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Changement de paradigme : utiliser les statines pour prévenir et traiter le cancer - Une revue de la littérature
Laura BACIULESCU, CH d’Agen

Les statines sont des inhibiteurs de la 3-hydroxy-3-méthyl-glutaryl coenzyme A réductase largement utilisés pour traiter la dyslipidémie et réduire la morbi-mortalité cardiovasculaire en prévention primaire et secondaire. De plus en plus de preuves précliniques et épidémiologiques ont révélé que la dyslipidémie est un facteur de risque important de carcinogenèse, d’invasion et de métastases.
Plus récemment, le potentiel des statines à exercer des effets pléiotropes, notamment en empêchant la prolifération des cellules néoplasiques, a attiré une attention considérable, car des études antérieures (surtout de cohorte, observationnelles et précliniques, mais aussi interventionnelles) et des méta-analyses ont démontré que les statines peuvent atténuer la progression du cancer et les micro-métastases et prévenir l’apparition des certains types de cancer. Les mécanismes évoqués sont l’effet antiprolifératif, pro-apoptotique, anti-inflammatoire et probablement antiangiogène. Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent (près de 1,3 million de cas de cancer du sein sont diagnostiqués chaque année dans le monde, dont 20 % correspondent au sous-type triple négatif) et la deuxième cause de mortalité par cancer chez les femmes (11). Le sous-type triple négatif (TN) est défini par l’absence d’expression du récepteur des œstrogènes (ER), du récepteur de la progestérone (PR), et du récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (HER2) par les cellules tumorales. Il représente la forme la plus agressive du cancer du sein, pour laquelle aucune thérapie spécifique efficace n’est disponible. Le traitement habituel repose sur une chimiothérapie à base de doxorubicine, une anthracycline certes efficace, mais avec une cardiotoxicité accrue et dose-dépendante. Dans ce contexte, plusieurs études précliniques sont en cours pour tester de nouvelles molécules ayant un réel potentiel thérapeutique et moins d’effets indésirables. Dans la méta-analyse « Utilisation post-diagnostique des statines et son association avec la récidive du cancer et la mortalité chez les patientes atteintes d’un cancer du sein : une revue systématique et une méta-analyse » (9), publiée en 2023, l’utilisation de statines était associée à une réduction de la récidive du cancer par rapport aux non-utilisatrices de statines. Cette tendance était similaire chez les utilisateurs de statines lipophiles (atorvastatine, lovastatine, simvastatine), mais pas chez les utilisateurs de statines hydrophiles (rosuvastatine, pravastatine et fluvastatine). Les statines lipophiles ont démontré une réduction à la fois de la mortalité toutes causes confondues et de la mortalité par cancer du sein, à l’inverse des statines hydrophiles, qui n’ont pas diminué la mortalité toute cause. Dans l’étude « Utilisation de statines après le diagnostic et mortalité spécifique au cancer du sein : une étude de cohorte basée sur la population » (10), publiée en 2023, l’utilisation de statines était associée à une diminution statistiquement significative du risque de décès par cancer du sein, les analyses de sous-groupes révélant un effet plus protecteur chez les patientes avec récepteurs des œstrogènes présents, les femmes ménopausées et les femmes atteintes d’une maladie à un stade avancé. La simvastatine, l’une des statines les plus lipophiles, serait la meilleure candidate pour le traitement du cancer du sein pour plusieurs raisons : 1) elle inhibe préférentiellement la croissance des cellules tumorales du cancer du sein TN par rapport aux cellules tumorales non-TN, 2) son utilisation est associée à une réduction significative de la croissance des cellules cancéreuses in vitro et in vivo, et 3) des études précliniques ont montré qu’elle pourrait supprimer la tumeur et réduire le potentiel métastatique du cancer du sein. Ces études plaident en faveur d’un effet bénéfique de l’utilisation de simvastatine sur la survie des patientes atteintes d’un cancer du sein. Sur le plan fonctionnel, la sensibilité des cellules tumorales du cancer du sein à la simvastatine a été associée à une réduction de la prolifération et de la survie ( in vitro et in vivo) de ces cellules, et à une réduction de la croissance tumorale. Le signal calcique a été identifié comme un acteur central de la réponse des cellules cancéreuses TN à la simvastatine. Un rôle critique de la perturbation de l’homéostasie calcique dans l’apoptose cellulaire a été proposé. Les propriétés antitumorales de la simvastatine ont été associées à un dérèglement de l’homéostasie du calcium, dont le mécanisme reste inconnu. L’analyse de la croissance tumorale dans un modèle de xénogreffe de tumeur chez la souris a confirmé le rôle central du Ca 2+ dans la capacité de la simvastatine à réduire le volume de la tumeur. Dans des expériences in vitro, l’augmentation de la concentration intracellulaire des ions Ca 2+ dans les cellules tumorales mammaires par l’ajout de simvastatine diminue leurs capacités invasives et tumorigènes, en accord avec l’impact thérapeutique favorable de cette molécule suggérée par les résultats des études précliniques. Ces résultats lèvent le voile sur le mécanisme moléculaire de l’activité de la simvastatine et fournissent un nouveau support expérimental pour de futurs essais cliniques utilisant ce médicament pour traiter le cancer du sein. Les effets pro-apoptotiques de la simvastatine et de la doxorubicine impliquent, dans les deux cas, une augmentation de la concentration intracellulaire des ions Ca 2+. La cytotoxicité de la simvastatine était bien supérieure à celle de la doxorubicine, avec une différence d’un facteur 30 dans les valeurs de la concentration inhibitrice médiane après 48 heures de traitement. En outre, la combinaison de la simvastatine et de la doxorubicine à faibles doses augmentait l’apoptose des cellules cancéreuses TN de façon synergique et pas seulement additive. Ces résultats indiquent que la combinaison de simvastatine et de doxorubicine pourrait être efficace pour traiter le cancer du sein, notamment son sous-type triple négatif. Dans l’étude « Cholesterol-lowering drugs may slow down metastases, EurekAlert, 28 février 2022 », on a mis en évidence un facteur important dans le développement métastatique du cancer colorectal : le gène MACC1. Selon les chercheurs, quand ce gène est présent dans les cellules cancéreuses, la propagation des cellules dans le corps est accélérée. « De nombreux types de cancers ne se propagent que chez les patients présentant une expression élevée de MACC1 », explique Ulrike Stein. Les statines sont efficaces pour inhiber l’action du gène MACC1 dans les cellules cancéreuses et permettent de bloquer la prolifération des métastases. Dans l’étude « Real-world evidence for preventive effects of statins on cancer incidence: A trans-Atlantic analysis, Clinical and Translational Medicine, 20 février 2022 », afin de tester l’efficacité des statines contre le cancer chez les humains, Robert Preißner et des scientifiques de l’université de Virginie ont également examiné les données d’un total de 300 000 patients à qui l’on avait prescrit des statines. Cette analyse a permis d’établir une corrélation nette entre statines et lutte contre le cancer. « Les patients prenant des statines avaient une incidence de cancer deux fois moins élevée que celle de la population générale », explique Robert Preißner, un des auteurs de l’étude. Les statines sont les médicaments les plus fréquemment prescrits dans le monde et sont généralement bien tolérées. L’utilisation régulière de statines a été associée à une réduction du risque de plusieurs cancers, tels que les cancers du sein, de l’estomac et du pancréas. Chez les utilisateurs de statines, le risque de développer un cancer colorectal est réduit de 20 %, cependant, chez les personnes atteintes de maladies inflammatoires de l’intestin, leur risque est réduit de 60 %. D’autres études seront nécessaires pour confirmer ces résultats et pour examiner si l’effet chimio protecteur des statines diffère selon le type de condition inflammatoire présente. Les statines pourraient inhiber la carcinogenèse pulmonaire par leur action inhibitrice sur l’inflammation systémique et le remodelage épithélial bronchique comme suggéré dans la BPCO (15). Le cancer pulmonaire résulte classiquement des effets combinés du tabagisme et d’une prédisposition génétique favorable au développement de ce cancer. La BPCO est un terrain privilégié pour le cancer pulmonaire et tout comme lui, est caractérisée par une inflammation systémique secondaire au tabac et à une réponse innée aux composés tabagiques sur un terrain génétique favorisant. Par leur action inhibitrice de cette inflammation systémique, les statines pourraient réduire le risque d’apparition de complications cardiovasculaires, mais aussi du développement d’une BPCO et de cancers . L’équipe du Pr Young s’est intéressée à l’étude de la cohorte nationale danoise incluant les patients s’étant vu diagnostiquer un cancer entre 1995 et 2007 (avec un suivi jusqu’à fin 2009) dont, parmi les sujets d’âge supérieur ou égal à 40 ans, 18 721 patients avaient pris des statines régulièrement avant le diagnostic de cancer et 277 204 n’en avaient jamais pris. Il était observé une diminution de la mortalité par cancer chez les patients précédemment sous statines quelle que soit la dose : HR = 0,83 (95 % IC : 0,81-0,86) pour la dose la plus faible. Cela était vrai pour les treize cancers différents considérés d’après Nielsen et coll. [Nielsen SF, Nordestgaard BG, Bojesen SE. Statin use and reduced cancer-related mortality. N Engl J Med 2012 ; 367(19) : 1792-802.] Mais après réexamen des données brutes par Young et coll., la diminution de la mortalité de 17 % par cancer, rattachée à la prise des statines était uniquement liée, hormis les leucémies, aux cancers associés au tabagisme (poumon, ORL, œsophage, vessie) ou à l’obésité (colon, prostate, sein). Parmi ceux-ci, le cancer pulmonaire représentait à lui seul 43 % des vies sauvées d’une mort par cancer. Les insuffisants cardiaques sont plus à risque de développer un cancer, qui représente la première cause de mortalité non cardiaque chez ces patients. L’insuffisance cardiaque pourrait être une pathologie oncogène, du fait des liens entre activation neurohormonale et tumorigenèse, processus pathologiques ischémiques comme l’inflammation et le stress oxydatif
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