Myocardites au cours des maladies auto-immunes et des maladies auto-inflammatoires
Cloé COMARMOND, Patrice CACOUB, Département de médecine interne et immunologie clinique, AP-HP, GH Pitié-Salpêtrière, Paris ; Département hospitalo-universitaire I2B, UPMC Université Paris 06, Paris ; Inserm UMR 7211 ; Inserm UMR S 959, CNRS UMR 7211
La myocardite est une cause majeure de maladie cardiaque chez le sujet jeune, pouvant conduire à une insuffisance cardiaque liée à une cardiomyopathie dilatée. Certaines maladies auto-immunes et/ou auto-inflammatoires peuvent s’accompagner d'une myocardite, notamment la sarcoïdose, la maladie de Behçet, la granulomatose éosinophilique avec polyangéite, les myopathies inflammatoires et le lupus systémique. Cependant, les données concernant la myocardite dans de telles maladies auto-immunes et/ou auto-inflammatoires sont rares. Les nouvelles stratégies thérapeutiques devraient mieux cibler la modulation du système immunitaire selon la phase de la maladie et le type de maladie auto-immune et/ou auto-inflammatoire sous-jacente.
La myocardite correspond à une inflammation du myocarde. C’est une étiologie majeure de maladie cardiaque chez le sujet jeune, pouvant causer une insuffisance cardiaque liée à une cardiomyopathie dilatée (1). La myocardite peut se présenter par un large panel de symptômes allant de la dyspnée légère ou douleur thoracique au choc cardiogénique et à la mort. Il est difficile d’estimer l’incidence réelle de la myocardite. Les formes fulminantes sont exceptionnelles (5 à 10 cas par million d’habitants/an) et leur incidence semble stable depuis plusieurs décennies (2). Les myocardites sont principalement causées par des infections virales, mais peuvent également être secondaires à une consommation de toxiques, une maladie allergique ou être associées à une maladie systémique. L’atteinte cardiaque au cours des maladies auto-immunes et/ou auto-inflammatoires peut atteindre le péricarde, le myocarde, l’endocarde, le tissu valvulaire et les artères coronaires. Certaines maladies auto-immunes et/ou auto-inflammatoires peuvent s’accompagner d’une myocardite comme la sarcoïdose, la maladie de Behçet, la granulomatose éosinophile avec la polyangéite (EGPA), les myopathies inflammatoires et le lupus systémique (SLE). Le diagnostic est habituellement basé sur la présentation clinique, comme la dyspnée, la fièvre, les douleurs thoraciques et/ou les palpitations, et les résultats de l’imagerie non invasive, classiquement l’échocardiographie. Les manifestations biologiques ne sont pas spécifiques et peuvent inclure une augmentation de la troponine et/ou de la protéine C-réactive (CRP). La biopsie myocardique reste l’examen de référence pour confirmer le diagnostic (3). Cependant, ce geste n’est pas utilisé habituellement en raison de sa faible sensibilité et de ses complications potentielles. L’imagerie par résonance magnétique cardiaque (IRMc) a récemment modifié la prise en charge des myocardites au cours des maladies inflammatoires systémiques en devenant un véritable examen diagnostique (4,5). Le diagnostic précoce de l’atteinte myocardique au cours des maladies auto-immunes et/ou auto-inflammatoires peut guider une thérapeutique ciblée et ainsi réduire les effets cardiovasculaires défavorables. Les options thérapeutiques restent limitées pour les phases aiguë et chronique de myocardite. La plupart des patients répondent bien au traitement standard de l’insuffisance cardiaque. Dans les cas graves, une assistance circulatoire ou une transplantation cardiaque est indiquée. Les traitements immunosuppresseurs et immuno-modulateurs pour la myocardite associée à des maladies auto-immunes et/ou auto-inflammatoires ont un bénéfice potentiel, mais restent à valider par des études complémentaires. Les mécanismes physio-pathogéniques des myocardites demeurent encore mal compris. Les réponses auto-immunes et l’inflammation sont impliquées dans la pathogenèse de la myocardite et la cardiomyopathie dilatée séquellaire. La myocardite auto-immune est médiée par les lymphocytes T CD4+. Le transfert de lymphocytes T CD4+ chez des souris immuno-déficientes sévères (SCID) reproduit la maladie, tandis que la suppression des cellules T CD4+ améliore la myocardite auto-immune expérimentale. Des infiltrats de T helper1 (Th1) et Th17 ont été retrouvés dans les myocardes de ces souris après l’induction de la myocardite. La sarcoïdose La sarcoïdose est une maladie inflammatoire systémique pouvant toucher de nombreux organes, et caractérisée par la présence de granulomes sans nécrose caséeuse. Bien que les études autopsiques révèlent des lésions cardiaques chez 20 à 30 % des patients ayant une sarcoïdose, moins de 5 % d’entre eux présentent des symptômes cardiaques cliniques. La sarcoïdose cardiaque affecte préférentiellement le myocarde, et est associée à des troubles de conduction ou du rythme pouvant entraîner une mort subite. Contrairement à l’atteinte pulmonaire isolée qui est de bon pronostic, l’atteinte cardiaque de la sarcoïdose est de mauvais pronostic. Dans une étude de 43 patients avec une atteinte myocardique de sarcoïdose, une cardiomyopathie était observée chez 21 patients (49 %) et était associée à une mortalité de 62 % (6). Une syncope était observée chez 14 patients (33 %), un trouble conductif chez 13 (30 %) et les tachy-arythmies chez 12 (28 %). L’infiltration granulomateuse du myocarde peut être mortelle. La localisation des cicatrices myocardiques en IRMc suit une distribution non vasculaire, qui est facilement différenciée des cicatrices myocardiques d’origine ischémique (7). Dans une étude japonaise chez des patients atteints de sarcoïdose cardiaque, le nombre total de segments affectés en IRMc, la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) et le volume diastolique du ventricule gauche (8) étaient significativement corrélés à la durée des symptômes extra-cardiaques de la sarcoïdose (8). Pour les patients symptomatiques, le traitement médical doit comporter l’association de glucocorticoïdes (CT) et d’agent immunosuppresseur (AI) dès que possible (9) . Dans une étude française rétrospective (10), 39 patients avec une sarcoïdose cardiaque ont été traités avec CT (dose initiale de prednisone ~ 1 mg/kg/jour) associée à un AI chez 13 patients. La durée moyenne de la corticothérapie était de 43 mois (intervalle, 6-168 mois). Au cours du suivi à long terme (58 mois), 87 % des patients ont été améliorés et 54 % ont été mis en rémission prolongée. Aucun patient n’est mort subitement. Neuf patients ont rechuté, alors que la dose quotidienne de prednisone était inférieure à 10 mg chez cinq patients et arrêtée chez trois patients. Les neuf rechutes ont été traitées par corticothérapie seule ou associée à un AI, permettant la mise en rémission chez six patients. Les anti-TNF alpha tels que l’infliximab ont montré des résultats intéressants dans des cas de sarcoïdoses réfractaires (11–13). Les troubles de conduction nécessitent un pacemaker, tandis que les tachy-arythmies ventriculaires habituellement réfractaires à l’amiodarone, nécessitent un défibrillateur implantable. La transplantation cardiaque est exceptionnelle. Maladie de Behçet Les manifestations cardiaques liées à la maladie de Behçet (BD) affectent particulièrement les hommes jeunes, pendant les premières années suivant l’apparition de la maladie. Les complications cardiaques (jusqu’à 6 % des patients atteints de BD) comprennent la péricardite, l’endocardite (insuffisance aortique et moins souvent l’insuffisance mitrale) et les lésions myocardiques. L’atteinte myocardique comprend l’infarctus du myocarde (15 %), la myocardite/fibrose endomyocardique (8 %) et la thrombose intracardiaque (ventricule droit et atrium). La myocardite au cours de la maladie de Behçet est rare (14,15), retrouvée chez 2/28 patients (7 %) avec atteinte cardiaque sur une série autopsique (16). De plus, la fibrose endomyocardique peut être une séquelle d’endocardite, de myocardite ou des deux et peut être compliquée avec un thrombus mural (14). Le traitement est basé sur la corticothérapie associée ou non à un immunosuppresseur et une anticoagulation. Dans une étude rétrospective française de 52 patients BD avec atteinte cardiaque (17), une fibrose endomyocardique a été observée chez 4 patients (7,7 %) et un anévrisme myocardique chez 1 (1,9 %). Les facteurs associés à la rémission complète de l’atteinte cardiaque étaient des traitements anticoagulants oraux, immunosuppresseur et la colchicine. Le taux de survie à 5 ans chez les patients atteint de BD était de 83,6 %, avec atteinte cardiaque, et de 95,8 %, sans. Après un suivi médian de 3,0 [1,754,2] ans, 8 patients sont décédés, directement en lien avec l’atteinte cardiaque dans 3 cas. Granulomatose éosinophilique avec polyangéite La granulomatose avec polyangéite (EGPA, anciennement nommée syndrome de Churg et Strauss) est une vascularite systémique rare avec une incidence de moins de 3 cas/million. L’EGPA peut affecter plusieurs organes et est caractérisée par un asthme, une hyperéosinophilie, et des manifestations de vascularite systémique. L’atteinte cardiaque est décrite chez 27 % à 47 % des patients avec EGPA et reste un facteur prédictif majeur de mauvais pronostic associé à une mortalité précoce (18). La myocardite est une des manifestations cardiaques les plus fréquentes au cours de l’EGPA, pouvant se présenter sous la forme de douleur thoracique et palpitations, mais aussi de choc cardiogénique et d’arythmie (19). La cardiomyopathie symptomatique est de mauvais pronostic et est responsable d’environ 50 % des décès (20). Vingt-trois patients avec EGPA et myocardite ont été rapportés dans la littérature. Treize sur 23 étaient des femmes (56 %) et l’âge de début de l’EGPA s’étalait entre 2 et 77 ans. Une hyperéosinophilie était rapportée dans tous les cas et un infiltrat éosinophilique extravasculaire dans 14 cas/18 (78 %). Le nombre d’éosinophiles était nettement plus élevé dans formes d’EGPA avec myocardite que dans les autres formes d’EGPA. Le risque de myocardite augmente chez les patients de 20 à 30 ans (l’incidence de la myocardite chez les patients atteints d’EGPA est de 23 %). L’âge moyen au diagnostic de la myocardite était de 43 ans. Les manifestations cardiaques surviennent plus tard chez les femmes que chez les hommes (21,22). L’augmentation des éosinophiles au cours des myocardites suggère un rôle pathogène chez les patients atteints d’EGPA. L’infiltration extravasculaire des éosinophiles est corrélée à l’augmentation significative des éosinophiles intravasculaires. Lorsque leur nombre augmente jusqu’à 20 % du nombre total de leucocytes, les éosinophiles commencent à s’infiltrer dans le myocarde. Les anticorps anticytoplasmiques des neutrophiles (ANCA) sont rapportés dans ~ 40 % des cas d’EGPA (23). Cependant, les patients atteints de myocardite EGPA sont habituellement ANCA-négatifs. Parmi les 14 patients ayant un rehaussement tardif du myocarde sur l’IRMc, le FDG-PET montrait une hypofixation chez 10, une hyperfixation chez 2 et
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