Détection précoce de l’insuffisance cardiaque - Comment faire ?
M.-C. MALERGUE, Hôpital privé Jacques Cartier Massy, Clinique Turin, Paris
Pendant de nombreuses années, la fonction ventriculaire gauche a été estimée par la fraction d’éjection (FE) ; l’évaluation de la FE a fait l’objet de nombreuses études et a servi de critère dans l’évaluation des essais thérapeutiques, pharmacologiques ou non pharmacologiques. Depuis une dizaine d’années, le concept d’insuffisance cardiaque (IC) à fraction d’éjection conservée a vu le jour, laissant supposer qu’un véritable tableau d’IC était possible alors que la FE était conservée. La terminologie de cette réalité clinique a reçu plusieurs appellations : IC à fonction systolique conservée, IC diastolique, IC FE préservée. Aucune ne correspondait à la réalité physiopathologique : le terme « IC à fonction systolique conservée » n’est pas adapté, car une FE conservée ne signifie pas que la fonction systolique le soit, et une dysfonction diastolique peut se voir dans une cardiopathie à FE basse. Donc le terme adéquat est bien celui d’ « IC à FE conservée », témoignant d’une dysfonction VG alors que la FE est préservée.
Le Doppler tissulaire a été largement utilisé pour évaluer la dysfonction régionale et la dysfonction diastolique ; de nombreuses limitations sont apparues au fur et à mesure de son utilisation, limites liées à son caractère angle-dépendant, à la difficulté de différencier un mouvement passif d’un mouvement actif et à sa mauvaise reproductibilité. L’imagerie de déformation a fait son apparition il y a quelques années ; elle se rapproche des objectifs de l’imageur, en accédant à une réalité jusqu’alors inaccessible par les techniques échographiques habituelles : la physiopathologie des différentes fibres myocardiques. Les fibres myocardiques ont une architecture complexe, fibres longitudinales (couches sous-endo et sous-épicardiques), radiaires (mi-paroi) et circonférentielles. Les avantages du speckle tracking comparativement au Doppler tissulaire sont l’indépendance par rapport à l’angle, la bonne résolution spatiale, le bon rapport signal/bruit, une bonne reproductibilité, la rapidité d’utilisation ; ses inconvénients : il dépend de la qualité de l’image, a une cadence image limitée rendant son utilisation difficile en cas de tachycardie. Les perspectives d’analyse sont très intéressantes car le strain donne accès à un diagnostic précoce de dysfonction ventriculaire gauche, avant toute modification de la FE, voire avant l’apparition d’une dysfonction diastolique. Rappel physiologique de l’analyse de la fonction VG Étudier la fonction cardiaque intrinsèque laisse supposer que l’on peut accéder à la contractilité réelle du myocarde (figure 1). Les éléments contractiles du myocarde peuvent développer une force contractile et ainsi se raccourcir. Ces éléments contractiles sont intégrés, grâce à une distribution très spécifique dans le ventricule gauche, à une certaine géométrie (forme et épaisseur) et des propriétés élastiques spécifiques. Par l’action de ces forces contractiles, le ventricule peut augmenter sa pression intracavitaire jusqu’à un niveau suffisant pour ouvrir les sigmoïdes aortiques. À partir de ce moment, le raccourcissement des éléments contractiles entraîne une diminution de la taille de la cavité et l’éjection. En ne mesurant que la FE, toutes les autres informations (niveau de pressions, propriétés tissulaires et ensemble des déformations allant du raccourcissement individuel des fibres jusqu’à la déformation globale de la cavité VG) restent méconnues. Figure 1. Le fonctionnement du cœur, d’après Bijnens et al. Eur J Echocardiogr 2009 ; 10 : 216-26. Pour décrire totalement la fonction cardiaque, deux aspects et leur interaction doivent être distingués : la force de développement (contractilité des myocytes) et la déformation (raccourcissement des myocytes). La fonction VG peut être interprétée, de façon globale comme une fonction pompe, ou selon une perspective régionale, tenant compte de la contribution de chaque segment myocardique. Les interactions entre les composants des forces actives et de déformation sont déterminées par les conditions spécifiques dans lesquelles le cœur fonctionne. Cela inclut : - les propriétés pariétales telles que la composition tissulaire et l’élasticité, la structure des fibres, la géométrie globale ; - l’interaction du cœur et de la circulation périphérique, le plus souvent décrite comme les conditions de charge (pressions et volume). L’estimation simple de la fonction globale est basée sur des indices globaux, telles la fraction d’éjection et la fraction de raccourcissement. Ces paramètres directement liés aux calculs des volumes ont d’importantes limitations dans l’évaluation de la fonction intrinsèque dans un contexte de conditions de charge anormale : - l’assomption mathématique est mise en défaut par les déformations ventriculaires ; - les paramètres basés sur le calcul des volumes sont charge-dépendants ; - les paramètres conventionnels donnent accès à la fonction globale, basés sur les propriétés de raccourcissement (fonction radiaire) en ignorant la fonction longitudinale, qui dans la plupart des pathologies est atteinte avant que ne surviennent les indices radiaires. L’augmentation de la fonction radiaire peut, de plus, témoigner d’un phénomène compensateur, secondaire à la réduction de la fonction globale longitudinale. Pour surmonter ces limitations, de nouvelles techniques échocardiographiques ont été proposées, basées sur la cinétique myocardique et sa déformation. Déformation myocardique 2D strain Le 2D strain est basé sur une imagerie 2D, en échelle de gris, utilisant la technique du speckle tracking. Les « speckles » sont des marqueurs acoustiques naturels, réflecteurs d’ultrasons ; le « tracking » est une méthode de suivi des speckles, fondé sur le repérage de leur position dans la paroi ventriculaire gauche durant le cycle cardiaque. L’analyse conventionnelle de la fonction systolique, par l’étude de l’épaississement pariétal, ne permet d’explorer que la fonction systolique radiaire. L’analyse de la déformation en 2D permet d’explorer les trois composantes de la déformation myocardique (radiale, longitudinale et circonférentielle). C’est une méthode comparable au « tagging » en IRM ; elle est simple et rapide, non dépendante de l’angle et reproductible, avec une meilleure reproductibilité pour le strain longitudinal. Les mesures de strain longitudinal sont plus robustes et plus reproductibles que le strain radiaire et circonférentiel. La figure 2 rappelle l’organisation et l’architecture des fibres myocardiques, longitudinales, radiaires et circonférentielles. Le strain longitudinal est accessible en incidence des 4 cavités (la base du ventricule allant normalement vers la pointe qui est fixe), alors que la voie parasternale (petit et long axe) permet d’analyser le strain radiaire. Le résultat exprimé en pourcentage est positif si le segment s’épaissit ( strain radiaire), le résultat est négatif si le segment se raccourcit ( strain longitudinal) (figure 3). Figure 2. A. architecture des fibres myocardiques longitudinales, radiaires et circonférentielles ; B. raccourcissement des fibres longitudinales et des fibres radiaires selon l’incidence d’étude en échographie. Figure 3. Sujet normal 2D strain. A. strain longitudinal avec courbes régionales, s’inscrit en négatif (raccourcissement) ; B. strain radiaire avec courbes régionales, s’inscrit en positif (épaississement). La relation entre les forces agissant sur une structure et sa déformation dépend essentiellement de l’élasticité de l’objet. Plus un objet est élastique, plus il est déformé par les forces actives. Cette relation est illustrée par la figure 4. Dans un segment myocardique, les forces développées, et par le segment et sur le segment, doivent être prises en considération. La force contractile intrinsèque aboutissant à un raccourcissement des myocytes donc à une déformation négative est la plus importante. Il faut garder en mémoire que chaque élément du myocarde est toujours contraint dans le ventricule à des forces externes agissant dans une direction opposée à la force contractile : il s’agit des conditions de charge qui sont constituées par le stress pariétal régional (secondaire à la pression intracavitaire) et l’interaction des segments voisins. La relation entre toutes les forces actives et la déformation qui en résulte est régulée par l’élasticité régionale qui, pour le myocarde, dépend directement de la structure de la fibre, de la présence ou de l’absence de fibrose ou de dépôts intramyocardiques. Figure 4. Relation entre les forces locales et la déformation (d’après Bijnens). En résumé, les principaux facteurs influant sur la déformation régionale sont : - la contractilité intrinsèque, - la pression intracavitaire (souvent assimilée à la postcharge et influencée par la précharge) dépendant de la géométrie locale ventriculaire, - l’interaction des différents segments influencée par l’état contractile des segments adjacents, - l’élasticité tissulaire (qui dépend de l’histologie locale, telle la fibrose) et fonction de l’état d’étirement préalable. Ces facteurs peuvent se résumer en une force active (contractilité), 2 forces passives (pressions et interaction segmentaire) et les propriétés tissulaires. Applications cliniques La mesure du strain va permettre une analyse de la cinétique segmentaire quantitative et dans les trois directions ; elle permet une approche de la fonction globale différente de celle de la FEVG. Les trois composantes de la déformation peuvent évoluer différemment dans les pathologies (altération longitudinale possible alors que les autres composants sont conservés), ce qui permet un dépistage précoce de nombreuses pathologies. L’analyse segmentaire La détection automatique de l’endocarde rend très rapide l’ajustement de la zone d’intérêt et la quantification de la déformation de chacun des segments pour une incidence donnée (figure 5). Les corrélations entre l’IRM et le 2D strain dans l’analyse de la cinétique segmentaire sont bonnes ; son application est utile en routine en cas de cinétique qui paraît visuellement douteuse, et permet une approche rapide de la fonction longitudinale difficile à évaluer « à l’œil » ; elle permet de quantifier l’amélioration des segments dans le cadre de recherche de viabilité. Son utilisation dans le dépistage d’anomalie régionale en échographie de stress reste limitée au-delà d’une fréquence > 120 bpm. Figure 5. Quantification des troubles régionaux, représentation en œil de bœuf (infarctus antéroseptal, infarctus inférolatéral, infarctus inférieur) . L’insuffisance cardiaque à FE préservée C’est l’exemple typique d’une dissociation entre la FE, qui est préservée (grâce à l’action des fibres radiaires), et les fibres longitudinales qui sont altérées sans interférer directement sur la FEVG. Le strain global Il correspond à la moyenne du strain dans les différents segments VG, il s’agit d’une approche rapide de la fonction VG globale. Les valeurs normales de 2D strain en longitudinal sont de l’ordre de -19,9 % ± 5,3, +34
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