Dany-Michel MARCADET, Myléna MUZYKA-LE GAL, Centre Cœur et Santé Bernoulli, Paris
Le mot « stress » est souvent utilisé lors des consultations, en particulier en cardiologie. Ce terme désigne le plus souvent les effets d’un stimulus psychologique ou social extérieur (travail, vie familiale, etc.) responsable d’un « mal-être ». Il est souvent mis en cause dans la survenue de maladies comme l’hypertension artérielle ou l’infarctus du myocarde. Il est aussi lié à la maladie elle-même (peur que ça recommence), aux traitements (peur des effets secondaires), à l’arrêt du tabac (sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir y arriver). Ce stress est souvent responsable de l’encombrement des services d’urgence. Le cardiologue est souvent démuni et répond difficilement à la plainte des patients lorsqu’il se trouve dans cette situation. Dans les centres de réadaptation cardiaque, le problème est très souvent évoqué et plusieurs ateliers de « gestion du stress » sont apparus ces dernières années. Les centres de réadaptation cardiovasculaire possèdent des équipes multidisciplinaires pour permettre une prise en charge globale du patient et aider le cardiologue dans cette démarche. Notre expérience dans ce domaine nous permet d’expliquer pourquoi il est important de prendre en compte le stress chez nos patients(1).
Où en est-on exactement ? Le « stress » est-il responsable de certaines maladies cardiovasculaires ou de l’aggravation de leur pronostic ? Qu’est-ce que l’on appelle « stress » ? Est-il un facteur de risque cardiovasculaire au même titre que le tabagisme ou les dyslipidémies ? Comment le prendre en charge ? Doit-on le dépister systématiquement et comment ? Que doit faire le cardiologue lorsqu’il se retrouve face à un problème lié au stress chez son patient ? Nous allons tenter de répondre à toutes ces questions. Définition du stress Il existe une abondante littérature sur les relations entre psychisme et maladie coronaire. Les premiers travaux de Friedman et Rosenman en 1959 définissent un type comportemental corrélé à l’incidence des coronaropathies. Les traits essentiels de ce type A sont une grande compétitivité, une recherche permanente de réussite sociale et professionnelle, une hyperactivité avec lutte contre le temps, une agressivité et une certaine hostilité. Ce dernier facteur semble d’ailleurs être le plus prédictif d’événements coronariens. Le mécanisme serait lié à l’influence des catécholamines dont les taux sont 3 à 4 fois plus élevés chez les sujets de type A plus sensibles au « stress » que les sujets de type B (définis comme ceux qui ne présentent pas les traits du type A). Depuis, plusieurs travaux ont étudié différents facteurs psychologiques, comme la colère, l’anxiété, l’isolement social, le niveau d’éducation et leur relation avec l’insuffisance coronarienne. L’état de stress a été défini par Seylie(2) en 1974 comme une réaction non spécifique de l’organisme à une stimulation extérieure. Cependant, pour une même stimulation, chaque individu a une réponse différente sur le plan cognitif, physiologique ou comportemental. Sur le plan biologique, l’élévation des catécholamines est un facteur commun expliquant les effets cardiovasculaires négatifs : accélération de la fréquence cardiaque, poussée tensionnelle et donc risque d’ischémie et d’arythmie. Cette définition reste imprécise, mais le mot « stress » a l’avantage d’être compris par tous les patients qui acceptent plus facilement de participer à une session de gestion du stress (qu’ils considèrent comme un facteur extérieur) qu’une prise en charge « psychologique » classique. Les sessions de gestion du stress ont pour but d’apprendre aux patients à contrôler leurs réactions aux stimuli les plus stressants. La tendance actuelle est d’intégrer le « stress » dans le terme plus large de « facteurs de risque psychosociaux » dans lesquels on range l’isolement social, le stress au travail, le burn-out, la dépression, l’anxiété, l’hostilité, les attaques paniques, la personnalité de type D, le stress post-traumatique et les autres maladies mentales comme la schizophrénie. Les facteurs psychosociaux et le risque cardiovasculaire Les recommandations concernant la prévention des maladies cardiovasculaires de la Société européenne de cardiologie ont pris en compte les facteurs psychosociaux dans les facteurs de risque des maladies cardiovasculaires (classe IIa) (3). Plusieurs études ont en effet démontré d’une part qu’un statut socio-économique faible, le manque de soutien social, le stress au travail ou en famille, l’hostilité, la dépression, l’anxiété et autre trouble mental contribuent au risque de développer une maladie cardiovasculaire et une aggravation du pronostic chez les patients porteurs de la maladie. Alors que l’absence de ces éléments est associée à un risque plus faible et un meilleur pronostic. On notera aussi que les facteurs de risque psychosociaux font souvent obstacle à l’observance du traitement et à l’amélioration du mode de vie. Le faible statut socio-économique est défini comme un faible niveau d’éducation, un faible revenu, l’occupation d’un emploi de faible statut ou vivant dans un quartier résidentiel pauvre. Cette situation entraîne un risque relatif (RR) de mortalité cardiovasculaire compris entre 1,3 et 2,0 (4,5). Les personnes vivant seules ou le manque de soutien social sont aussi des facteurs à prendre en compte, car ils augmentent le risque de développer et de mourir prématurément d’une cardiopathie. On sait aussi que le stress aigu peut agir comme déclencheur d’un syndrome coronaire aigu (SCA). L’exposition aux catastrophes naturelles ou des événements personnels graves entraînant de fortes émotions négatives (colère ou chagrin important) sont aussi corrélés au risque de survenue d’un SCA (6). Après le décès d’une personne chère, le taux d’infarctus myocardique est multiplié par 21 pendant les 24 premières heures, diminuant régulièrement au cours des jours suivants (7). Le stress chronique au travail (durée du travail, heures supplémentaires, exigences psychologiques élevées, conflit de valeur, sentiment d’injustice et tensions professionnelles) augmente le risque d’événement cardiovasculaire chez les hommes de 1,2 -1,5. Les conditions de stress chronique dans la vie de famille augmentent aussi ce risque de 2,7-4,0 (8,9). Certaines conditions de travail à risque se retrouvent plus particulièrement chez les femmes : travail en relation constante avec le public, avec des personnes en situation de détresse ; travail morcelé et interrompu, isolé ; travail répétitif, à la chaîne, avec des postures contraignantes, exigeant une station debout ; travail permanent sur écran. En outre, la reconnaissance en termes de salaire et d’évolution de carrière est moindre. Enfin, il faut considérer la lourdeur de la triple charge professionnelle, domestique et familiale, souvent dans une relative solitude. Les risques psychosociaux : charge affective, conflit de valeur, charge et organisation de travail, relations professionnelles… • La sédentarité, l’environnement des postes de bureautique (éclairement, dimensionnement du poste de travail…). • Le travail de nuit, le travail posté, les horaires atypiques et plus généralement les horaires de travail et leurs impacts sur la vie personnelle. • Les temps de travail et l’articulation temps de travail/hors temps de travail ne sont pas les mêmes chez les femmes et les hommes (fréquence plus importante de la situation de parent isolé chez les femmes) (10). La gestion des émotions est importante pour retrouver un travail, un nouveau projet de vie. La dépression et les symptômes dépressifs ont été particulièrement étudiés. Ils augmentent le risque d’événements cardiovasculaires de 1,6 et 1,9 respectivement, et peuvent aggraver son pronostic de 1,6 et 2,4 respectivement (6,11-13). La dépression et l’anxiété sont des facteurs de risque psychosociaux reconnus, en particulier pour l’insuffisance coronarienne et l’insuffisance cardiaque. Les données récentes sur leur prévalence et leurs associations avec d’autres facteurs de risque ont été évaluées dans le cadre de l’enquête EUROASPIRE IV. Au total, 7 589 patients de 24 pays européens examinés à une médiane de 1,4 an après l’hospitalisation en raison d’événements coronariens. La dépression et l’anxiété ont été évaluées à l’aide de l’échelle d’anxiété et de dépression hospitalière. Résultats : les symptômes d’anxiété (score d’anxiété et de dépression à l’hôpital ≥ 8 ont été observés chez 26,3 % des participants et étaient plus fréquents chez les femmes (39,4 %) que chez les hommes (22,1 %) et les symptômes de dépression étaient présents chez 22,4 % des patients (30,6 % des femmes et 19,8 % des hommes). Néanmoins, des antidépresseurs et des médicaments anti-anxiété ont été prescrits à seulement 2,4 % des patients à la sortie de l’hôpital, et 2,7 % et 5,0 % des patients respectivement, ont continué à les prendre lors de l’entretien. L’anxiété et la dépression étaient associées au sexe féminin, à un niveau d’éducation inférieur et à un mode de vie plus sédentaire. L’anxiété était plus fréquente dans les groupes d’âge plus jeune et les taux de dépression augmentaient avec l’âge. La dépression était associée au tabagisme, à l’obésité centrale et au diabète. Un certain nombre de changements de style de vie ont été obtenus et ont permis de réduire l’anxiété et la dépression (14). L’épuisement psychologique ou « burn-out » augmente de manière significative l’incidence d’événements cardiovasculaires (risque relatif de 21,1 % chez les femmes et 27,7 % chez les hommes). Les attaques de panique augmentent également le risque (11,14). L’anxiété est un facteur de risque indépendant pour la mortalité cardiaque après un infarctus du myocarde (15,16). Les autres maladies mentales ont aussi une influence. Des métaanalyses ont rapporté une augmentation du risque de maladie cardiovasculaire de 1,5 fois, et de 1,7 fois le risque d’accident vasculaire cérébral chez les patients atteints de schizophrénie (17). À noter aussi, chez les patients atteints de trouble de stress post-traumatique, que le risque d’événement cardiovasculaire est 1,3 fois plus élevé (18). L’hostilité est un trait de personnalité, caractérisé par plusieurs affects négatifs : méfiance, rage, colère et tendance à se livrer à des agressions ou à avoir des relations sociales inadaptées. Une métaanalyse a confirmé que la colère et l’hostilité sont associées à une augmentation faible, mais significative risque d’événements cardiovasculaires (19). La personnalité de type D (en détresse) implique une tendance à ressentir un large éventail d’émotions négatives (affectivité négative) avec une inhibition de l’expression de soi par rapport à d’autres (inhibition sociale). La personnalité de type D prédit un mauvais pronostic chez les patients atteints d’insuffisance coronarienne (RR 2,2) (20). Dans la plupart des situations, les facteurs de risque psychosociaux regroupent les individus et groupes. Par exemple, les femmes et les hommes de niveau socioéconomique inférieur et/ou avec un stress chronique sont plus susceptibles d’être déprimés, hostiles et socialement isolés. L’étude INTERHEART a montré qu’un groupe de facteurs de risque psychosociaux (faible statut social, stress au travail ou dans la vie de famille
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