissement CV, les différents aspects sont résumés dans l’encadré 1. Le vieillissement cardiovasculaire n’est que l’expression régionale d’un processus biologique général irréversible qui touche tous les tissus. Le cœur sénescent reflète à la fois ce processus général, le vieillissement endocrinien et le vieillissement du système artériel. Le processus général du vieillissement en soi diminue les compliances artérielles et ventriculaires gauches, essentiellement du fait du développement d’une fibrose qui compense la perte des cardiocytes ; de plus, il modifie la structure de la paroi artérielle essentiellement par glycation, et la rend plus vulnérable aux facteurs de risque d’athérosclérose (encadré 2). L’insuffisance coronarienne, l’insuffisance cardiaque, les accidents vasculaires cérébraux sont des maladies du sujet âgé ; l’âge facilite l’émergence d’affections génétiques à pénétrance faible ; l’âge prolonge le contact avec des facteurs de risque comme le tabac, la surnutrition, le diabète, l’hypertension artérielle, le cholestérol et la pollution atmosphérique ; l’âge enfin est associé à la sédentarité, l’isolement psychologique et la pauvreté qui sont des facteurs de risque indépendants. Rares sont les études, comme la Baltimore Longitudinal Study of Aging réalisée par le Ed. Lakatta et son épouse au NIH, chez des sujets âgés sans antécédents coronariens, avec un ECG au repos et à l’effort et une épreuve au thallium normaux. Elles seules permettent d’éliminer, autant que faire se peut (car la sensibilité à l’ischémie augmente avec l’âge), les insuffisances coronariennes latentes. Il y a maintenant un grand nombre d’arguments cliniques et expérimentaux qui permettent d’affirmer qu’avec l’âge, et en dehors de cette pathologie, la fonction cardiaque est modifiée. Le vieillissement myocardique Débit cardiaque au repos et à l’effort Le myocarde du sujet âgé n’est normal ni au plan physiologique, ni aux plans biologique et moléculaire, si l’on considère que la norme est le jeune adulte, mais pendant très longtemps la plupart des anomalies sont compensées à la fois au repos par la contraction de l’oreillette gauche et, à l’effort, par la mise en jeu de la loi de Starling. Le débit cardiaque au repos des personnes âgées est normal, à condition d’être mesuré comme cela a été fait dans l’étude de référence précitée. L’âge réduit, bien évidemment, les performances à l’effort et en particulier la VO2max (de 5 à 10 % par décade entre 25 et 75 ans), mais ce paramètre ne dépend pas du seul débit cardiaque ; il dépend aussi de la fonction pulmonaire et de la fraction d’oxygène extraite par le muscle. Les innombrables travaux consacrés à ce sujet ont montré que le myocarde n’était pas le premier coupable. En revanche, les sujets âgés ont une réponse aux catécholamines réduites et, à l’effort, ils augmentent leur débit non pas en accélérant leur fréquence cardiaque, mais en jouant sur la loi de Starling, c’est-à-dire essentiellement en augmentant leur volume d’éjection (figures 1 A et B). Figure 1. Les composants du débit cardiaque chez l’homme jeune ou âgé. Il s’agit d’une représentation schématique des résultats de l’étude de Baltimore. A. Le débit cardiaque est le produit de la fréquence cardiaque par le volume d’éjection. À l’effort, le sujet jeune augmente son débit essentiellement du fait de la tachycardie. Avec l’âge, la réponse sympathique est atténuée, la tachycardie à l’effort est réduite, mais le sujet âgé arrive à maintenir un débit cardiaque dans les limites de la normale en augmentant son volume télédiastolique, c’est-à-dire en jouant sur la loi de Starling. B. En haut : en effet, chez le sujet jeune, le volume télédiastolique a tendance à diminuer à l’effort et le facteur majeur responsable de l’élévation du débit cardiaque est la tachycardie. Au contraire, chez le sujet âgé, pour un même débit cardiaque, la participation du volume s’accroît. B. En bas : pour une même augmentation du débit cardiaque, le volume télésystolique est plus élevé chez le sujet âgé que chez le sujet jeune. La fonction diastolique La compliance ventriculaire et la vitesse de remplissage diastolique précoce du ventricule diminuent progressivement avec l’âge pour trois raisons, une augmentation de la fibrose due au processus général du vieillissement, une altération de la captation du calcium par le reticulum sarcoplasmique due à la surcharge d’impédance du ventricule gauche et une diminution de la réserve coronarienne. Cette diminution rend compte des modifications de l’onde E à l’échocardiographie ; elle est compensée par une augmentation du remplissage due à la contraction des oreillettes, laquelle se traduit par une augmentation de l’onde A. Les études faites sur des oreillettes ont montré que leur structure moléculaire était modifiée en vue d’assurer une meilleure économie de la contraction auriculaire. Le dysfonctionnement diastolique est une des caractéristiques majeures du cœur sénescent. L’hypertrophie ventriculaire gauche compensée L’impédance
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