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Place des nouveaux antiagrégants plaquettaires dans le syndrome coronarien aigu - Analyse des recommandations de l’ESC 2011
E. FERRARI, CHU Nice

L’aspirine n’est certainement pas un nouveau médicament, mais l’étude ISIS-2 qui s’intéressait au bénéfice de la thrombolyse (streptokinase) et de l’aspirine à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde (ST+) doit être rappelée, car elle positionne les antiagrégants ou tout au moins l’aspirine, dans l’arsenal thérapeutique du SCA.
L’aspirine L’aspirine n’est certainement pas un nouveau médicament, mais l’étude ISIS-2 qui s’intéressait au bénéfice de la thrombolyse (streptokinase) et de l’aspirine à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde (ST+) doit être rappelée, car elle positionne les antiagrégants ou tout au moins l’aspirine, dans l’arsenal thérapeutique du SCA. Dans cette étude (Lancet 1988) qui comprenait un plan factoriel, le bénéfice de l’aspirine était aussi important que celui de la thrombolyse. Les patients thrombolysés sans aspirine avaient un taux de mortalité à 35 jours de 10,4 % vs 10,7 % pour ceux qui avaient reçu de l’aspirine sans thrombolytique. Les deux médicaments additionnaient leur effet bénéfique pour faire baisser encore la mortalité à 35 jours à 8 %, alors que les infarctus ST+, qui ne recevaient ni l’un ni l’autre, présentaient un taux de décès de 13,2 %. Ce dernier bras placebo/placebo n’est, bien sûr, plus envisageable de nos jours, mais l’était encore dans les années 80 lorsqu’aucune donnée ne pouvait assurer le bénéfice de l’un ou l’autre des médicaments. Il montre d’ailleurs les progrès faits en quelques années, puisque la mortalité hospitalière du ST+ a été divisée par 2 depuis (tableau 1). Ce bénéfice d’un AAP est-il cohérent avec ce que l’on sait de la physiopathologie de la thrombose coronaire ? Parfaitement ! Le phénomène qui vient obstruer l’artère coronaire est bien la thrombose et en particulier l’activation plaquettaire qui vient compliquer une rupture de plaque. L’adage « on vit avec l’athérome, mais on meurt par la thrombose » est très explicite. L’histoire de la thrombose de stents à l’initiation de la méthode du stenting coronaire ne doit pas être oubliée. Elle nous rappelle que dans un modèle expérimental de rupture de plaque et d’infarctus du myocarde, les AAP sont bien plus efficaces que les antithrombines. Pour rappel : les premiers stents mis en place dans un contexte de traitement anticoagulant « maximal » héparine-AVK-dextran…., mais sans AAP, thrombosaient dans ± 20 % des cas. L’avènement de la bithérapie AAP (aspirine + ticlopidine, Barragan P.) plus les progrès autorisés par l’équipe d’Antonio Colombo à Milan (Impactation des stents à de plus fortes pressions) auront permis de nous affranchir de ce taux de complications redoutables qui a risqué de faire capoter la méthode. D’ailleurs, lorsque l’on compare les effets bénéfiques respectifs des traitements antithrombotiques dans le SCA, comme les recommandations de l’ESC l’on fait (tableau 2), l’aspirine reste le médicament qui amène le plus grand bénéfice : 53 % de diminution des décès + IDM à 30 jours vs 45 % à l’héparine. Alors que les autres traitements, bien plus compliqués à gérer entraîneraient un bénéfice maximal (non statistiquement significatif) de 10 %. Certes, il était probablement plus facile de démontrer un grand bénéfice dans les années 80, contre rien, qu’actuellement, lorsque le traitement appelé « placebo » contient en fait de l’aspirine, une thiénopyridine et une héparine. Mais les faits sont là (figure). Bénéfices et risques selon les différents traitements. Dans les dernières guidelines de l’ESC, l’aspirine est donc classée I-A dans la prise en charge du non-STEMI et I-B dans la prise en charge du STEMI. Le I-B se justifie méthodologiquement par le fait qu’une seule étude (ISIS-2) a évalué l’aspirine vs placebo. Quid des « nouveaux AAP » ? Les dernières recommandations de l’ESC ont parfaitement intégré ce point. Elles rappellent que : – le prasugrel est une thiénopyridine, d’effet irréversible dont le début d’action est d’environ 30 min. Bien qu’il s’agisse d’une prodrogue, le prasugrel, au contraire du clopidogrel, n’a pas à ce jour de limitation de son effet pharmacologique par la nécessité d’une métabolisation ; – le ticagrelor est un inhibiteur du récepteur P2Y12 comme le prasugrel et le clopidogrel, mais n’est pas une thiénopyridine (c’est une triazolopyrimidine). Il s’agit d’une drogue d’emblée active, d’effet réversible, qui agit aussi en 30 min (tableau 3). Pour comprendre les guidelines de l’ESC, il faut rappeler que les recommandations se doivent d’être parfaitement documentées par les différents essais dont nous disposons en cardiologie. Cela signifie qu’elles ne peuvent sortir du contexte dans lequel telle ou telle étude aura montré le bénéfice de l’AAP. Nous y reviendrons. La première des recommandations de l’ESC sur les AAP en dehors de l’aspirine est que : • un inhibiteur des P2Y12 doit être ajouté à l’aspirine aussi rapidement que possible et maintenu jusqu’à 12 mois, sauf contre-indication ou risque hémorragique excessif (grade I-A). Dans les mêmes recommandations de l’ESC : • le ticagrelor (180 mg en dose de charge puis 90 mg x 2/j) est recommandé chez tous les patients à risque modéré à élevé (en particulier troponine +) indépendamment de la stratégie du traitement initial choisi en incluant les patients qui auraient été prétraités par du clopidogrel (grade I-B). Ces précisions émanent du schéma de l’étude PLATO qui a validé le ticagrelor. Dans PLATO, en effet, les patients pouvaient être prémédiqués par du clopidogrel (environ 46 % des patients l’étaient et ce groupe tirait le même bénéfice que les patients non prétraités). Les patients de PLATO étaient par ailleurs des patients à risque modéré à élevé : 48 % environ étaient des ST+ et 82 % des patients avaient une troponine positive. • Le prasugrel (60 mg en dose de charge puis 10 mg par jour) est recommandé chez les patients naïfs de traitement par un autre inhibiteur des P2Y12, en particulier chez les diabétiques, lorsque l’anatomie coronaire est connue et en dehors de tout surrisque hémorragique (grade I-B). Pourquoi autant de limites ? Parce que l’étude TRITON qui a validé le prasugrel est une « étude d’angioplasticiens à l’américaine ». Un monde dans lequel le recours à la chirurgie coronaire est plus fréquent qu’en Europe et où une prémédication par une dose charge d’AAP risque de compliquer ou de retarder le geste. Cette pratique correspond très peu à la pratique européenne et en particulier française. Dans TRITON, les patients présentant un ST- n’étaient donc pas prémédiqués, en particulier par du clopidogrel, et le traitement n’était donné qu’après l’angiographie diagnostique. Les recommandations ne peuvent donc que respecter tous ces critères et ne peuvent recommander ce traitement que dans les conditions strictes où il a été démontré efficace. On remarquera tout de même qu’il existe une contradiction entre la recommandation de grade I-A qui recommande de prémédiquer aussi rapidement que possible par un inhibiteur du P2Y12 et celle-ci qui demande d’attendre la connaissance de l’anatomie coronaire…. Quid du clopidogrel dans les recommandations ? Le clopidogrel est recommandé chez les patients qui ne peuvent recevoir du ticagrelor ou du prasugrel (grade I-A) ( !!) Cette extrême limitation conseillée du clopidogrel est-elle pertinente ? Si oui, cela signifierait que la place du clopidogrel devrait se réduire à peau de chagrin. S’il existe quelques contre-indications, a priori, au prasugrel, celles du ticagrelor ne sont pas légions. Le clopidogrel a, en effet et incontestablement, un effet antiplaquettaire beaucoup moins rapide et moins puissant que les 2 autres. S’il a rendu des services en cardiologie, et en particulier essentiellement dans la prise en charge des SCA et de l’angioplastie coronaire, il a aussi montré ses nombreuses limites. En sus de celles déjà citées, il faut garder à l’esprit que 25 % des patients y sont résistants et que si l’enquête génétique pour rechercher les porteurs du C219*, ces patients qui n’ont pas les bons outils pour métaboliser la prodrogue, est scientifiquement fort intéressante, elle est déconnectée de la pratique quotidienne. A fortiori, les résistances peuvent être dues à de nombreuses interférences médicamenteuses qui surviendraient chez des patients génétiquement « armés » pour métaboliser le clopidogrel. Un des autres inconvénients du clopidogrel est que, clairement, il ne donne aucun résultat chez le patient diabétique. Le taux d’évènements chez le diabétique coronarien traité par aspirine + clopidogrel dans l’étude CURE, reste plus de 2 fois supérieur à celui du non-diabétique. Alors que le prasugrel (et ceci est justement repris dans les recommandations) semble avoir un effet plus important chez le diabétique que chez les non-diabétiques. Les nostalgiques du clopidogrel pourraient avancer que l’étude CURRENT qui a comparé 2 doses de charge dans le SCA (300 mg, puis 75 mg/j vs 600 mg, puis 150 mg 1 semaine, puis 75 mg/j) a montré chez les patients ayant eu une angioplastie un bénéfice substantiel. Oui, mais ce groupe de patients, bien que très important en nombre (n = 17 000), n’était qu’un sous-groupe de l’étude CURRENT (n = 25 000). Par ailleurs, le niveau de risque des patients de l’étude CURRENT était clairement très inférieur à celui des études TRITON et PLATO (le taux d’évènements des patients du bras clopidogrel 75 dans CURRENT est de 4,4 % vs 5,4 % avec le même traitement dans PLATO et 7,1 % dans TRITON). La dose de 600 mg est cependant reconnue comme une recommandation de grade I-B… chez les patients ne pouvant recevoir ni ticagrelor, ni prasugrel. Une dose de charge de 600 mg de clopidogrel est recommandée chez les patients prévus pour une stratégie invasive lorsque ticagrelor ou prasugrel n’est pas une option (grade I-B) Alors que le maintien d’une dose de 150 mg pendant 7 jours n’aura pas vraiment emballé les experts des mêmes recommandations… Le maintien d’une dose de 150 mg/j pendant 7 jours chez les patients traités par angioplastie et sans surrisque hémorragique doit être considéré (grade IIa-B) Le clopidogrel devrait, en revanche, certainement garder sa place dans une situation relativement peu fréquente : le ST+ thrombolysé. L’étude CLARITY-TIMI 28 avait en effet montré le bénéfice du clopidogrel dans cette indication, alors que ni l’étude TRITON ni l’étude PLATO n’ont inclus
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