Comment apparaissent les troubles respiratoires pendant le sommeil ? Du ronflement de l’enfant à l’insuffisance cardiaque de l’adulte
P. GUERIN, Paris/Osséja
Les troubles respiratoires pendant le sommeil, par habitude, ont été longtemps la « chasse gardée » des pneumologues. Leur culture de la ventilation, traitement habituel de ces troubles, a rapidement séduit ces spécialistes. On omet souvent de signaler que dans les années 1960, les premiers à avoir publié sur les arrêts respiratoires pendant le sommeil ont été les neurologues et, bien avant, au 19e siècle, Dickens avait magnifiquement décrit les symptômes consécutifs aux apnées. Cinquante ans de connaissances, et plus de vingt milles publications, démontrent clairement aujourd’hui la nécessité de l’implication de plusieurs disciplines médicales pour une meilleure prise en charge de ces troubles.
Le sommeil, ne peut pas ne pas intéresser tous les praticiens et notamment les cardiologues d’où cette « Intégrale ». Depuis plus de 20 ans, sous l’impulsion de Christian Guilleminault, la médecine du sommeil s’intéresse à tous les malades dont les symptômes, même diurnes, sont directement en rapport avec le sommeil. Cela implique donc tous les soignants. Une fois n’est pas coutume, il sera question dans cette revue essentiellement cardiologique, de pneumologie, bien sûr, mais aussi de pédiatrie, d’endocrinologie, de biologie, de neurologie, d’atteintes ORL, et finalement, surtout de cardiologie. Physiologie Le sommeil apparaît mystérieux à bien des cliniciens. Pourtant, il est évident que cet état qui occupe un tiers de notre vie, a été programmé par l’évolution, pour ne pas être une source de danger. Cela implique des fonctions autonomes ajustées, et un retour programmé et efficace à la vigilance. Cela semble bien fonctionner depuis quelques centaines de milliers d’années et des variations respiratoires physiologiques nocturnes ont peu d’impact sur une hématose protégée et stable. Cette respiration suppose l’intégrité fonctionnelle des voies aériennes, du système cardiovasculaire et du système nerveux autonome. Le sommeil occupe un tiers de notre vie Ce n’est pas si simple. En effet, au niveau des voies aériennes, l’évolution anatomique de la cavité buccale de l’homo sapiens sapiens a été dans le sens de l’atrophie. Il s’agit d’une conséquence de notre verticalité. Cette cavité est un carrefour complexe, laissant passer soit le bol alimentaire, soit l’air. La diminution, congénitale ou acquise, de la taille des maxillaires ou l’augmentation de volume de la langue (obésité, hypothyroïdie…) aboutissent à une baisse de calibre de l’espace pharyngé postérieur, passant du statut de cavité à celui de canal, parfois très étroit. La fermeture de cet espace rétréci, est facilitée par les pressions négatives qu’induit l’inspiration. Les conditions de ce collapsus sont majeures pendant le sommeil et évoluent, en les aggravant, avec l’âge et le poids. La langue, participe à ce processus, en basculant, sous l’effet de l’inspiration, vers le bas et l’arrière, en fermant ainsi complètement l’espace pharyngé postérieur. L’apnée obstructive n’est donc que la conséquence d’une attraction passive de parties charnues pharyngées induite par le « vide » créé par l’inspiration. Cet événement, répété des centaines de fois chaque nuit, est responsable d’une cascade d’effets, qui prédisposent à d’autres pathologies, notamment cardiovasculaires. Pour bien respirer, c’est le sujet qui nous préoccupe, il faut concevoir, pour chaque cycle respiratoire, une bonne arrivée d’air (oxygène) dans nos poumons, un échange satisfaisant entre les alvéoles et les capillaires (oxygène et gaz carbonique) et un retour du mélange gazeux (gaz carbonique) vers l’extérieur. Cela implique un nez, des bronches et des alvéoles fonctionnels. Lors du même cycle respiratoire, plusieurs battements cardiaques assurent une bonne distribution sanguine, par l’artère pulmonaire dans ces mêmes alvéoles, pour recevoir l’oxygène qui, par le biais de la pompe cardiaque, est distribué à tout l’organisme. Cela implique un cœur et des vaisseaux fonctionnels. Le syndrome de Picwick a été initialement exploré par les neurologues. La réaction de stress Cela doit fonctionner au repos, à l’effort et pendant le sommeil de façon autonome, mais adaptable à tout moment. L’ensemble est régulé par l’action de nombreux capteurs chimiques et mécaniques. Un mode d’adaptation assez primitif, mais très efficace, coiffe tous ces mécanismes : la réaction de stress. Elle est présente partout, à l’effort, lors des émotions et, pendant le sommeil. Elle est à l’origine des complications des troubles respiratoires pendant le sommeil. Ces troubles, dont le syndrome des apnées obstructives du sommeil (SAOS) est l’entité la plus connue, ont un impact particulier sur la fonction cardiovasculaire. Après plus de 30 ans de recherches, de publications et d’expérience, leur forte responsabilité a été confirmée comme un facteur de risque cardiovasculaire très sévère (de l’hypertension artérielle à l’accident vasculaire cérébral, via les pathologies coronariennes et rythmiques). Le SAOS augmente ainsi le risque d’insuffisance cardiaque de 140 %, le risque d’accident vasculaire cérébral de 60 % et celui de maladie ischémique de 30 %. La réputation péjorative des événements respiratoires nocturnes n’est donc aujourd’hui plus remise en cause, indépendamment des autres facteurs de risques comme l’obésité, le tabagisme ou l’âge. Ces troubles existent chez la plupart des malades depuis l’enfance (chez 68 % des malades apnéiques adultes). La mortalité en rapport avec les apnées et autres événements respiratoires pendant le sommeil est plus importante chez les sujets jeunes, entre 40 et 50 ans. Ces constats de morbidité et de mortalité, sont expliqués par des phénomènes d’adaptation, ici dépassés. Chez l'enfant La respiration pendant le sommeil est explorée par l’analyse du flux nasal, à l’aide d’une simple lunette à oxygène reliée à un boîtier enregistreur. Grâce à un logiciel d’analyse du signal, la courbe est étudiée, soit seule (figure 2), soit dans le cadre d’une polygraphie respiratoire (figure 3), au sein d’autres courbes représentant d’autres paramètres, respiratoires ou non (saturation, rythme cardiaque, efforts respiratoires, etc.). Figure 2. Courbe de flux respiratoire. Figure 3. Pression nasale au sein d’autres paramètres dans le cadre d’une polygraphie respiratoire. L’analyse de la variation de pression nasale permet de distinguer assez précisément une respiration normale d’une respiration pathologique, voire inexistante (apnée). En partant de la gauche, les deux premiers cycles de la figure 2 sont normaux, avec la représentation d’une expiration sur le versant montant et d’une inspiration sur le versant descendant (les signaux sont inversés par rapport à un signal de débit, car il s’agit d’analyses de pressions). Les deux cycles suivants, sont caractéristiques d’une limitation de débit inspiratoire, en d’autres termes d’un « frein » inspiratoire au passage de l’air. Il s’agit d’événements respiratoires discrets mais fréquents, à l’origine de réactions physiopathologiques multiples et délétères, pour la qualité de la respiration, de la circulation sanguine et du sommeil. Ils entrent dans la définition des TROS (troubles respiratoires obstructifs pendant le sommeil), avec les apnées et les hypopnées. À une mauvaise respiration, interprétée comme insolite, voire dangereuse, par le système nerveux autonome, l’organisme d’un sujet en sommeil (comme à l’éveil) se doit de s’adapter. L’adaptation consciente est une réponse à une sensation de dyspnée, qui oblige celui qui la ressent à augmenter sa ventilation. Pendant le sommeil, il ne peut pas y avoir d’adaptation consciente. C’est là que se situe la réaction de stress. Cette réaction est plus ou moins facilement déclenchée selon l’importance de l’événement respiratoire, le stade de sommeil, et la sensibilité individuelle aux différents chémorécepteurs sollicités. De la limitation du débit respiratoire au stress et à l’HTA Chez l’enfant, une simple limitation de débit suffit à provoquer une réponse : une réaction d’éveil, en fait un simple micro éveil. Elle permet de reprendre un niveau respiratoire plus physiologique. Cette réaction de stress sous-entend une sécrétion d’adrénaline, dont l’action, l’augmentation de la fréquence cardiaque d’une part, et la vasoconstriction capillaire périphérique d’autre part, va devenir néfaste à long terme. Chaque réaction de stress aboutit, en effet, à une augmentation brutale de la pression artérielle. Le malade adulte, celui qui consulte pour la prise en charge d’une HTA, a été soumis depuis l’enfance à ces augmentations intermittentes de la PA et à l’effet quasi permanent d’une sécrétion inappropriée et importante de catécholamines. Dans le cadre d’une polygraphie respiratoire, ces variations de la pression artérielle sont repérées par l’étude du signal du pléthysmogramme (figure 3, flèche), dont l’écrasement indique le phénomène de vasoconstriction périphérique, au niveau du doigt (via la pince de l’oxymètre). Elle représente une image inversée de la variation de la PA. Ce signal est essentiellement qualitatif et ne peut remplacer les mesures classiques de la PA, mais il est corrélé de façon significative avec les micro éveils liés aux événements respiratoires. Chez l’enfant et l’adulte jeune, la présence d’épisodes de désaturation est rare (figure 4) . Le mécanisme initial est le micro éveil, suivi de la réaction vasculaire puis, plus tard, chez l’adulte, de la désaturation. Figure 4. Écrasement de la courbe de pléthysmogramme (en haut) après un épisode de limitations de débits (en bas) sans modification de la courbe de saturation (dernière courbe en bas). Savoir repérer les enfants “mouthbreathing” Ce frein respiratoire peut durer, chez l’enfant, toute la nuit, puis toutes les nuits, pendant plusieurs années. Il s’agit d’enfants ronfleurs, généralement maigres, avec un visage fin, triangulaire, typique, cliniquement reconnaissables à leur respiration buccale prédominante, de jour comme de nuit : le facies adénoïde (mouthbreathing des Anglo-Saxons). Il existe chez ces enfants un retentissement cérébral important, caractérisé par une hyperactivité physique, un retard scolaire avec troubles de la concentration, cassure de la courbe de poids et… atteintes cardiovasculaires. La cause principale de ces limitations de débit respiratoire est liée au rétrécissement de l’espace rétropharyngé, soit par augmentation de volume des tissus mous (amygdales, végétations, langue), soit par diminution de volume de la cavité pharyngée, souvent du fait des deux. Il n’est pas à propos de décrire ici, de façon précise, les déformations importantes de la cavité buccale de l’enfant, mais ces mêmes anomalies sont rencontrées fréquemment chez
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