Pathologie valvulaire cardiaque : le TAVI toujours en tête
J.-L. MONIN, CHU Henri Mondor, Créteil
ESC
Cette année encore, pas de scoop majeur dans le domaine des valvulopathies. Sans surprise, l’évaluation des prothèses transcathéter (TAVI) domine très largement la sélection d’abstracts et même les sessions plénières. Chaque pays ayant son registre sur le TAVI, les données s’accumulent et permettent d’évaluer la technique sous tous ses angles : sélection des patients et place de l’imagerie, fuites périprothétiques, taux d’implantation de pacemaker et enfin élargissement des indications vers les patients à faible risque opératoire. À part le TAVI ? Beaucoup de sessions sur la sténose aortique qui reste la valvulopathie n°1 et sur l’insuffisance mitrale. Comme chaque année, j’ai sélectionné une quinzaine d’études qui peuvent avoir un intérêt assez direct pour notre pratique quotidienne.
Évaluer la fragilité et l’invalidité avant remplacement valvulaire ou TAVI Première étude italienne (1) évaluant la prévalence et l’impact pronostique de la fragilité avant replacement valvulaire aortique (RVA) ou implantation d’une bioprothèse aortique transcathéter (TAVI) sur une série de 191 patients à risque opératoire relativement élevé : âge > 80 ans ou EuroSCORE I (logistique) > 20 %. Les patients étaient considérés comme fragiles en cas de présence d’au moins 2 items parmi les suivants : - IMC 20 kg/m 2 ; - albumine sérique 3,5 g/dl ; - Mini Mental Score 24/30 ; - incontinence urinaire ou fécale, dépendance pour les activités quotidiennes (se laver, se nourrir, etc.) ou dépendance totale pour les transports. Noter au passage que les 2 derniers items entrent plutôt dans le cadre de l’invalidité. Le profil de risque des patients opérés (n = 79) était plus favorable que dans le groupe TAVI (n = 112) : âge = 80 ± 4 vs 82 ± 6 ans (p = 0,01) ; EuroSCORE plus faible : 12,3 ± 6,3 % vs 22,1 ± 13,3 % (p 0,001) et classe NYHA III/IV moins fréquente : 43,9 % vs 87,5 % (p 0,001). Moins de patients fragiles également dans le groupe chirurgical : 3,0 % vs 26,8 % dans le groupe TAVI (p 0,001). Finalement, la fragilité est un facteur pronostique indépendant de mortalité périprocédure (AVR ou TAVI : risque relatif de décès = 2,7, IC95 % : 1,5-4,9, p 0,001) y compris après ajustement sur l’EuroSCORE. Les auteurs concluent que l’évaluation de la fragilité est importante puisqu’elle apporte des éléments supplémentaires par rapport aux scores de risque (qui évaluent surtout les comorbidités). En cas de fragilité extrême, toute procédure invasive (TAVI inclus) peut se révéler futile, sans bénéfice à moyen terme pour le patient. Plusieurs autres études ont confirmé ces résultats, dont une étude espagnole (2) concernant 438 patients de plus de 75 ans ayant un rétrécissement aortique calcifié (RAC) sévère et suivis de manière prospective : âge moyen = 83 ± 4,7 ans et 58,2 % de femmes, principaux symptômes : dyspnée classe IIIIV NYHA dans 35 % et angor classe CCS III-IV dans 11,5 % des cas. Des critères de fragilité étaient retrouvés chez 44,1 % des patients, plus fréquemment chez les femmes (71 %). Une fois de plus, la fragilité influence de manière déterminante la mortalité à moyen terme : un an et demi après l’intervention, la mortalité est de 13 % (fragile) vs 8 % (non fragile, p 0,001) après RVA et de 45 % vs 12 % (p 0,001) après TAVI. Ici encore, l’impact pronostique de la fragilité est indépendant des facteurs de comorbidité (âge, classe NYHA, maladie coronaire, insuffisance rénale, etc.) et multiplie par 2 le risque de décès après intervention. En résumé, un nombre croissant d’études démontre l’importance d’évaluer la fragilité et la dépendance, en plus des comorbidités avant de décider d’une intervention cardiaque, notamment remplacement valvulaire aortique ou TAVI. La fragilité est définie comme une vulnérabilité au stress, liée à une faiblesse générale ou la défaillance de plusieurs organes ; elle est à distinguer de l’invalidité qui entraîne une perte d’autonomie pour les tâches de la vie courante et des comorbidités (insuffisance respiratoire, insuffisance rénale, etc.). En pratique, comment évaluer nos patients ? Une étude récente (3), dont le but était de tester les meilleurs échelles d’évaluation, donne un résultat intéressant : la fragilité peut être évaluée de manière très simple par un test de rapidité à la marche de 5 mètres (encadré 1) et l’invalidité par l’échelle de Nagi (encadré 2). En plus d’un score de risque opératoire qui reste indispensable (score STSPROM de préférence à l’Euro-SCORE), ces 2 échelles permettent d’avoir une évaluation plus globale du patient afin de mieux évaluer le rapport bénéfice/risque avant une intervention valvulaire aortique. Dans tous les cas, la décision d’intervention doit être validée de manière collégiale par un staff multidisciplinaire (Heart Team) composé de cardiologues cliniciens et interventionnels, chirurgiens cardiaques, anesthésistes, gériatres ou toute autre spécialité en fonction des cas individuels ( cf. recommandations ESCEACTS 2012 et AHA-ACC 2014 sur la prise en charge des maladies valvulaires). Rétrécissement aortique (I) : critères de sévérité discordants Faut-il modifier certaines valeurs seuils dans les recommandations afin d’harmoniser les critères de sévérité du RAC ? Une équipe allemande (4) continue d’exploiter la mine de données de l’étude SEAS (Simvastatin and Ezetimibe in Aortic Stenosis). Il a été démontré que la prévalence de RAC sévères au sein d’une même population peut varier de 40 à 76 % en fonction du critère de sévérité considéré (tableau 1). De plus, la correspondance entre une surface aortique brute de 1,0 cm 2 et une surface indexée à 0,6 cm 2/m 2 présuppose une surface corporelle moyenne de 1,67 m 2, ce qui est au-dessous des moyennes actuelles. Partant de cela, les auteurs ont évalué le taux d’événements cardiaques indésirables survenus parmi les 1 525 patients (initialement asymptomatiques) de l’étude SEAS en fonction des quintiles de surface valvulaire aortique brute et indexée à la surface corporelle. Il s’avère que dans le quintile des RAC les plus sévères, la surface aortique moyenne était de 0,7 ± 0,1 cm 2, correspondant à une surface indexée de 0,4 cm 2/m 2 (surface corporelle moyenne dans l’étude SEAS : 1,89 m 2) et un taux d’événements à 5 ans de 50 %. Dans le second quintile, la surface aortique moyenne était de 1,0 ± 0,1 cm 2, correspondant à une surface indexée de 0,5 ± 0,1 cm 2/m 2 et un taux d’événements de 40 %. Les auteurs concluent qu’il serait logique de ramener le seuil de sévérité à 0,5 cm 2/m 2 pour la surface aortique indexée. Rappelons que cette valeur de 0,5 cm 2/m 2 était celle proposée dans les recommandations françaises (SFC) de 2005 (5). Rétrécissement aortique (II) : calcification valvulaire/bas débit paradoxal Le degré de calcification valvulaire est un des facteurs pronostiques majeurs dans le RAC. Une étude multicentrique coordonnée par l’équipe de Bichat (6) a évalué de manière prospective 295 patients ayant un RAC modéré à sévère. La sévérité hémodynamique était quantifiée par échographie Doppler et le score calcique valvulaire calculé à partir d’un scanner sans injection. Malgré une bonne corrélation entre le gradient moyen transvalvulaire et le score calcique (r = 0,70 ; p 0,0001), le score calcique était en moyenne plus élevé en cas de bicuspidie (figure 1) par rapport aux valves à 3 sigmoïdes et chez les hommes par rapport aux femmes, à sévérité hémodynamique comparable. Par ailleurs, la rapidité de progression des calcifications valvulaires était fortement influencée par le degré de sévérité hémodynamique initiale (gradient moyen). En d’autres termes, pour une même sévérité hémodynamique, le degré de calcification valvulaire aortique est déterminé par le sexe (masculin) et l’étiologie (bicuspidie) ; en fin d’évolution, plus le RAC est sévère et plus les calcifications progressent rapidement. Ceci est un argument pour penser qu’un traitement efficace sur le processus de calcification valvulaire pourrait être utile à tous les stades de la maladie, y compris en cas de RAC sévère. Figure 1. Échographie transthoracique/zoom sur une vue parasternale transverse. Rétrécissement aortique calcifié sur bicuspidie de forme commune : raphé calcifié (flèches) situé entre les 2 sigmoïdes coronaires droite (D) et gauche (G). N : sigmoïde non coronaire. À degré de sévérité comparable, le score calcique est plus élevé en cas de bicuspidie par rapport aux valves à 3 sigmoïdes (cf. Abstract 2390). Bas débit paradoxal : on en reparle avec une étude du groupe de l’université Saint-Luc à Bruxelles (7) qui a suivi de manière prospective 105 patients consécutifs ayant un profil hémodynamique compatible avec un RAC en bas débit paradoxal (surface aortique indexée 0,6 cm 2/m 2 avec gradient moyen 40 mmHg malgré une fraction d’éjection VG > 50 %). Pour l’ensemble du groupe, au cours d’un suivi moyen de 21 mois, le gradient moyen transvalvulaire a progressé de 29 ± 6 mmHg à 38 ± 11 mmHg (p 0,001). In fine, 45 % des patients avaient dépassé 40 mmHg de gradient moyen et donc basculé dans la catégorie « haut gradient » ; 37 % gardaient un gradient moyen 40 mmHg mais avec une progression significative (de 26 ± 5 mmHg à 32 ± 5 mmHg ; p 0,001) et seuls 18 % des patients ont vu leur gradient moyen stagner ou diminuer avec dans le même temps une dégradation de leur fraction d’éjection dans 11 cas/18. Les auteurs concluent que la plupart des patients ayant un profil de bas gradient « paradoxal » évoluent en fait vers le profil « classique » avec haut gradient transvalvulaire. Le bas gradient « paradoxal » serait donc une forme transitoire, moins évoluée que le RAC à haut gradient, et non un stade plus évolué de la maladie comme suggéré par d’autres équipes. Rétrécissement aortique (III) : prévalence et vieillissement de la population Une étude très intéressante (8) a évalué la prévalence de RAC « sévères » sur un échantillon de 8 030 individus, représentatif de la population générale islandaise (AGES-Reykjavik study). D’après les échocardiographies de 685 individus (âge moyen = 76 ± 6 ans, 58 % de femmes) un RAC sévère était défini par un critère unique et peu spécifique (tableau 2) : la surface aortique indexée 0,6 cm 2/m 2. Pour le score calcique, le seuil de sévérité de 500 UA (relativement faible) a ensuite été déterminé par courbes de ROC, par rapport à l’échographie. Il n’est pas étonnant de constater que la prévalence de RAC significatif augmente avec l’âge : de 0,8 à 0,9 % avant 70 ans à 7 % (échographie) voire 9,5 % (score calcique). Ces chiffres de prévalence sont légèrement au-dessus des chiffres habituels (3-4 % de RAC sévères après 75 ans), probablement du fait de critères diagnostiques très sensibles et peu spécifiques. Plus intéressant : en effectuant une projection basée sur le
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