Agir sur les désordres glycémiques pour réduire le risque cardiovasculaire - 1re partie : Condition nécessaire mais non suffisante
Louis MONNIER*, Claude COLETTE*, Bernard BAUDUCEAU**, Lise BORDIER**, Jean-Louis SCHLIENGER***, *Institut de recherche clinique, Université de Montpellier, Montpellier , **Hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint-Mandé ,***Faculté de médecine de Stra
Grâce aux enquêtes épidémiologiques comme l’étude de Framingham(1) ou le Multiple Factor Interventional Trial (MRFIT)(2), il a été démontré au cours de la 2e partie du XXe siècle que les patients diabétiques ont un risque de décès prématuré 3 à 4 fois supérieur à celui des personnes exemptes de diabète sucré, toutes choses étant égales par ailleurs. De plus, ces enquêtes ont également établi que d’autres facteurs tels que les dyslipidémies ou l’hypertension artérielle contribuent à augmenter le risque cardiovasculaire des diabétiques en obéissant non pas à une loi additive mais à une loi multiplicative. À partir de ces observations, des études interventionnelles randomisées ont été conduites pour isoler un facteur de risque donné (l’hyperglycémie chronique par exemple) et pour essayer de démontrer que son éradication ou sa réduction sur une longue durée de temps est capable d’entraîner une diminution significative de l’incidence des événements cardiovasculaires. Dans le domaine de la lipidologie, ces études randomisées ont bénéficié très tôt de la commercialisation des statines. L’impact a été jugé bénéfique dès que les études pionnières comme 4S(3)(Scandinavian Simvastatin Survival Study) ou WOSCOPS(4) (West of Scotland Coronary Prevention Study) ont été publiées. Qu’en est- il dans le domaine de la diabétologie ? Pour la clarté du propos et même si cette classification peut apparaître un peu arbitraire dans l’esprit de certains lecteurs, nous rangerons les connaissances actuelles dans les 2 rubriques suivantes : ce que nous voyons et savons ; ce que nous voyons et ce que nous cherchons à savoir et à comprendre.
Ce que nous voyons et ce que nous savons L’hyperglycémie chronique dite hyperglycémie « ambiante » est un facteur de risque cardiovasculaire et la « mémoire glycémique » est un fait bien documenté. Cette affirmation en apparence forte est pourtant restée contestée pendant de nombreuses années, car les études d’intervention randomisées qui fournissent en principe les preuves de niveau A ont donné des résultats ambigus, contestables et donc contestés, quand on se limite à une analyse superficielle du problème. D’un point de vue général, il suffit de se rappeler que toutes les études d’intervention randomisées sont basées sur un principe relativement simple : la comparaison d’une prise en charge standard (groupe témoin) à un traitement intensif (groupe intervention). La méthodologie de ces études consiste en général à réduire dans le groupe intensif l’exposition chronique au glucose par rapport au groupe standard en maintenant entre les deux groupes un différentiel d’HbA 1c de l’ordre de 1 à 2 % (en points de pourcentage). Toutefois, ces objectifs n’ont pas toujours été atteints, le différentiel d’HbA 1c pouvant être inférieur à 1 % dans certaines études. La première étude d’intervention randomisée digne de ce nom dans le diabète de type 2 (UKPDS pour United Kingdom Prospective Diabetes Study) est également celle qui a été conduite sur la durée de temps la plus longue pour la première partie (10 ans) (5). Les résultats au terme de cette étude ont montré un effet bénéfique d’une amélioration de l’équilibre glycémique : HbA 1c à 7 % dans le groupe traitement intensif et 7,9 % dans le groupe conventionnel, soit un différentiel de 0,9 %. Au terme de l’étude, la réduction du risque relatif d’infarctus du myocarde n’a pas été significative : 0,84 [IC95% : 0,71-1,00] (p = 0,052) (figure 1). La même absence de significativité a été retrouvée pour tous les autres événements ou manifestations en relation avec des lésions macroangiopathiques. Seule l’incidence des atteintes microvasculaires a été significativement réduite par le traitement intensif : risque relatif = 0,75 [IC95% : 0,60-0,93] (p = 0,0099). Ces résultats indiquent que les lésions microangiopathiques sont influencées par l’équilibre glycémique dans des délais raisonnables, alors que les lésions macroangiopathiques ne le sont pas ou le sont à un moindre degré, au moins lorsque l’amélioration des glycémies reste en deçà d’un certain seuil en termes de durée ou d’amplitude. Figure 1. Hazard ratio d’un composite d’événements cardiovasculaires majeurs dans les études ACCORD, VADT, ADVANCE et UKPDS à la fin de la période interventionnelle. Pour toutes les études, la comparaison est faite entre un bras intensif et un bras conventionnel. Pour l’étude UKPDS, les événements cardiovasculaires sont limités aux infarctus du myocarde. Le Δ HbA 1c correspond au différentiel d’HbA 1c entre les groupes intensif et conventionnel. Cette impression a été confirmée par les autres études d’intervention au cours desquelles ont été comparés un bras prise en charge « intensive » contre un bras traitement « conventionnel » : étude ADVANCE (6)( Action in Diabetes and VAscular disease : preterax and diamicroN modified release Controlled Evaluation) ; étude ACCORD (7) ( Action to Control CardiOvascular Risk in Diabetes) ; étude VADT (8) ( Veterans Affairs Diabetes Trial). Les résultats de ces 3 études sont consignés sur la figure 1, où ils sont comparés à ceux obtenus dans l’UKPDS (5). Dans ces études, la période interventionnelle a été de manière générale 2 fois plus courte que dans l’UKPDS : 5 ans dans ADVANCE ; 3,5 ans dans ACCORD ; et 5,6 ans dans l’étude VADT (figure 2). Il convient de noter que l’étude ACCORD a été interrompue de manière prématurée en raison d’une augmentation des décès dans le bras intensif, laquelle était associée à une augmentation de la fréquence des hypoglycémies sévères, sans qu’il ait été possible d’établir a posteriori une relation de cause à effet entre ces 2 augmentations. Les différentiels d’HbA 1c entre les bras intensif et conventionnel ont été respectivement de 0,6 % dans ADVANCE ; 1,5 % dans VADT ; et 1,1 % dans ACCORD. Si on limite les résultats à un composite de critères durs comme l’incidence des événements cardiovasculaires majeurs, aucune réduction significative n’a été notée (figure 1). L’absence de significativité a également été observée sur les critères de jugement secondaires tels que les infarctus du myocarde, les accidents vasculaires cérébraux et l’insuffisance cardiaque pris isolément. Il convient de noter que la négativité des résultats observés dans ces grandes études d’intervention randomisées peut provenir de leur taille. Un nombre élevé de participants suppose un recrutement multicentrique : plusieurs pays, plusieurs centres médicaux, avec des différences parfois notables dans les pratiques médicales. La durée des études (plusieurs années) a pour conséquence des changements dans les traitements anti-diabétiques et dans les autres traitements (antihypertenseurs, hypolipidémiants, antiagrégants) qui compliquent l’interprétation des résultats. À titre d’exemple, dans l’étude ACCORD (7) ce sont 10 251 patients qui ont été inclus. Le recrutement a été effectué dans 77 centres cliniques disséminés à travers les États-Unis et le Canada. Les traitements par antihypertenseurs et hypolipidémiants furent administrés respectivement à plus de 90 % et près de 88 % des patients pendant l’essai, avec des changements de classes thérapeutiques ou de posologie pendant la période interventionnelle. Figure 2. Durées des périodes interventionnelles et post-interventionnelles dans les études ACCORD, ADVANCE, VADT, UKPDS et DCCT/EDIC. Au terme de toutes ces études, on peut estimer que les résultats furent dans l’ensemble décevants. Devant cet état de fait, certains professionnels de santé furent amenés à considérer que la réduction de l’hyperglycémie chronique n’était pas un objectif prioritaire dans la prise en charge du diabète de type 2. Les tenants de cette thèse avaient malheureusement oublié que l’impact bénéfique d’une amélioration des désordres glycémiques s’exprime tardivement, au bout de plusieurs années. En général, ce laps de temps atteint une dizaine d’années, à condition que l’équilibre glycémique ait été amélioré de manière suffisante : une réduction soutenue de l’HbA 1c de l’ordre de 1 % est en général souhaitable. Compte tenu de ces observations, il n’est pas étonnant que ce soient les études de suivi à long terme (9-12) (10 à 30 ans après la randomisation initiale, soit en général 5 à 25 ans au-delà de la fin de la période interventionnelle) qui aient apporté les preuves les plus tangibles quant au rôle délétère de l’hyperglycémie chronique. Aux études de suivi à long terme dans le diabète de type 2, il est indispensable d’ajouter l’étude DCCT/EDIC pour ( Diabetes Control and Complications Trial/Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications) (13,14). Bien que cette étude ait été conduite chez des patients ayant un diabète de type 1, c’est elle qui a le plus de recul car le suivi à long terme a porté sur des périodes de 20 à 30 ans au-delà de la randomisation, c’est-à-dire de 13,5 à 25,5 années après la fin de la période interventionnelle dont la durée avait été en moyenne de 6,5 ans. Pour faciliter la lecture de ces études dont le déroulé est relativement complexe, nous avons résumé sur la figure 2 leurs différentes étapes en séparant les phases interventionnelles proprement dites et les périodes de suivi à long terme au-delà de la période test : interventions avec randomisation en groupes « intensifs » et « conventionnels ». Si on considère le temps écoulé à partir de la randomisation initiale, les patients inclus dans les études ACCORD, ADVANCE (ADVANCE-ON), VADT, UKPDS et DCCT/EDIC ont été suivis pendant des périodes respectives de 9 ans pour ACCORD (9) ; de 10,4 ans pour ADVANCE-ON (12) et de 10 ans (10) et 15 ans pour VADT [ The Veterans Affairs Diabetes Trial at 15 years. Symposium de l’ American Diabetes Association 78th Scientific Session June 24 2018 ; Orlando, Florida, 2018] ; de 20 ans pour l’UKPDS (11) et de 20 (13) et 30 ans (14) pour le DCCT/EDIC. Dans ces études, une réduction significative de l’incidence des événements cardiovasculaires n’est observée que si la durée de la période interventionnelle est suffisamment longue (≥ 10 ans dans l’UKPDS et le DCCT/EDIC) et si le différentiel d’HbA 1c entre le groupe intensif et le groupe conventionnel est suffisamment marqué : -0,9 % dans l’UKPDS et -2 % dans le DCCT/EDIC. Ceci signifie que l’amplitude et la durée de l’amélioration de l’exposition au glucose pendant la période interventionnelle sont les deux facteurs majeurs de la réduction à distance de l’incidence des complications macrovasculaires. Sur la figure 3, nous avons illustré cette réduction en fonction de la diminution de l’exposition chronique au glucose qui a été quantifiée en multipliant ses 2 composantes principales : l’amplitude du différentiel de l’HbA 1c (∆ HbA 1c) entre les 2 groupes et la durée du maintien d’un différentiel stable pendant la période interventionnelle. À titre d’exemple, dans l’étude VADT, la durée de la période interventionnelle a été de 5,6 ans et le différentiel d’HbA 1c de 1,5 %. Le produit des deux (∆ HbA 1c x durée) est donc égal à 8,4 (pourcentage x années) (figure 3). La réduction de l’incidence des événements vasculaires est de 0 % dans ADVANCE-ON (12) au bout de 10,4 ans, de -5 % dans ACCORD (p NS) (9) au bout de 9 ans, de -17 % (p = 0,04) et de -9 % (p = NS) au bout de 10 et 15 ans (10) dans l’étude VADT , de -15 % (p = 0,01) dans l’étude UKPDS au bout de 20 ans pour les infarctus du myocarde (11), de -47 % et -30 % dans le DCCT/EDIC au bout de 20 ans (p = 0,005) et 30 ans (p = 0,016) (13,14). De surcroît, étant donné que ces résultats n’apparaissent que plusieurs années après l’arrêt de la période interventionnelle proprement dite, certains considèrent qu’il existe une «
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