Apnée du sommeil : quel impact pour le cardiologue ?
M.-P. d’ORTHO, hôpital Henri Mondor, Créteil
Les syndromes d’apnées du sommeil se caractérisent par la survenue répétitive d’apnées et d’hypopnées au cours du sommeil. Leur prévalence chez les patients déjà porteurs de pathologies cardiovasculaires est élevée : de 30 à 80 % selon les sous-groupes de patients. Leur dépistage systématique est donc justifié. Le SAS des patients insuffisants cardiaques peut prendre plusieurs formes : obstructif, central, ou mixte, à l’inverse de ce qui se voit dans la population générale où le SAS est pour 90 % de type obstructif. Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil constitue un facteur de risque cardiovasculaire indépendant.
Ces événements respiratoires nocturnes induisent une importante désorganisation de l’architecture du sommeil qui explique le retentissement sur la vigilance diurne et les fonctions cognitives. Tant les conséquences socioprofessionnelles des troubles de la vigilance et la détérioration de la qualité de vie que les fréquentes complications cardio- et cérébrovasculaires du syndrome d’apnées du sommeil en font un véritable problème de santé publique. L’individualisation du syndrome d’apnées du sommeil est relativement récente. Pourtant, Charles Dickens nous avait laissé une description remarquable du SAS obstructif à travers le personnage de Joe dans « les aventures de Mr Pickwick » en 1837. L’équipe du Dr Burwell dénommera ce tableau en 1956, le « syndrome de Pickwick ». En 1965, le Dr Gastaut découvrira et enregistrera des pauses respiratoires (apnées) répétées chez ces malades « pickwickiens ». Enfin, ce syndrome sera identifié chez des sujets non obèses en 1976. Les études épidémiologiques récentes indiquent clairement qu’il s’agit d’une pathologie fréquente touchant 5 à 10 % de la population générale entre 35 et 60 ans. Encore insuffisamment reconnu, le syndrome d’apnées du sommeil se caractérise par la survenue répétitive d’apnées et d’hypopnées au cours du sommeil. Les phénomènes d’hypoxie répétée secondaires aux apnées expliquent en partie la morbi-mortalité cardiovasculaire. La détérioration de la qualité de vie que les fréquentes complications cardio- et cérébrovasculaires du syndrome d’apnées du sommeil en font un véritable problème de santé publique. En parallèle, plusieurs études ont démontré l’effet bénéfique du traitement. Définitions Le syndrome d’apnées du sommeil est défini par la survenue au cours du sommeil d’apnées et/ou d’hypopnées. Ces événements respiratoires sont définis par l’interruption (apnée) ou la diminution de plus de 50 % (hypopnée) du flux inspiratoire, durant plus de 10 secondes, survenant en nombre supérieur à 10/h de sommeil. Les apnées d’origine obstructive sont distinguées des apnées centrales selon que les événements respiratoires sont liés à une obstruction des voies aériennes supérieures, ou à un trouble de la commande respiratoire. Syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) L’obstruction des voies aériennes supérieures (VAS) apparaît ou est majorée au cours du sommeil. Elle concerne les différents niveaux de la filière aérienne supérieure, des fosses nasales à l’hypopharynx. Les voies aériennes supérieures sont constituées de tissus mous, sous-tendus de muscles, en tension en période de veille et hypotoniques lors du sommeil. Le diamètre des voies aériennes peut déjà être rétréci à l’état de veille en raison de l’hypertrophie de certains de ses éléments, par exemple un voile du palais allongé et épaissi, ou de l’inadéquation entre contenant et contenu, par exemple une macroglossie relative par rapport à une microrétrognathie. Au cours du sommeil, l’obstruction des voies aériennes est majorée en raison de l’hypotonie musculaire qui fait s’affaisser les parois pharyngées. Il semble de plus exister une neuropathie spécifique au cours des rhonchopathies, favorisant ce phénomène. Ces obstacles sont, bien sûr, aggravés par la surcharge pondérale, l’inflammation des VAS (tabac), la consommation de produits majorant le relâchement musculaire au cours du sommeil (alcool, hypnotiques…). L’obstruction des voies aériennes supérieures est une obstruction dynamique, per se variable dans le temps, au cours d’un même cycle respiratoire, d’un cycle à l’autre (en particulier en fonction du stade de sommeil), et d’une nuit à l’autre pour un même sujet. Elle s’accompagne de modifications des débits inspiratoires, se traduisant au minimum par une limitation de débit (forme particulière, en plateau, du débit inspiratoire) dont la conséquence audible est le ronflement, et selon l’importance de l’obstruction des VAS, par des hypopnées et/ou des apnées (figure 1). Les hypopnées et les apnées (figure 2A) sont plus ou moins désaturantes (figure 2B), en fonction de leur durée, des modifications des rapports ventilation/perfusion induites par le décubitus, et de la saturation d’éveil du sujet. Figure 1. Représentation schématique des voies aériennes supérieures au cours du sommeil, chez un sujet en décubitus dorsal. Les flèches noires indiquent la circulation de l’air dans les VAS, (A) en situation normale (pas d’obstruction), (B) lorsqu’existe une obstruction partielle, se traduisant au minimum par des ronflements, des débits limitants, voire une hypopnée, (C) ou en cas d’obstruction complète provoquant une apnée. L’obstruction des voies aériennes supérieures nécessite pour être levée, une augmentation de l’effort inspiratoire, dont témoigne l’augmentation de l’activité électromyographique du diaphragme et des muscles inspiratoires, avec pour conséquence l’augmentation (en valeur absolue) des pressions intrathoraciques, mesurées par la pression œsophagienne (figure 2C). La levée de l’obstacle et la reprise de la ventilation (figure 2D) s’accompagne en règle d’un éveil, qui peut revêtir différentes graduations, de l’éveil autonomique (augmentation de l’activité sympathique) se traduisant par une accélération du pouls (figure 2E) et une montée de la pression artérielle, à l’éveil électroencéphalographique (allègement en ondes lentes ou décharges brutales et transitoires d’activité alpha, (figure 2F) jusqu’à l’éveil comportemental au maximum (figure 2). Figure 2. Enregistrement polysomnographique au cours d’apnées du sommeil. Sont présentés de haut en bas l’électroencéphalogramme, la saturation en oxygène de l’hémoglobine mesurée par voie transcutanée (SpO2), le flux nasal, le pouls, la pression œsophagienne représentative de la pression intrathoracique. Se reporter au texte pour les explications. La barre noire représente 10 s. Syndrome d’apnées centrales du sommeil (SACS) et respiration de Cheyne-Stokes (CS) Les syndromes d’apnées centrales constituent un groupe hétérogène de troubles respiratoires du sommeil secondaires à un arrêt ou une diminution transitoire de la commande des muscles respiratoires. Ces syndromes sont donc distincts des troubles obstructifs au cours desquels les efforts respiratoires se poursuivent ou même augmentent pendant l’apnée. Classiquement moins fréquents que le syndrome d’apnées obstructives du sommeil, leurs causes sont très diverses. Une étiologie prédomine par sa fréquence : la respiration périodique de Cheyne-Stokes (figure 3), présente chez environ 30% des patients insuffisants cardiaques. Cette ventilation est dite périodique car elle se caractérise par la diminution progressive decrescendo de la respiration puis sa reprise progressive, crescendo, jusqu’à quelques cycles d’hyperventilation, suivie d’une nouvelle diminution progressive, donnant à la respiration un aspect en fuseaux typique. La présence d’un CS est un facteur pronostique déterminant de l’insuffisance cardiaque. Chez un même patient, les deux types de trouble respiratoire peuvent être observés en proportions variables et c’est le mécanisme prédominant qui permet de classer le type de syndrome d’apnées du sommeil, central ou obstructif. Figure 3. Exemple de syndrome d’apnées centrales du sommeil avec ventilation périodique de Cheyne-Stokes. De haut en bas sont notés les stades de sommeil (stade 3), la saturation en oxygène de l’hémoglobine mesurée par voie transcutanée (SpO2), le flux nasal, le flux buccal, les mouvements thoraciques et abdominaux. L’aspect typique crescendo - decrescendo de la ventilation est clairement visible sur les flux nasal et buccal ; le caractère central est établi sur la simultanéité des modifications du flux et de la commande ventilatoire que représentent les mouvements thoraco-abdominaux. Comment diagnostiquer un syndrome d’apnées du sommeil ? Les signes cliniques évocateurs de SAS obstructifs ne sont pas spécifiques, même si les notions d’obésité, de pauses respiratoires nocturnes constatées par les proches, de ronflements nocturnes, de somnolence diurne, de sensation de sommeil non réparateur avec fatigue sont évocatrices. La symptomatologie est encore plus pauvre en ce qui concerne les SAS centraux, car les patients sont peu, voire non somnolents. Ils décrivent parfois leur ventilation périodique, qui gêne l’endormissement, et est quelquefois remarquée aussi à l’éveil. Cette ventilation périodique est alors ressentie comme une dyspnée, et il faut savoir évoquer le diagnostic devant une telle plainte. Dans la mesure où la clinique est non spécifique, le diagnostic repose clairement sur les examens complémentaires. L’examen de dépistage le plus simple est la mesure transcutanée de la saturation nocturne de l’hémoglobine en oxygène ou oxymétrie nocturne qui permet de détecter les épisodes de désaturation durant le sommeil (figure 4A). En raison de sa facilité de mise en œuvre et de sa sensibilité, cet examen est un outil précieux pour le dépistage mais reste insuffisant pour identifier précisément le mécanisme du SAS et en apprécier la sévérité. Si l’examen s’avère positif (plus de 5 épisodes d’apnées-hypopnées par heure), il sera complété par une polysomnographie (figure 4B) réalisée en laboratoire du sommeil. Il s’agit de la méthode de référence au cours de laquelle sont enregistrés simultanément les variables permettant de définir : – le sommeil électroencéphalogramme, électrooculogramme, électromyogramme mentonnier ; – la respiration (flux naso-bucal) ; – les mouvements thoraciques et abdominaux ; – l’oxymétrie ; – l’électrocardiogramme ; – la position corporelle et les mouvements des jambes (électromyogramme jambiers). Un examen plus simple est la polygraphie nocturne qui n’enregistre que les paramètres ventilatoires et est possible au domicile du patient. Figure 4. Méthode de dépistage des SAS par oxymétrie (A) et de diagnostic par polysomnographie (B). L’oxymétrie nocturne permet de suivre la saturation en oxygène de l’hémoglobine mesurée par voie transcutanée
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