Comment améliorer le pronostic cardiovasculaire des patients diabétiques de type 2 ?
Cyrille BERGEROT, Sybil CHARRIÈRE, CHU de Lyon
L’augmentation du risque cardiovasculaire des patients diabétiques de type 2 est unanimement reconnu, persistant après ajustement sur les FRCV classiques(1). En France, les conclusions de l’étude ENTRED sont cohérentes avec FRAMINGHAM et INTERHEART. Elles indiquent un ratio standardisé de 1,80 pour la mortalité cardiovasculaire (1,75 chez les hommes et 1,87 chez les femmes) et de 2,19 pour les cardiopathies ischémiques(2). Les mécanismes physiopathologiques à l’origine de ce sur-risque sont multiples et dépassent le cadre de l’hyperglycémie chronique : dyslipidémie typique athérogène du DT2 (HTG, hypo-HDLémie, LDL petites et denses), HTA, dysfonction endothéliale, inflammation chronique, facteurs prothrombotiques, stress oxydatif…
Évaluation du risque cardiovasculaire (RCV) des patients DT2 aujourd’hui ? L’estimation du risque à l’échelon individuel demeure difficile en pratique clinique quotidienne. Si des données anciennes suggéraient que tous les patients diabétiques de type 2 étaient à risque équivalent d’une prévention secondaire, la réalité actuelle apparait beaucoup plus nuancée, avec une grande hétérogénéité du risque dans cette population. Certaines cohortes récentes reflètent bien cette disparité de risque et précisent les caractéristiques des patients à considérer comme en prévention secondaire : il s’agit des patients DT2 dont la durée dépasse les 10 ans et/ou sous insuline, les patients avec atteinte d’organe en particulier néphropathie (insuffisance rénale et/ou protéinurie) et les cumuls de FRCV majeurs (3) . Ces éléments nous incitent à individualiser les objectifs thérapeutiques en prévention primaire, à mener une réflexion sur les recommandations actuelles de traitement des dyslipidémies de l’EAS qui considèrent la grande majorité des DT2 en prévention primaire comme à très haut risque (4), et pour finir d’évaluer la place d’outils plus précis d’évaluation individuelle du risque cardiovasculaire comme le score calcique coronarien permettant de reclasser le risque a priori de ces patients. Nous proposons dans cette revue un tour d’horizon des différentes armes thérapeutiques dont nous disposons actuellement pour améliorer le RCV des patients DT2, avec leur niveau de preuve depuis les règles hygiéno-diététiques jusqu’aux multiples traitements des différents facteurs de risque cardiovasculaire modifiables, et bien sûr de la prise en charge du diabète en lui-même. Prise en charge des FRCV chez les patients DT2 Les mesures hygiéno-diététiques et la réduction pondérale En routine, il nous apparaît évident qu’une prescription individualisée de règles hygiéno-diététiques permet d’améliorer le poids, le contrôle glycémique, les paramètres lipidiques et le contrôle tensionnel, nous n’avons pas beaucoup de preuves pour un bénéfice cardiovasculaire de ces conseils chez le diabétique de type 2. Ainsi, si l’étude LOOK-AHEAD conclut qu’il est possible d’améliorer significativement les paramètres clinico-biologiques du patient DT2 par une intervention sur le mode de vie en vue d’une réduction pondérale, elle conclut également que cela est sans impact sur le pronostic cardiovasculaire des patients. Un pronostic parfaitement identique dans les deux groupes a conduit à l’arrêt de l’étude pour futilité après 9,6 années de suivi médian. En comparaison des patients du groupe contrôle, la réduction pondérale était de 4 %, la réduction du périmètre abdominal de 2 %, la baisse absolue de l’HbA 1c de 0,22 % et la pression artérielle était identique ; ceci explique peut-être l’absence de résultat favorable. Plus en détails, ces paramètres ont évolué très favorablement la première année, puis se sont tous dégradés par la suite pour se stabiliser légèrement en dessous des valeurs du groupe contrôle, ce qui illustre toute la difficulté de l’adhérence sur le long terme des conseils hygiéno-diététiques, y compris dans un essai encadré (5). Cependant, dans l’étude SOS, avec des pertes de poids beaucoup plus importantes obtenues après chirurgie bariatrique, les données observationnelles de long terme, ont montré un effet sur la prévention des complications macrovasculaires à 15 ans de suivi (-32 %, p = 0,001), comparé à un groupe contrôle (6). La « chirurgie métabolique » sera peut-être à l’avenir une alternative dans la gestion du risque cardiovasculaire chez les sujets DT2 obèses avec des études en cours chez des sujets avec des IMC 35 kg/m 2. Le contrôle tensionnel Chez le DT2, en cas d’hypertension artérielle avérée, réduire la systolique de 10 mmHg permet d’obtenir une réduction relative de risque de 13 % sur la mortalité totale, 12 % sur l’infarctus du myocarde et surtout 27 % sur l’AVC (7). En revanche, la cible tensionnelle a longtemps été débattue, et est restée longtemps ambitieuse sur des bases scientifiques instables. En effet, l’objectif à 130/80 mmHg longtemps proposé ne reposait que sur un abus d’interprétation de l’étude HOT, qui visait à comparer 3 stratégies de cible tensionnelle diastolique. Cette étude neutre n’avait d’abord pas atteint les cibles préspécifiées, et s’était ensuite permis de conclure à un effet favorable de la stratégie cible diastolique 80 mmHg sur l’analyse en sous-groupe des 8 % de patients diabétiques. Depuis, l’étude ACCORD pression artérielle (2010) a remis en question l’intérêt de cibles basses chez le patient DT2 : absence d’effet sur le critère primaire composite et les critères secondaires, sauf l’AVC qui est prévenu par la stratégie intensive, avec 2,5 fois plus d’effets indésirables graves dans le groupe intensif (8). Aujourd’hui, il est raisonnable de cibler 139 mmHg ou moins pour la systolique et 89 mmHg ou moins pour la diastolique. Vouloir aller au-delà en termes d’objectif comme en termes d’ajout de molécules doit être justifié et nécessite d’anticiper les effets indésirables induits ( lower is maybe not the better). Le choix de la classe thérapeutique à utiliser pour réduire la pression artérielle du diabétique n’a plus vraiment d’intérêt à être débattu. Les stratégies basées sur le blocage du système rénine-angiotensine ont un léger avantage pronostique sur les autres stratégies, et même indépendamment de l’existence d’un diabète. De plus, les bénéfices secondaires comme la néphroprotection, en font la classe de choix en première intention (IEC ou ARA2). Statines et risque cardiovasculaire du patient DT2 Le niveau de preuve des fibrates en monothérapie étant très faible en prévention cardiovasculaire, la prise en charge lipidique des patients DT2 repose avant tout sur la prescription d’une statine avec une cible de LDL-C à atteindre en fonction du niveau de RCV. Le bénéfice cardiovasculaire des statines en prévention cardiovasculaire, primaire ou secondaire, des patients DT2 est largement établi. Les données de métaanalyses des nombreux essais contrôlés randomisés montrent une efficacité équivalente entre diabétiques de type 2 et non diabétiques d’une même statine sur la baisse du LDL-cholestérol et du risque relatif d’événements cardiovasculaires : ainsi pour toute baisse du LDL-C de 1 mmol/l (soit 0,38 g/l), le risque relatif de mortalité cardiovasculaire est diminué de 13 %, de mortalité toutes causes de 9 %, et d’événement coronarien majeur de 22 %, et d’AVC de 21 %. L’efficience en termes de nombre de patients à traiter est équivalente entre diabétique et non diabétique en prévention secondaire, mais supérieure en prévention primaire (38 contre 62 patients à traiter sur 4,3 ans en moyenne pour éviter un événement CV majeur). Plus le LDL-C initial est élevé et plus le risque de base est élevé et meilleure est l’efficience des statines, comme chez les non-DT2 (9). L’utilisation large des statines chez les patients DT2 est donc légitime, en dehors du groupe de diabétiques récents, jeune, sans FRCV additionnel, et avec un LDL-C spontanément bas. Si la cible de LDL-C 0,7 g/l ne fait plus débat chez les sujets en prévention secondaire ou en prévention primaire à risque équivalent (cumul de FRCV, DT ancien, atteintes d’organe cible en particulier néphropathie diabétique), les cibles de LDL-C à atteindre en prévention primaire restent en revanche largement discutables, le niveau de preuve étant plus faible (cf. supra). Ainsi, les récentes recommandations des sociétés savantes françaises (SFE, SFD, NSFA) ont allégé un peu la cible de LDL-C 1 g/l pour les diabétiques de type 2 en prévention primaire avec 1 FRCV additionnel, contre 0,7 g/l dans celles de l’EAS. Par ailleurs, en prévention secondaire, l’ézétimibe apparaît aussi efficace que les statines pour réduire le LDL-C et le RCV sur la base des données de l’étude IMPROVE-IT. La diminution du risque d’événement y est significative mais modeste (7 %). Il est intéressant de noter l’interaction du diabète de type 2, le critère principal étant réduit de 15 % dans les sous-groupes de DT2 (n = 4 933, 27 %) et n’étant plus significatif chez les non-DT2 (10). L’association statine-fénofibrate peut se discuter sur avis spécialisé, sur la base des résultats se sous-groupe de l’étude ACCORD (niveau de preuve faible), si les TG sont supérieurs à 2 g/l et le HDL-C 0,35 g/l sous monothérapie statine, chez les patients à haut risque cardiovasculaire (4). L’aspirine chez le diabétique En prévention primaire, il s’agit d’un point d’intérêt majeur par l’incitation à sa prescription à faible dose en médecine générale (ROSP) pour les patients DT2 dits « à haut risque cardiovasculaire ». Il faut retenir des grandes études de prévention primaire qu’elles ont nécessité l’inclusion de dizaines de milliers de patients pour montrer un bénéfice très faible sur la mortalité et les événements cardiovasculaires. En revanche, l’incidence des hémorragies digestives y est importante. Individuellement, l’évaluation de la balance bénéfice/risque est difficile. À quel diabétique prescrire de l’aspirine en prévention primaire ? Il existe probablement une infinité de réponses possibles, mais le pragmatisme incite à la prescrire lorsque : le risque Framingham > 20 % ou mieux le risque SCORE > 5 % et/ou athérome périphérique connu, et si absence de facteur de risque hémorragique en particulier gastroduodénal (11). La place du score calcique coronaire pour indiquer l’aspirine n’est pas encore définie, mais ce score est de plus en plus souvent utilisé pour affiner le risque, comme d’autres paramètres indirects, sans preuve définitive cependant. Quelle prise en charge du diabète de type 2 à visée de prévention cardiovasculaire ? Un bénéfice du contrôle glycémique sur le risque cardiovasculaire dans le diabète de type 2 ? L’augmentation du risque cardiovasculaire du DT2 est unanimement reconnue et l’association entre l’hyperglycémie chronique et l’atteinte cardiovasculaire est
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