Accident vasculaire cérébral et fibrillation atriale : cause ou marqueur ?
Fabrice EXTRAMIANA, service de cardiologie, Hôpital Bichat, Paris
Nous avons tous appris que la fibrillation atriale (FA) pouvait se compliquer d‘accidents thromboemboliques et en particulier d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques. D’ailleurs, les dernières recommandations de la Société européenne de cardiologie publiées en 2016 indiquent dans leur tableau 3 des pathologies associées à la FA, que 20 à 30 % des AVC sont dus à la FA(1). Cependant, association et cause ne sont pas synonymes. Paraphraser Coluche permet de bien toucher du doigt cette différence : « Quand on est malade, il ne faut surtout pas aller à l'hôpital : la probabilité de mourir dans un lit d'hôpital est 10 fois plus grande que dans son lit à la maison ». La notion de causalité et sa différence avec une simple association, est une discussion de philosophes qui a été particulièrement développée au XVIIIe siècle par Hume. Cette discussion a été formalisée pour être appliquée à la médecine par Hill avec ses critères de causalité.
Nous allons dans un premier temps, faire une revue de la littérature pour tenter d’évaluer les critères de causalité de l’association AVC et FA. Nous verrons ensuite, quelques arguments permettent de soutenir une absence de causalité et les conséquences que cela pourrait avoir dans notre pratique. Critères de causalité appliqués à l’association AVC et FA La causalité ne peut pas être affirmée de façon certaine. Mais certaines caractéristiques de l’association peuvent être évaluées. Nous allons voir successivement les différents critères de Hill avec la force et la consistance de l’association, sa spécificité, la temporalité de l’association, l’effet dose-réponse, la plausibilité et la cohérence de la causalité, enfin, les preuves expérimentales en faveur de la causalité. Le neuvième critère de Hill qui est l’analogie n’est pas utile dans le cas présent. Force et consistance de l’association AVC et FA L’association statistique entre AVC et FA ne fait pas de doute. Cette association est forte (la présence de la FA est associée à une multiplication du risque d’AVC par 2 à 6 et retrouvée dans différentes études indépendantes (Framingham, Regional Heart Study, Whitehall) (3). Spécificité L’association n’est en revanche pas totalement spécifique. Dans la cohorte de Framingham (plus de 5 000 sujets suivis pendant 34 ans), la présence de FA multipliait par 4,8 le risque d’AVC. Mais l’AVC pouvait aussi survenir en l’absence de FA et avait d’autres facteurs de risque (l’hypertension [HR = 3,4], la pathologie coronaire [HR = 2,4] ou l’insuffisance cardiaque [HR = 4,3]). Cependant, dans cette même étude, la présence d’une FA était toujours associée à un sur-risque d’AVC en présence d’un autre facteur de risque d’AVC (4). Les choses se compliquent car il est tout à fait possible qu’un patient présentant un AVC ait plusieurs. causes potentielles à cet AVC. Le score ASCOD a été développé pour quantifier la plausibilité d’implication des différentes causes d’AVC (cardiaques, pathologie des petits vaisseaux, athérothrombose) chez un même patient. Cette évaluation montre qu’une proportion significative de patients a 2 causes qualifiées de potentielles d’AVC. Si on considère également les causes présentes mais incertaines, la majorité des patients en a 2, et certains ont même 3 causes potentielles d’AVC (5). Dans ces conditions, la détermination de la part attribuable à la FA dans la survenue des AVC devient difficile à évaluer. La spécificité de l’association AVC et FA en est troublée. Temporalité de l’association Si la FA est la cause de l’AVC, il faut qu’elle le précède. Nous avons dans ce domaine appris beaucoup de choses grâce aux mémoires des dispositifs cardiaques implantables. Dans l’étude ASSERT, sur 2 580 patients avec un pacemaker ou un défibrillateur implantable, 51 ont eu un AVC ou une embolie systémique au cours du suivi. La moitié (25/51) n’avait aucun épisode de FA (épisode de fréquence atriale élevée > 180 bpm pendant plus de 6 minutes) (6). Parmi les 26 patients avec un AVC et de la FA, 8 ont eu de la FA uniquement après l’AVC, 14 plus de 30 jours avant l’AVC et seulement 4 patients ont eu de la FA dans le mois précédant l’AVC (6). L’absence de lien temporel entre la FA et l’AVC est retrouvée de la même façon dans d’autres études (7) . Cette connaissance récente est particulièrement intrigante et remet intuitivement fortement en question la notion de causalité de la FA pour la survenue des AVC. Effet dose-réponse Si la FA est la cause des AVC, on peut faire l’hypothèse d’un effet dose-réponse, c’est-à-dire un risque d’AVC qui augmente avec la durée de la FA. Le registre suédois, il y a à peine quelques années (8), avait comparé le risque d’AVC chez des patients avec une FA paroxystique ou persistante/permanente. Les 2 groupes étaient différents en termes d’âge, d’ancienneté de la FA, de score de CHADS2, de fraction d’éjection ventriculaire et de traitement anticoagulant. Mais, que cela soit pour les données brutes, ou après ajustement sur les facteurs de confusion, la probabilité de survenue d’un AVC était identique dans les 2 groupes (HR ajusté = 1,02 ; IC95% : 0,73-1,42) (8). Cependant, des études plus récentes, en particulier avec les AOD montrent des résultats différents. Ainsi, dans l’étude ENGAGE AF-TIMI 48 (avec l’edoxaban), alors que les groupes de FA paroxystique, persistante ou permanente étaient assez homogènes, les taux annuels d’AVC sous traitement étaient de 1,49 % en cas de FA paroxystique, 1,83 % en cas de FA permanente et de 1,95 % en cas de FA persistante (avec une diminution significative de plus de 20 % du risque pour les FA paroxystiques vs persistantes ; HR = 0,79 ; IC95% : 0,66-0,96) (9). Une métaanalyse récente retrouve (après ajustement sur les facteurs de confusion identifiés) une majoration du risque d’AVC pour les FA non paroxystiques (HR = 1,38 ; IC95% : 1,19-1,61 ; p 0,0001) (10) . Au-delà de la différence, paroxystique/non paroxystique, il semble exister une relation entre la quantité (ou charge) en FA et le risque thromboembolique. Dans l’étude TRENDS, le risque d’AVC était comparable chez les patients sans FA et ceux avec une charge en FA inférieure à 5,5 heures (HR ajusté = 0,98 ; IC95% : 0,34-2,82 ; p = 0,97) alors que chez les patients avec une charge > 5,5 heures, le risque d’AVC était doublé (HR ajusté = 2,2 ; IC95% : 0,96-5,05 ; p = 0,06) (11). Certains travaux suggèrent même qu’une hyperexcitabilité atriale (sans FA) pourrait être associée à un surrisque d’AVC (en tout cas pour un nombre d’ESA > 30/heure et/ou des salves de plus de 19 ESA) (12). Il y a donc un certain nombre d’arguments laissant penser que la relation entre AVC et FA n’est pas binaire mais que le risque d’AVC augmente avec la charge en FA. Cela est compatible avec une relation de causalité, mais, comme nous le verrons plus loin, cela pourrait également être observé si la FA n’était qu’un simple marqueur de risque d’AVC. Plausibilité et cohérence de la causalité La plausibilité et la cohérence de la causalité sont des critères plus discutables. En effet, lorsqu’une bonne hypothèse physiopathologique permet d’expliquer un lien de causalité, cela le renforce. Mais, à l’inverse, l’observation d’une relation (même non causale) nous incite à imaginer ou retenir un mécanisme physiopathologique renforçant le lien. Enfin, l’absence d’explication physiopathologique peut refléter simplement notre ignorance. On peut utiliser l’exemple suivant pour illustrer ces notions un peu théoriques. Il existe une très bonne corrélation temporelle entre les ventes de glace et les attaques de requins. A priori, personne n’a envie de penser que les ventes de glaces sont la cause des attaques de requins. On imagine ici très facilement le biais en jeu dans cet exemple ; c’est quand il fait beau et chaud que l’on se baigne et que l’on achète des glaces. Mais si demain un biologiste démontre que les requins adorent les glaces et sentent que le nageur en a mangé, il pourrait alors y avoir un mécanisme expliquant une causalité… Pour ce qui concerne la relation AVC et FA, un joli schéma physiopathologique tiré des recommandations ESC 2016 (1) est montré figure 1. Nous rediscuterons plus loin de ce schéma, mais on peut d’ores et déjà observer que plusieurs « acteurs » interfèrent et/ou participent à la relation entre AVC et FA. Figure 1. Les relations complexes entre FA et AVC. Preuves expérimentales en faveur de la causalité L’expérimentation est sans doute l’élément le plus convaincant. Si un facteur (ici la FA) est la cause d’une pathologie (l’AVC), alors si on arrive à diminuer ou supprimer la FA, on devrait diminuer ou faire disparaître les AVC. Les études AFFIRM et RACE (13,14) ont comparé une stratégie de contrôle du rythme (utilisant les antiarythmiques) à une stratégie de contrôle de la fréquence. Dans les 2 études, il y a eu une diminution significative de l’incidence de la FA dans les groupes contrôles du rythme. En cas de relation causale, on pouvait s’attendre à une diminution des AVC dans le groupe contrôle du rythme. Pourtant, c’est le contraire qui est observé : il y a eu une tendance non significative à une augmentation des AVC dans les groupes de contrôle du rythme (7,1 % vs 5,5 % ; p = 0,79 dans AFFIRM et 7,9 % vs 5,5 % ; p = NS dans RACE) (13,14). Cela ne doit bien entendu pas être interprété comme une majoration du risque d’AVC en rythme sinusal. Dans ces 2 études, les anticoagulants avaient plus souvent été arrêtés chez les patients en rythme sinusal et cela pouvait expliquer la différence sur les AVC). Il faut donc absolument retenir que, quel que soit la relation entre AVC et FA, cela ne doit pas nous inciter à arrêter le traitement anticoagulant chez les patients en rythme sinusal. Cependant, l’absence de démonstration d’une diminution des AVC dans les groupes plus souvent en rythme sinusal dans AFFIRM et RACE ne permet pas d’éliminer le caractère causal de la relation AVC et FA. Le biais potentiel des modifications de traitement anticoagulant vient d’être évoqué. Mais on peut aussi faire l’hypothèse d’un effet insuffisant en termes de maintien du rythme sinusal par les antiarythmiques et/ou un effet négatif de ces traitements. À ce titre, il est intéressant d’évaluer l’effet de l’ablation de la FA sur le risque d’AVC. Une revue systématique Cochrane publiée en 2012 ne retrouvait que 2 études contrôlées (moins de 200 patients au total) ayant évalué l’effet de l’ablation de la FA sur le risque d’AVC (15). Malgré une proportion plus importante de patients en rythme sinusal dans le groupe ablation versus traitement antiarythmique, il n’y avait aucune différence en termes de risque d’AVC (RR = 1,01 ; IC95% : 0,18-5,68). Plus récemment, le registre suédois de santé a été utilisé pour comparer les taux d’AVC chez les patients ayant ou pas subi (ou bénéficié) une ablation de la FA (16). Le registre comporte près de 300 000 patients avec une FA qui n’a pas été ablatée et un peu plus de 3 000 qui ont eu une ablation
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