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Progrès et incertitudes dans l’endocardite infectieuse
Catherine SELTON-SUTY et coll*, service de cardiologie, CHU de Nancy

De par ses multiples facettes et son évolution constante, l’endocardite infectieuse (EI) est une affection passionnante, mais complexe, notamment en raison de la nécessité de sa prise en charge par une équipe multidisciplinaire, au centre de laquelle le cardiologue joue bien évidemment un rôle primordial.
Réflexions autour de l’épidémiologie de l’EI et de ses modes d’étude D’une infection streptococcique d’origine dentaire, se développant principalement chez le sujet jeune aux antécédents de rhumatisme articulaire aigu, l’EI est devenue en quelques décennies une infection touchant majoritairement le sujet âgé, sur valvulopathie dégénérative ou sur matériel. Un grand nombre de cas sont secondaires à des soins médicaux, avec comme corollaire la prédominance des staphylocoques comme microorganismes responsables. Le suivi des caractéristiques démographiques et épidémiologiques de l’EI est donc indispensable afin d’améliorer le diagnostic et la prise en charge précoce. Ces évolutions épidémiologiques ont historiquement été rapportées par des publications de séries mono- ou multicentriques, avec bien évidemment un biais de sélection puisque émanant principalement de gros centres hospitaliers. La réalisation d’études épidémiologiques à base populationnelle comme cela a été fait en France à 3 reprises (en 1991, 1999 et 2008) est parfaitement adaptée au suivi de cette pathologie, et permet notamment de calculer son incidence et d’en surveiller l’évolution. Malheureusement, ce type d’enquête est très difficile à mettre en place et à financer à l’heure actuelle. L’autre moyen d’étudier l’évolution du profil des patients avec EI passe par le biais de cohortes observationnelles et de registres. Ainsi l’ International Collaboration on Endocarditis a réuni les données de plus de 7 000 cas d’EI, issus de plus de 60 centres dans 28 pays de par le monde. À l’échelon français, sous l’égide de l’Association pour l’Étude et la Prévention de l’Endocardite Infectieuse (AEPEI), la réunion de plusieurs bases de données monocentriques, ainsi que celles des études épidémiologiques a permis la création de l’Observatoire national sur l’EI en France, qui recueille environ 3 000 cas d’EI. Très récemment, le registre Euro-Endo de l’ESC a recueilli sur 1 an les données de plus de 3 000 patients dans 150 centres et dans 40 pays, et nous sommes impatients d’en connaître les résultats. Le biais de ce type de registres est qu’ils sont principalement abondés par des centres tertiaires à gros volumes, et qu’ils méconnaissent probablement en partie les EI prises en charge dans des centres primaires sans être référés à des centres de référence (en dehors des périodes d’études épidémio pour l’observatoire français). Néanmoins, la volumétrie de cas qu’ils génèrent permet d’apporter des renseignements intéressants. Enfin, l’un des nouveaux modes d’études de l’EI est la consultation de bases de données de santé, telles que celles des hospitalisations avec codage PMSI en France, où le codage qui correspond à l’EI est en général assez bien rempli. Le problème est que, bien souvent, ces bases de données ne permettent pas de rentrer dans le détail de l’épisode d’EI, que ce soit sur le plan microbiologique, échocardiographique ou thérapeutique. En pratique, à l’échelon français, une participation large à l’Observatoire national permettra de poursuivre la surveillance de l’épidémiologie de l’EI, en l’absence de financement possible d’une nouvelle enquête épidémiologique par les appels à projets de recherche actuels. Donc n’hésitez pas à saisir vos cas par le biais de l’eCRF, accessible à tous après contact avec le centre de gestion via l’adresse mail suivante : observatoireei@ chru-nancy.fr. Réflexions autour des recommandations de prophylaxie Les plus anciens d’entre nous se rappellent les recommandations de prévention de l’EI dans les années 1980-1990 où tout patient à risque d’EI devait avoir une antibioprophylaxie, le plus souvent per os, mais parfois même par voie intraveineuse, avant et après tout type de geste invasif. L’absence de preuve de l’efficacité de celle-ci, ainsi que l’absence de preuve de culpabilité d’un geste donné sur la survenue de l’EI ont été à l’origine de la désescalade des recommandations. Selon les recommandations européennes de 2015, l’antibioprophylaxie per os en une seule prise une heure avant le geste est à l’heure actuelle limitée aux cardiopathies à haut risque d’EI (prothèse valvulaire, antécédent d’EI, cardiopathie congénitale cyanogène non opérée) lors de gestes à risque dentaire avec effraction de la muqueuse buccale (1). En parallèle, l’accent est mis sur l’importance de l’hygiène cutanée et bucco-dentaire, et ceci est un élément très important dans notre pratique quotidienne, où, même si l’on n’a plus de prescription à faire, il reste important d’expliquer aux patients qu’ils sont à risque d’endocardite, et quelles sont les mesures simples à prendre pour essayer de l’éviter (tableau 1). En France, la Société française de cardiologie a récemment fait le point sur la prise en charge de l’état buccodentaire des patients valvulaires (2). En Angleterre, le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) a carrément recommandé en 2008 de ne plus recourir à aucune antibioprophylaxie, y compris chez les patients à haut risque. Le choix de l’ESC en 2015 a été de maintenir la prophylaxie chez ces sujets à haut risque compte tenu de la gravité potentielle de l’EI chez ce type de patients. Néanmoins, cet aspect d’antibioprophylaxie lors de gestes dentaires ne concerne qu’un petit nombre de patients puisqu’une grande partie des EI à l’heure actuelle surviennent chez des patients avec comorbidités (hémodialyse, cancer, diabète…) et ne sont pas d’origine dentaire. Dans ce cadre, il est donc indispensable d’insister aussi sur la prévention des bactériémies liées aux soins par un respect draconien des mesures d’hygiène (asepsie rigoureuse lors de gestes, port de gants, changement régulier des voies veineuses, etc.). Par ailleurs, la recherche se tourne aussi vers l’utilisation de matériaux sur lesquels les micro-organismes auraient des difficultés à adhérer et à développer des biofilms. De nouvelles formules de vaccins antistaphylococciques sont aussi à l’étude. Réflexions autour de l’incidence de l’endocardite infectieuse Bien évidemment, l’incidence de l’EI a été étroitement surveillée dans les suites de ce recul de l’antibioprophylaxie. En France, les 3 enquêtes épidémiologiques successives ont permis de constater la stabilité de l’incidence de l’EI, actuellement de l’ordre de 35 cas par an et par million d’habitants, et notamment l’absence d’augmentation de l’EI à streptocoques oraux chez les sujets avec cardiopathies préalablement connues (3). En Angleterre, les données issues de systèmes de santé ont semé le doute. Sur la période 2000-2013, il a été noté une diminution de la prescription d’antibioprophylaxie de 89 % suite aux recommandations de 2008 (NICE), et en parallèle, une augmentation du nombre de cas par rapport à la projection historique a été rapportée (4). Ainsi, 35 cas supplémentaires d’EI par mois auraient été enregistrés. Comme déjà souligné, il est impossible de savoir si cette augmentation du nombre de cas d’EI est liée à des germes oraux ou autres. Le même type d’étude a été réalisé aux États-Unis à partir des données de Medicare et d’autres bases de données de santé et permet de mieux préciser les choses (5). Une analyse séparée des patients à haut risque, à moyen risque et sans risque a montré une diminution significative de la prescription d’antibioprophylaxie chez les sujets à moyen risque et sans risque, mais aussi une diminution de 20 % des prescriptions chez les sujets à haut risque dans les suites des recommandations. En parallèle, l’incidence de l’EI a augmenté de 177 % chez les sujets à haut risque, de 75 % chez les sujets à moyen risque et ne s’est pas modifiée chez les sujets non à risque. Même, là encore, il est impossible de démontrer un lien de causalité entre la diminution de l’antibioprophylaxie et l’augmentation de l’incidence. La première réflexion que l’on peut faire suite à cette étude est que la notion de risque variable des cardiopathies est manifestement mal connue et que la diminution de l’antibioprophylaxie chez les patients à haut risque est inquiétante, d’autant plus qu’elle s’accompagne d’une augmentation frappante de l’incidence de l’EI dans ce sous-groupe. La deuxième question concerne l’estimation du risque des cardiopathies considérées à moyen risque ; dans la mesure où la diminution de l’antibioprophylaxie s’est là aussi accompagnée d’une augmentation de l’incidence, on peut se demander si certaines cardiopathies valvulaires natives ne seraient pas à plus haut risque qu’on ne le croit et devraient donc être la cible d’une attention particulière. Réflexions autour de la notion de cardiopathie à risque Certaines équipes, notamment anglaises (6) et danoises (7) ont essayé de le démontrer à partir des registres de données de santé avec des résultats un peu discordants. Si les Anglais retrouvent une surestimation du risque de certaines cardiopathies congénitales opérées avec matériel et une sous-estimation du risque des valvulopathies natives, les danois, à partir d’une méthodologie peut-être un peu plus robuste, considèrent que la classification des cardiopathies à haut risque et à moyen risque est appropriée avec effectivement un sur-risque d’EI très important pour les patients ayant déjà fait une endocardite (Hazard Ratio 65), et pour les porteurs de prothèse (HR 19) et un risque moindre pour les valvulopathies natives (HR 9) en comparaison avec des sujets contrôles. Une équipe espagnole (8), là encore à base de registres de données de santé, insiste sur le fait que les patients avec bicuspidie ou prolapsus valvulaire mitral font plus fréquemment des EI à germes d’origine dentaire que les patients à haut risque, qu’ils développent autant de complications cardiaques que les patients à haut risque, et que les EI sur bicuspidie notamment sont traitées chirurgicalement dans quasiment 70 % des cas. Ceci l’amène à s’interroger sur l’intérêt de l’antibioprophylaxie dans ces deux sous-groupes de patients avec valvulopathie native. En ce qui concerne le prolapsus valvulaire, une
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