Hilario NUNES(1,2) et coll.*, Service de pneumologie, Centre de référence des maladies pulmonaires rares (site constitutif) et Centre de compétences des maladies systémiques et auto-immunes rares, Hôpital Avicenne, AP-HP, Bobigny
L’atteinte cardiaque est une manifestation rare mais potentiellement grave de la sarcoïdose, dont la prise en charge diagnostique et thérapeutique est un défi pour le pneumologue et le cardiologue qui doivent travailler en étroite collaboration. Ce sujet a donné lieu à de nombreuses études et d’importants progrès ces dernières années, concernant notamment la place des nouvelles investigations par imagerie par résonance magnétique (IRM) cardiaque et tomographie par émission de positons (TEP) cardiaque et les indications de dispositifs cardiaques implantables. Cette revue générale est une mise au point pratique sur la sarcoïdose cardiaque. Nous n’aborderons pas l’hypertension pulmonaire, qui est une complication à part de la sarcoïdose.
Épidémiologie La sarcoïdose est une granulomatose systémique de cause inconnue caractérisée par la formation de granulomes dans les organes atteints. Il s’agit d’une maladie rare dont l’incidence, estimée à 15-25/100 000/an varie selon l’âge, le sexe, et l’origine ethnique/géographique des patients. Un pic d’incidence est observé entre 25 et 45 ans (2 e autour de 60 ans chez les femmes d’Europe du Nord et du Japon), avec une légère prédominance féminine et des formes plus fréquentes, disséminées et sévères, chez les patients de peau noire. Le phénotype et le pronostic de la sarcoïdose sont très variables. L’atteinte médiastino-pulmonaire concerne 90 à 95 % des patients. Aux États-Unis, alors que jusqu’à 30 % des patients ayant une sarcoïdose ont une atteinte cardiaque histologique dans les séries autopsiques, 5-10 % ont classiquement une atteinte clinique patente. L’atteinte cardiaque est responsable de 13-25 % de l’ensemble des décès liés à la sarcoïdose. Au Japon, la prévalence est bien plus élevée, atteignant jusqu’à 58 % des patients ayant une sarcoïdose. Cette manifestation affecte surtout les femmes âgées de plus de 50 ans et elle est responsable de 80 % des causes de mortalité. Histologie D’un point de vue histologique, le processus inflammatoire granulomateux et la fibrose résultante ont une distribution hétérogène au sein du cœur. La topographie des lésions et leur étendue va rendre compte des diverses présentations cliniques et électriques. Le myocarde est plus volontiers touché, avec une prédilection pour la base du septum interventriculaire où circule le système conductif particulièrement vulnérable, et la paroi libre du ventricule gauche (VG) avec le risque de formation de foyers ectopiques ou de phénomènes de réentrées à l’origine d’arythmies ventriculaires et, en cas d’infiltration massive, de développement d’une cardiomyopathie, puis les muscles papillaires et plus rarement la paroi du ventricule droit (VD) et les oreillettes. L’atteinte du péricarde est beaucoup plus rare et quasiment toujours associée à une atteinte du myocarde. Manifestations révélatrices Schématiquement, trois situations vont révéler une sarcoïdose cardiaque : – la première, la plus fréquente pour le pneumologue, est la découverte d’anomalies ECG et/ou l’apparition de symptômes cardiaques chez un patient suivi pour une sarcoïdose. Le délai est variable, même si l’atteinte cardiaque est plus fréquemment associée à une forme chronique multi-viscérale de la maladie, en particulier à la présence d’une atteinte encéphalique ; – la deuxième, à laquelle le cardiologue est le plus souvent confronté et plus difficile, est la cardiomyopathie inaugurale (jusqu’à 30 % des cas). L’insuffisance cardiaque se développe alors généralement de façon subaiguë en quelques semaines à quelques mois et elle s’accompagne souvent d’arythmies ventriculaires ; – la troisième, la plus redoutable, est l’arrêt cardiaque inaugural par bloc auriculo-ventriculaire (BAV) complet, tachycardie ventriculaire (TV) ou fibrillation ventriculaire, qui pourrait représenter 17 % des cas. La sarcoïdose cardiaque est une complication rare mais potentiellement grave de la sarcoïdose, la menace principale étant la mort subite par BAV complet ou arythmies ventriculaires. Les troubles du rythme peuvent se développer sur un processus granulomateux ou fibreux. Investigations diagnostiques ECG de repos/holter ECG Les anomalies électriques sont principalement des troubles de conduction auriculo-ventriculaires ou intraventriculaires et les troubles du rythme ventriculaires. Le bloc de branche droit a peu de valeur, sauf s’il est avec certitude acquis. Les troubles du rythme supra-ventriculaires sont classiquement plus rares, mais il est possible qu’ils soient en fait sous-estimés (tableau 1). Le Selvester scoring system a été évalué dans la sarcoïdose cardiaque, avec des résultats intéressants, mais la méthode est difficilement applicable en routine. BAV : bloc auriculo-ventriculaire ; BB : bloc de branche ; FC : fréquence cardiaque ; VG : ventricule gauche Échographie cardiaque transthoracique (ETT) L’ETT est souvent normale à un stade précoce. Les anomalies les plus évocatrices sont les troubles de la motilité ventriculaire régionale et l’épaississement ou l’amincissement segmentaire, notamment de la portion basale du septum interventriculaire, et une cardiopathie dilatée avec dysfonction systolique. La cardiopathie hypertrophique avec dysfonction diastolique est probablement sous-estimée. Un aspect hyper-scintillant du septum a été décrit, mais cela reste anecdotique. Les anévrismes ventriculaires, exceptionnels, peuvent donner des troubles du rythme réfractaires. L’épanchement péricardique est généralement modéré. Malgré plusieurs publications intéressantes, l’apport d’une étude du strain n’est pas validé dans la sarcoïdose cardiaque. IRM cardiaque L’IRM cardiaque est l’examen de choix en cas de suspicion de sarcoïdose cardiaque, mais il faut savoir interpréter les anomalies qui dépendent du stade évolutif de la maladie. À un stade d’inflammation granulomateuse, on peut noter un épaississement myocardique avec trouble de contraction focale, un hypersignal T2 dû à l’oedème et un rehaussement tardif au gadolinium. À un stade de fibrose, on peut noter un amincissement myocardique avec trouble de contraction focale et là aussi un rehaussement tardif au gadolinium. Le rehaussement tardif est donc le signe clef, mais il ne distingue pas une atteinte cardiaque active ou cicatricielle. Il peut prendre différents aspects (sous-épicardique, médiocardique, sous-endocardique ou transmural), mais le plus caricatural est un rehaussement linéaire arciforme sous-épicardique prédominant dans la paroi libre du VG et la base ou le versant VD du septum (figures 1 et 2). Il ne délimite jamais un territoire coronarien, ce qui est important si la localisation est sous-endocardique, qui suggère beaucoup plus une coronaropathie. Figure 1. IRM cardiaque d’un patient de 45 ans ayant présenté des troubles du rythme ventriculaire (tachycardie ventriculaire non soutenue). Cette coupe en petit axe montre un rehaussement tardif en T1 antérolatéral (flèche rouge). Figure 2. IRM cardiaque d’une patiente de 57 ans aux antécédents de troubles de la repolarisation associés à une insuffisance cardiaque gauche. Cette coupe montre une prise de contraste arciforme sous-épicardique inféro-latérobasale séquellaire (flèche rouge). Une technique de mapping T2 pourrait améliorer les performances de l’IRM, mais elle n’est pas disponible dans tous les appareils. L’IRM a également une valeur pronostique, avec une association au risque d’événement cardiovasculaire sérieux en cours de suivi. L’IRM cardiaque est un examen diagnostique très sensible. Le rehaussement tardif au gadolinium est le signe clef, mais il ne permet pas de distinguer une atteinte cardiaque active ou cicatricielle. TEP au 18-fluorodesoxyglucose (18FDG) cardiaque Plusieurs protocoles ont été proposés pour supprimer la captation cardiaque physiologique, le plus utilisé en France étant un régime riche en graisses et pauvre en hydrates de carbone (régime sans glucides la veille de l’examen pour les repas du midi et du soir, suivi d’un jeûne d’environ 12 heures jusqu’à la réalisation de l’examen). Plusieurs aspects d’hyperfixation ont été décrits. L’hyperfixation focale ou focale sur un fond diffus témoigne, après avoir exclu une coronaropathie, d’une atteinte cardiaque active (figure 3). L’hyperfixation diffuse ou diffuse avec un renforcement basal est en rapport avec une suppression du métabolisme physiologique non optimale (figure 4). Figure 3. TEP scanner en faveur d’une atteinte active montrant une anomalie de fixation antérolatérale (flèches verte et rouge) concordante avec les anomalies de l’IRM de la figure 1. Figure 4. TEP scanner ne montrant pas de fixation cardiaque pathologique (flèches verte et rouge), en faveur d’une atteinte séquellaire des anomalies visualisées sur l’IRM de la figure 2. En plus de l’étude du métabolisme au 18FDG, une étude concomitante de la perfusion au 82Rubidium pourrait améliorer les performances du TEP cardiaque, mais elle n’est pas faite en routine. Le TEP cardiaque a également une valeur pronostique, avec une association au risque d’événement cardiovasculaire sérieux en cours de suivi. Le 18 FDG TEP cardiaque dédié permet de distinguer une atteinte active ou cicatricielle et de guider au mieux les décisions thérapeutiques concernant le traitement de la sarcoïdose. Autres investigations cardiaques La scintigraphie myocardique, notamment au 99mTechnetium sestamibi, peut montrer des défects de perfusion patchy au repos disparaissant après dipyridamole, contrairement à la coronaropathie, mais son utilisation pour le diagnostic de sarcoïdose cardiaque a été presque abandonnée. Une épreuve d’effort ou une étude électrophysiologique endocavitaire peuvent être très utiles en cas de sarcoïdose cardiaque, notamment pour comprendre les mécanismes d’un malaise. Enfin, les explorations coronariennes sont cruciales pour éliminer un diagnostic différentiel. Diagnostic positif : approche multimodale Le diagnostic de sarcoïdose cardiaque est compliqué. En effet, il n’y a pas de gold standard, la biopsie endomyocardique étant peu rentable dans ce contexte du fait de la nature hétérogène du processus lésionnel. Plusieurs critères diagnostiques ont été proposés, notamment par le ministère de la Santé japonais, mais les mieux adaptés sont probablement ceux des recommandations d’experts américaines récentes (tableau 2). FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche ; 18FDG TEP : tomographie par émission de positons au 18-fluorodesoxyglucose ; IRM : imagerie par résonance magnétique *La biopsie endomyocardique est exceptionnellement effectuée du fait de sa faible rentabilité. **Une atteinte probable est suffisante pour retenir le diagnostic clinique de sarcoïdose cardiaque. ***La scintigraphie au gallium est un examen qui a été très
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