Aller au contenu principal
TwitterFacebookLinkedinPartager

Diabéto-Cardio

Publié le  Lecture 16 mins

Le tissu adipeux épicardique : une écharde au cœur

Bénédicte GABORIT, NORT (Nutrition Obesity and Risk of Thrombosis), Aix-Marseille Université, Inserm, INRA, Marseille ; Endocrinology Metabolic Diseases, and Nutrition Department, Pôle ENDO, AP-HM, Aix-Marseille Université

À la suite des travaux novateurs de Jean Vague sur l’obésité androïde, il est désormais reconnu que la répartition anatomique de l’excès de graisse joue un rôle déterminant dans la survenue de complications métaboliques. Il a notamment été montré que l’accumulation de tissu adipeux abdominal viscéral (TAV) est corrélée au risque de complications métaboliques et cardiovasculaires, et qu’elle contribue au développement du syndrome inflammatoire de bas grade associé à la dysfonction vasculaire(1). Le tissu adipeux épicardique (TAE) est un tissu adipeux viscéral qui fait partie des graisses ectopiques. Son rôle émergent dans les pathologies cardiovasculaires a fait renaître un intérêt croissant pour cette graisse, longtemps considérée comme un simple matelas adipeux pour le cœur(2).

Le tissu adipeux épicardique : définition et localisation anatomique L’accumulation de graisse dans des sites non classiques a été identifiée par Desprès et coll. sous le terme de « graisse ectopique » (3). Son hypothèse est que l’anomalie initiale responsable du développement de la graisse ectopique est un dysfonctionnement du tissu adipeux sous-cutané (TASC) qui ne jouerait plus son rôle protecteur d’épurateur métabolique, soit parce qu’il est dans l’impossibilité de se développer (lipodystrophie), soit parce qu’il est devenu hypertrophique, dysfonctionnel ou insulinorésistant. Le dysfonctionnement du tissu adipeux sous-cutané, associé au développement du tissu adipeux viscéral (TAV) sécrétant des facteurs pro-inflammatoires favoriserait l’ectopie. De façon plus récente, la théorie de « l’expansibilité du tissu adipeux », est venue renforcer cette hypothèse, à savoir que l’incapacité du TASC à stocker le surplus d’acides gras est responsable de la redirection de ces acides gras libres vers les sites périphériques et les différents organes, dont le cœur (4). La survenue de complications métaboliques liées à l’obésité serait associée à ce défaut d’expansion et proviendrait alors de l’incapacité de l’individu à devenir « encore plus obèse ». La graisse ectopique comprend à la fois le développement de tissu adipeux particulier, comme le tissu adipeux épicardique (TAE) ou périvasculaire, et l’accumulation de triglycérides dans les cellules non adipeuses qui conduit aux tableaux cliniques de stéatose : stéatose hépatique, musculaire, cardiaque ou pancréatique (figure 1). Cette accumulation excessive de triglycérides est responsable de phénomènes lipotoxiques d’importance variable selon le type cellulaire : dysfonction mitochondriale, stress du réticulum endoplasmique, inflammation, accumulation de dérivés lipidiques toxiques (céramides, diacylglycérol), qui peuvent conduire à l’apoptose cellulaire. Figure 1. Les différents tissus adipeux et graisses ectopiques chez l’homme et la souris. Anatomiquement, le TAE est situé entre le feuillet viscéral interne du péricarde et le myocarde (2). Son action est supposée principalement locale sur le myocarde et les vaisseaux coronaires, contrairement à la graisse viscérale, ou intrahépatique dont l’action est principalement systémique via le système porte (figure 2). Il existe une relation anatomique et fonctionnelle très importante entre le TAE et le myocarde. Ces deux composants du cœur ont la même vascularisation et sont en contact direct, non délimités par un fascia. Le développement du TAE est cependant variable selon l’espèce. On retrouve une quantité importante de TAE chez le cobaye, le lapin, les grands mammifères et l’homme. En revanche, il est peu développé chez les petits rongeurs, comme la souris ou le rat, qui sont les plus utilisés dans les laboratoires de recherche (figure 1). C’est pourquoi l’importance physiologique de ce tissu adipeux a longtemps été remise en cause. Le TAE du cœur adulte représente en moyenne 20 % du poids de ce dernier sur les séries autopsiques. Il est localisé préférentiellement sur les sillons atrioventriculaire, interventriculaire, sur le bord libre du ventricule droit, et autour des principaux vaisseaux coronaires. Ainsi, les artères coronaires principales cheminent à la surface du myocarde, au contact direct du TAE. Figure 2. Séparation des graisses ectopiques en fonction de leurs possibles effets locaux ou systémiques. Caractéristiques fonctionnelles du tissu adipeux épicardique À ce jour, il existe peu de données sur le rôle physiologique de ce tissu chez l’homme, les quelques études déjà anciennes réalisées n’ont pas forcément été validées in vivo, mais permettent de faire quelques suppositions sur les propriétés fonctionnelles de ce tissu adipeux ectopique. Une des premières propriétés attribuées à ce tissu est une fonction mécanique protectrice puisqu’il abrite les principales artères coronaires et les nerfs du système nerveux autonome cardiaque. Depuis longtemps, les physiologistes émettent l’hypothèse qu’il protège les artères de l’onde de pouls et des mouvements de torsion lors des contractions du muscle cardiaque. Des études plus récentes ont également montré qu’il avait un effet permissif sur le remodelage artériel excentrique lors des phénomènes d’athérogenèse (5). Il aurait également un rôle neurotrophique vis-à-vis des plexus ganglionnaires, car il exprime des gènes codant pour des facteurs essentiels au développement et à la survie des neurones sensoriels comme le nerve growth factor- β (NGF- β). Comparativement aux autres tissus adipeux, le TAE contient des adipocytes plus petits et plus nombreux par gramme de tissu (6). Il a une activité métabolique intense. Les acides gras libres représentent la source d’énergie principale du myocarde. Il a été montré que le TAE avait une activité lipogénique et lipolytique augmentée. Le TAE serait donc une véritable source d’acide gras pouvant répondre à l’importante demande énergétique du muscle cardiaque, particulièrement en condition d’ischémie. Dans des conditions physiologiques, le TAE pourrait représenter un système tampon absorbant les taux d’acides gras toxiques circulant entre le myocarde et le lit vasculaire. Le TAE exprime notamment des gènes codant pour des transporteurs d’acides gras spécialisés dans le trafic de lipides intracellulaires comme FABP-4 ( fatty-acid-bindingprotein-4). Un des rôles du TAE serait ainsi de maintenir l’homéostasie des acides gras dans la microcirculation coronaire. Le TAE partage par ailleurs des caractéristiques histologiques et moléculaires avec le tissu adipeux brun. Il exprime UCP-1 ( uncoupling protein-1) et aurait des caractéristiques du tissu adipeux beige ou brite, car il surexprime des marqueurs spécifiques comme CD137 (tableau) (7). Les adipocytes beige ou brite sont des adipocytes multiloculaires présents dans les îlots de tissu adipeux blanc qui seraient capables d’être recrutés et de produire UCP-1 sous l’action du froid, ou de certains facteurs comme l’irisine, les peptides natriurétiques cardiaques, ou le fibroblast growth factor-21 (FGF-21). Ces facteurs ont-ils une action directe sur la « beigisation » du TAE, ou stimulent-ils son potentiel thermogénique ? Cette question reste à élucider. Une étude récente suggère que les dérivés réactifs de l’oxygène (ROS) produits par le TAE de patients coronariens seraient capables d’induire une transdifférenciation du tissu adipeux beige vers blanc. Une autre étude chez l’homme a montré que l’augmentation du browning du TAE était associée à une moindre progression de l’athérosclérose. L’ensemble de ces données suggère un effet bénéfique du beiging du TAE sur la progression de la coronaropathie, mais des études complémentaires sont nécessaires afin de valider ces résultats. Le TAE pourrait aussi simplement protéger le myocarde et le sang circulant coronaire afin de prévenir la mort par choc hypothermique. Wt1 : Wilm’s tumor gene 1 ; UCP-1 : uncoupling protein 1. Un autre rôle important du TAE et désormais reconnu est celui d’être une importante source de molécules bioactives qui peuvent profondément modifier le métabolisme énergétique, aussi bien que les réponses vasculaires, immunologiques et inflammatoires. Le TAE présente une signature transcriptomique avec une surexpression des gènes codant pour le remodelage de la matrice extracellulaire, l’inflammation, les voies de l’immunité, de la coagulation et de la thrombose. Mazurek et coll. ont montré que le TAE de patients coronariens était plus riche en macrophages, et qu’il surexprimait et sécrétait des cytokines pro-inflammatoires tels que MCP-1, IL-1 β, IL-6, TNF α, comparativement au TASC. Par une approche combinant micro-array et prédiction informatique des protéines sécrétées, nous avons montré que le TAE surexprime une importante série de facteurs pro-inflammatoires et pro-athérogènes et particulièrement la phospholipase sPLA2-IIA (8). Cette phospholipase, présente dans les lésions d’athérosclérose, est connue pour son rôle crucial dans des cascades enzymatiques pro-inflammatoires, et c’est un facteur indépendant de risque cardiovasculaire. Du fait de l’absence de barrière anatomique, une hypothèse émise est que les facteurs sécrétés par le TAE (cytokines, adipokines, fibrokines, facteurs de croissance, acides gras libres, ROS) pourraient diffuser de façon paracrine ou vasocrine à travers la paroi vasculaire et participer à l’initiation de processus inflammatoires et athérogéniques. Le TAE sécrète aussi des cytokines protectrices comme l’adiponectine, l’adrénomédulline ou l’omentine qui pourraient contrebalancer ces effets possiblement délétères sur le cœur. C’est donc un véritable dialogue paracrine qui semble exister entre le TAE et les structures adjacentes cardiaques à savoir le myocarde et les artères coronaires. Enfin, le TAE, source de cellules immunes, pourrait avoir un rôle de défense immunitaire du myocarde contre les agents pathogènes et les médiateurs de l’inflammation. Origine du tissu adipeux épicardique L’origine du tissu adipeux blanc est un sujet qui a passionné les équipes de recherche ces dernières années et qui a permis de faire la découverte récente que le TAE aurait probablement une origine épicardique. Ce sont des études de lignage cellulaire qui ont permis de suivre la différenciation de cellules progénitrices chez la souris. Deux équipes ont notamment montré que les adipocytes du TAE provenaient de précurseurs adipogéniques issus du mésothélium qui ont, à une période tardive du développement, exprimé le gène Wt1 ( Wilms’ tumor gene 1) (tableau) (9,10). Ce qui est très intéressant, c’est que ce programme embryologique d’epicardiumtofat-transition (ETFT) pourrait être réactivé en cas d’ischémie myocardique ou de lésion tissulaire sévère, par un mécanisme dépendant du récepteur de l’IGF1(11). Ceci permettrait de faire le parallèle avec l’observation des anatomopathologistes qui décrivent souvent une

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :