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Cardiologie générale

Publié le  Lecture 13 mins

Santé connectée, Big Data : amis ou ennemis ?

François DIÉVART, Clinique Villette, Dunkerque

CNCF

La santé connectée est un des éléments d’une chaîne ayant pour objectif de collecter massivement des données afin d’interagir avec elles, soit instantanément à des fins diagnostiques ou thérapeutiques, soit de façon différée, à des fins d’analyse, de création d’algorithmes prédictifs ou décisionnels, de développement d’une intelligence artificielle... Ses enjeux et modalités font qu’on ne sait si cette révolution en cours sera notre amie ou notre ennemie…

« Nous sommes au cœur d’une immense révolution. Dans quelques années à peine, nous vivrons différemment. Nos manières de nous alimenter, de nous soigner, de nous déplacer n’auront plus rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’au-delà de la robotique et de l’intelligence artificielle, l’internet des objets bouleverse nos vies. » Emmanuel Macron, post-face du livre La quatrième révolution industrielle de Klaus Schwab (Dunod, 2017) Nos sociétés en général, et la santé en particulier, sont dans une phase de transition dont on aperçoit certains tenants et aboutissants mais dont on peine à imaginer l’aspect que prendront les modifications qui se dessinent avec la numérisation et la transmission en temps réel des données. La numérisation des données — et ses développements —, appelée quatrième révolution industrielle, va probablement entraîner des changements aussi radicaux que ceux produits par les trois précédentes révolutions industrielles, celle du XVIII e siècle marquée par la mécanisation et le développement de la machine à vapeur, celle du XIX e siècle marquée par le développement de nouvelles sources d’énergie telles que l’électricité, le gaz et le pétrole et celle du XX e siècle, marquée par le développement du nucléaire et de l’électronique. Ainsi, une majeure partie des observateurs s’accordent à prédire que la numérisation des données et les capacités de stockage et d’analyses de celles-ci sont le moteur d’une transformation qui sera probablement radicale de nos modes de pensée, de vie et de production. Au-delà de cet abord où la donnée est pensée comme « le pétrole du XXI e siècle », la partie purement technique de cette nouveauté peut être décomposée en une chaîne comprenant : – le recueil de la donnée, devenu possible à large échelle par sa numérisation, et ce qui est dénommé santé connectée n’est qu’un des aspects possibles de ce recueil ; – le stockage par un hébergeur disposant des capacités adaptées et, le recueil ayant recours à de multiples voies et récoltant une moisson continue, on parle de données massives stockées ou Big Data ; – et dernier élément de la chaîne, l’analyse des données à fin d’exploitation. Chacune de ces étapes pose des problèmes techniques, scientifiques, éthiques, financiers et juridiques exposant à des analyses contradictoires faisant que la transition en cours de nos sociétés peut être vue, tel que l’indique le titre imposé à cette réflexion, comme une avancée amie ou comme une régression, terme mieux adapté que celui d’avancée ennemie. Quand la santé numérique pourrait être notre amie Le suivi médical à distance La santé connectée offre un avantage important : elle permet de suivre à distance certaines maladies et/ou dispositifs médicaux implantés. Dans le cadre d’une des composantes de la santé connectée, dénommée télémédecine, cela permet soit d’éviter un déplacement du patient pour vérifier sa stabilité clinique et/ou le bon état du dispositif, soit d’agir par le déclenchement d’une procédure afin d’éviter une complication. On entrevoit d’ores et déjà quelques conséquences, interrogations et implications de ce moyen : une diminution des consultations physiques (et donc potentiellement un nouveau mode d’exercice de la médecine), mais en parallèle un suivi qui pourrait être continu avec ses implications éthiques, économiques et médico-légales. Ainsi, par exemple, nous ne savons pas si ce mode de surveillance sera financièrement rentable pour la solidarité nationale ? Nous ne savons pas qui sera responsable juridiquement de l’acheminement de la donnée du patient vers le centre d’analyse : le développeur du dispositif ? l’opérateur ? Qui sera responsable du traitement de celle-ci et de la réaction à celle-ci ? Nous ne savons pas si les moyens d’action déclenchés par l’analyse des données transmises sont ou ont été validés comme réellement efficients… Une épidémiologie transformée par les données massives La santé numérique offre un deuxième avantage majeur : elle permet de collecter, stocker et analyser un nombre considérable de données. En cela, l’entrée dans le monde des Big Data contribue déjà à modifier complétement l’analyse épidémiologique. Ainsi, la littérature récente est déjà riche de publications concernant l’analyse de données de plusieurs millions de dossiers. Dans l’une de ces publications, ce sont les données de 4 millions de patients qui ont pu être extraites et analysées parmi une banque de données de plus de 10 500 000 patients, afin de démontrer l’universalité d’une relation à type de courbe en J entre le poids et le pronostic. Dans une autre publication, c’est de l’analyse de données de plus de 6 millions de dossiers qu’ont pu être extraites et analysées les données concernant plus de 630 000 patients, démontrant qu’il existe aussi une courbe en J dans la relation entre le HDL-cholestérol et le pronostic. Cette nouvelle observation remet complétement en cause et souligne les limites d’une étude comme celle de Framingham (figure 1), considérée pourtant comme une référence. Framingham avait fondé le mythe et une pratique selon lesquels le HDL-cholestérol est à concevoir comme un « bon cholestérol », et ce à partir d’une série de moins de 3 000 patients ayant totalisé « seulement » 142 événements cardiaques. Les Big Data rendent caduques ce concept et les grilles d’évaluation du risque cardiovasculaire qui en sont dérivés. Figure 1. HDL : Framinghamvs Big Data. De cet aspect des Big Data dans le domaine de la santé, on comprend aisément que la connaissance des maladies sera améliorée et qu’il pourrait donc en être de même de l’état de santé des populations faisant ainsi de la santé numérique une amie. Quand la santé numérique pourrait être notre ennemie Les exemples et scénarios sont nombreux où la santé connectée peut cependant déjà être ou pourrait devenir notre ennemie. Cela va de l’intrusion dans la vie privée à la fiabilité des algorithmes prédictifs dérivés de ces données, jusqu’au ciblage commercial du patient considéré comme un consommateur comme un autre et donc comme une source de profit pour une entreprise adaptée aux nouveaux modèles. L’intrusion dans la vie privée La notion de vie privée en matière de santé numérique commence par la distinction entre données de santé et données de bien-être, qui est tout sauf anodine. La donnée de santé relève de la sphère privée et est protégée. Son accès ne peut être autorisé que par le contrat tacite entre le praticien et le patient ou le contrat effectif entre un patient et une tierce personne ou un tiers organisme. La donnée de santé est donc théoriquement non collectable par une application permettant son stockage et son analyse, notamment dans des pays aux législations différentes de celles des pays la protégeant. La donnée qualifiée de bien-être est encore dans un flou juridique ce qui, en creux, permet sa collecte sans contrat effectif entre le donneur et le receveur. Alors, une application dans un téléphone mobile multifonctions qui indique au patient/consommateur, le nombre de pas qu’il fait chaque jour, permet-elle de recueillir des données de santé ou des données de bien-être ? Une société tierce a-t-elle le droit de collecter ces données et d’éventuellement les exploiter à des fins commerciales ? Et ce, même si l’application est fournie gratuitement au « patient/consommateur » ? On comprend les enjeux de ces questions lorsque l’on sait que le modèle économique sous-jacent à la gratuité des applications dites de santé ou de bien-être est souvent résumé par un aphorisme : « Quand on ne paye pas pour un produit, c’est qu’on est le produit ». C’est d’ailleurs ce que deux cochons ne comprenaient pas encore, dans une histoire métaphorique où l’un disait à l’autre : « C’est génial, on ne nous demande même pas de payer le loyer de la porcherie ! », ce à quoi l’autre répondait : « Oui, et en plus la nourriture est gratuite ! » De façon plus concrète, au mondial de l’automobile en 2016, il a été présenté un modèle de voiture appelée CAR2CAR dont la particularité telle que décrite dans sa publicité est la suivante : « Des capteurs sont intégrés à l’habitacle (volant, siège) permettant le suivi médical des occupants (électrocardiogramme complet) afin d’accélérer la prise en charge médicale si besoin ». Sous couvert d’un progrès et d’un service potentiel, cela signifie qu’un organisme va recueillir, stocker et exploiter les électrocardiogrammes des divers passagers d’une automobile : quelle loi permet cette pratique promue comme un avantage ? Si une action rapide permet d’éviter des accidents et des décès, les passagers d’une automobile devront-ils se soumettre à ce dispositif au risque sinon, d’une augmentation de leur prime d’assurance ? S’ils s’y soumettent, qui aura accès aux données et qu’en sera-t-il fait ?... La fiabilité des algorithmes prédictifs : l’exemple de Google Flu Trends À la fin des années 2000, la firme Google a eu l’idée d’évaluer si l’analyse de requêtes faites sur son moteur de recherche pouvait permettre de prédire la survenue et l’ampleur d’une épidémie de grippe. L’idée était simple et prenait en compte deux types d’éléments. D’une part, les agences de santé ont mis en place des réseaux de médecins qui font le diagnostic de la grippe en cabinet puis transmettent à un organisme central des données concernant la survenue de cas de grippe parmi leurs patients. Cela permet d’évaluer la localisation, l’ampleur et la vitesse de propagation d’une épidémie, tant à l’échelle nationale qu’internationale. D’autre part, les personnes ayant des symptômes pouvant être en rapport avec une grippe ont tendance à aller chercher sur le moteur de recherche Google à quoi peut correspondre leurs symptômes et quel traitement appliquer. Dans ce cas, en utilisant un algorithme avec des termes particuliers (par exemple : « fièvre », « nez qui coule », « paracétamol »….) il devait être possible d’évaluer la localisation, l’ampleur et la vitesse de propagation d’une épidémie de grippe sans

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