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Conduite à tenir devant une artériopathie du sujet jeune
D. SÈNE et P. CACOUB, hôpital de La Pitié-Salpêtrière, Paris

Traiter de l’artériopathie du sujet jeune pose un certain nombre de problèmes, dont le premier est la définition du caractère jeune des individus concernés. L’athérothrombose, la cause principale des artériopathies, survient en général au-delà de l’âge de 40 ans, en dehors des situations spécifiques à risque comme l’insuffisance rénale, certaines formes familiales ou certaines maladies inflammatoires chroniques. Nous faisons le choix dans ce travail de considérer l’âge seuil de 40 ans pour définir le sujet.
Sur le plan étiologique (tableau 1), l’une des particularités de l’artériopathie du sujet jeune est ainsi la rareté de l’athérothrombose comme facteur étiologique au profit d’entités nosologiques diverses qu’il faudra s’attacher à rechercher, surtout en raison de leur spécificité thérapeutique et de leur pronostic. Il pourra s’agir d’une maladie en rapport avec une atteinte inflammatoire de la paroi artérielle avec ou sans composante systémique, d’une maladie non inflammatoire de la paroi artérielle ou d’une maladie thrombotique sur artères saines. Ce n’est qu’une fois ces diagnostics éliminés que l’athérosclérose précoce en présence de facteurs de risque vasculaire pourra être évoquée comme cause possible. Nous les développerons ainsi progressivement en tenant compte du mécanisme de l’artériopathie, de leur fréquence relative et de leurs particularités diagnostiques et thérapeutiques. Artériopathie inflammatoire sans composante systémique Les artériopathies inflammatoires sans composante systémique du sujet jeune comprennent essentiellement la thromboangéite oblitérante ou maladie de Buerger et, de façon plus anecdotique, l’artériopathie oblitérante au cannabis. Ces deux entités partagent sur le plan physiopathologique la présence d’un infiltrat inflammatoire polymorphe de la paroi artérielle associé à des thrombiinflammatoires, un lien de causalité avec une substance toxique, le tabac pour la thromboangéite oblitérante et le cannabis pour l’artérite au cannabis, et l’absence de composante systémique (absence de syndrome inflammatoire). La thromboangéite oblitérante ou maladie de Buerger La thromboangéite oblitérante ou maladie de Buerger est une artériopathie inflammatoire non athéromateuse, sans composante systémique, de cause inconnue mais dans laquelle le tabac joue un rôle prépondérant. Elle représente environ 3 % de toutes les artériopathies et touche préférentiellement l’homme jeune, avant l’âge de 40 à 45 ans, tabagique. Toutefois, à la faveur du tabagisme croissant, des cas féminins sont de plus en plus décrits. Ce diagnostic doit être évoqué devant toute artériopathie distale du sujet jeune fumeur. La notion de tabagisme est extrêmement importante, y compris dans son caractère passif. Sur le plan clinique, les artères et les veines peuvent être touchées. L’atteinte artérielle provoque une artériopathie distale occlusive, responsable de troubles ischémiques. On retrouve dans près de la moitié des cas, un facteur déclenchant initial traumatique thermique ou physique. L’atteinte des membres inférieurs est le plus souvent révélatrice avec une claudication intermittente plantaire, puis des mollets et des douleurs parfois permanentes des pieds. Les pouls pédieux et tibiopéroniers sont abolis et il existe des signes d’ischémie distale (froideur, pâleur d’élévation ou érythrose de déclivité). Les troubles trophiques d’origine ischémique sont présents dans 58 à 80 % des cas au début de l’histoire et associent plaies avec retard de cicatrisation, sécheresse cutanée et fissures (figure 1). L’atteinte des membres supérieurs est souvent révélée par un phénomène de Raynaud atypique par son asymétrie ou son unilatéralité et sa survenue en dehors de l’hiver. Elle peut aussi être révélée par des troubles trophiques (fissures digitales, ischémie ou nécrose) ou une claudication du membre supérieur à type de douleurs ou de crampes à l’effort. La manœuvre d’Allen, toujours pathologique à ce stade, permet de confirmer l’atteinte artérielle cubitale et radiale distale. Les atteintes des autres axes artériels digestifs, coronaires, pulmonaires et cérébraux sont possibles mais exceptionnelles. La thromboangéite oblitérante peut aussi s’associer, dans un peu moins de la moitié des cas, à une atteinte veineuse avec des phlébites superficielles courtes, touchant les membres inférieurs et supérieurs, souvent récidivantes, classiquement dénommées « phlébites sautantes ». Des arthralgies périphériques et des paresthésies peuvent être présentes. Figure 1. Ulcérations ischémiques du gros et du deuxième orteil chez un patient atteint de thrombo-angéite oblitérante. Les flèches indiquent des lésions de phlébites superficielles (d'après Olin et al., 2000). Sur le plan diagnostique, la biologie est souvent normale, sans syndrome inflammatoire et n’a d’intérêt que pour éliminer d’autres causes d’artériopathie (syndrome inflammatoire, syndrome d’hyperviscosité, hyperhomocystéinémie, syndrome des antiphospholipides, etc.). Les explorations artérielles permettent de confirmer le diagnostic de thromboangéite oblitérante. L’écho-Doppler artériel confirme le diagnostic d’artériopathie distale en montrant des sténoses et occlusions des artères distales ; il permet une évaluation satisfaisante de la qualité de la vascularisation distale des membres et du degré de sévérité de l’artériopathie par la mesure des index de perfusion et de la circulation collatérale. L’artériographie ou l’angio-scanner ou l’angio-IRM artériel objectivent une artériopathie distale non athéromateuse sténosante et occlusive avec des artères grêles et tortueuses, dites « hélicines » ou en « tire-bouchon », et une circulation collatérale dont l’importance est variable. Les artères proximales sont exceptionnellement concernées et sont en général non athéromateuses (figure 2). Il conviendra toutefois d’éliminer les autres causes d’artériopathie occlusive qui seront détaillées dans les paragraphes suivants. Si le pronostic vital est rarement en jeu, le pronostic fonctionnel est majeur et dépend en grande partie de l’interruption absolue de l’intoxication tabagique. Dans le cas contraire, les patients sont soumis à des rechutes et surtout à l’aggravation des troubles ischémiques aboutissant à l’amputation des extrémités dont la forme ultime est celle des « hommes tronc » amputés des quatre membres. Jusqu’à 20 à 40 % des patients suivis à long terme auront au moins une amputation mineure (doigts, orteils), 6 à 20 % une amputation majeure (mains, pieds). Figure 2. Artériographie des mains révélant des artères frêles, graciles avec des occlusions artérielles (flèches) et une circulation collatérale déjà développée. On peut remarquer que les artères proximales sont normales (d'après Olin et al., 2000). Sur le plan thérapeutique, la première mesure est l’abolition totale et définitive de toute intoxication tabagique, active comme passive. En cela, tout l’arsenal thérapeutique disponible pour le sevrage tabagique (nicotine en gomme à mâcher ou patch, bupropion [Zyban ®], consultation spécialisée) doit être mis à disposition des patients. La nicotine, n’étant pas anodine, devra être utilisée avec prudence. En fonction de la sévérité des symptômes, un traitement médicamenteux vasodilatateur artériel (buflomédil [Fonzylane ®], pentoxifylline [Torental ®]) sera proposé, toujours en association avec des antiagrégants plaquettaires. En cas d’ischémie critique avec ou sans nécrose, les assauts liquidiens avec expansion volumique ont pu être efficaces, au moins pour réduire les douleurs. Mais les perfusions d’iloprost [Iloprost ®] sont aujourd’hui le traitement le plus efficace des ischémies critiques, permettant une amélioration significative chez plus de 90 % des patients, surtout lorsqu’elles sont associées à une excision des zones de nécrose. En cas d’échec des traitements précédents, la sympathectomie lombaire a pu, dans certains cas, favoriser la perfusion distale et la diminution des douleurs. Dans tous les cas, des mesures d’hygiène strictes seront proposées avec la protection contre le froid et les traumatismes des extrémités concernées, la prévention et le traitement précoce des sources d’infections (soins de pieds) et la marche pour favoriser le développement de la circulation collatérale. Artériopathie oblitérante au cannabis L’artérite au cannabis, quoique rare, mérite d’être évoquée devant une artériopathie distale du sujet jeune. Depuis les premières descriptions en 1960, une cinquantaine de cas a été à ce jour rapportée. L’artérite au cannabis réalise un tableau clinique parfaitement superposable à celui de la thromboangéite oblitérante, avec une artérite distale ischémique et très douloureuse, évoluant par poussées paroxystiques rythmées par la consommation de cannabis. Les membres inférieurs sont presque toujours concernés (96 %) mais quelques cas rapportent une atteinte associée, exceptionnellement isolée, des membres supérieurs. L’imagerie artérielle montre des sténoses segmentaires ou occlusions artérielles des artères sous-poplitées, mais à l’inverse de la thromboangéite oblitérante, le réseau collatéral est souvent peu développé. L’évolution spontanée de l’artérite au cannabis est sévère avec la nécessité d’un recours à l’amputation chez près de 40 %. La prise en charge thérapeutique des patients est identique à celle de la thromboangéite oblitérante, reposant sur l’éviction du cannabis et du tabac, les antiagrégants plaquettaires, les mesures spécifiques de reperfusions artérielles distales médicamenteuses, exceptionnellement chirurgicales et les soins locaux. Artériopathie inflammatoire systémique L’existence d’un syndrome inflammatoire au cours d’une artériopathie du sujet jeune oriente le diagnostic vers les artériopathies inflammatoires avec une composante systémique, dont les deux principales sont la maladie de Takayasu et la maladie de Behçet. Maladie de Takayasu La maladie de Takayasu est typiquement une artériopathie inflammatoire de la femme jeune (80 % des cas). Dans près de la moitié des cas, elle débute par une altération de l’état général, une fébricule, des arthralgies, un érythème noueux, parfois des manifestations oculaires (épisclérite, uvéite). Les manifestations artérielles ne sont parlantes que quelques années plus tard. Elles incluent des lésions sténosantes, occlusives et anévrismales. L’atteinte des troncs supraaortiques, en particulier des sous-clavières, est assez fréquente et souvent révélée par un syndrome de Raynaud, une abolition de
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