50 ans de désynchronisation, 30 ans de resynchronisation… Et maintenant ?
C. DAUBERT, CHU Rennes
Le Printemps de la Cardiologie
L’intérêt pour la désynchronisation et la resynchronisation cardiaque n’a cessé de croître permettant d’élargir le champ de la stimulation à de nouvelles indications hémodynamiques. Les équipes françaises ont joué un rôle moteur dans la définition de ces nouveaux concepts, tous nés de l’observation clinique, dans la conception des outils de resynchronisation en lien avec l’industrie, et dans leur évaluation clinique. Cet article se propose de faire la synthèse des connaissances récentes sur la désynchronisation/resynchronisation aux trois étages, atrial, atrioventriculaire et ventriculaire, et de dresser quelques perspectives d’avenir.
Certains parmi ces concepts ont pu être validés avec l’apport de preuves cliniques solides sur lesquelles ont pu se fonder les recommandations scientifiques. D’autres ont connu un sort moins heureux. Le premier stimulateur cardiaque intracorporel a été implanté en Suède à l’hôpital Karolinska de Stockholm en 1958. L’indication était un bloc auriculoventriculaire complet syncopal. Le patient âgé de 57 ans a survécu 43 ans et usé 24 boîtiers. Malgré la désynchronisation imposée par la stimulation ventriculaire seule, il a pu mener une vie active et confortable sans insuffisance cardiaque. D’autres patients ont été moins chanceux et n’ont pas toléré la désynchronisation cardiaque imposée. Pendant un quart de siècle, la stimulation cardiaque n’a eu qu’un objectif : corriger ou prévenir une bradycardie symptomatique. Les effets délétères sur la mécanique cardiaque étaient négligés et, de toute façon, ne pouvaient être corrigés. La seule technologie disponible était la stimulation ventriculaire seule perpétuant la dissociation auriculoventriculaire et générant une contraction ventriculaire asynchrone. La première tentative de resynchronisation remonte à la fin des années 60 avec la mise au point de stimulateurs synchrones de l’oreillette. Ce concept va se développer pendant la décennie suivante, menant au premier stimulateur DDD en 1981. La stimulation dite « physiologique » est née, restaurant synchronisme auriculoventriculaire et fonction chronotrope. Désynchronisation-resynchronisation atrioventriculaire Le bloc auriculoventriculaire symptomatique de haut degré est l’indication fondatrice de la stimulation cardiaque. Il en reste l’indication la plus fréquente (plus de 40 %). Pathologie dégénérative, il touche le sujet âgé. L’âge moyen des patients implantés en France dans cette indication est de 80 ans. Lorsque l’activité atriale est sinusale, le traitement logique serait le stimulateur double-chambre en mode DDD. Il permet de restaurer la contribution atriale au remplissage ventriculaire tout en assurant une adaptation physiologique de la fréquence cardiaque. L’autre alternative est la stimulation ventriculaire seule en mode VVI qui laisse persister la désynchronisation atrioventriculaire mais permet de restaurer la fonction chronotrope par l’emploi de capteurs d’asservissement (mode VVIR). Mais en pratique, quel est l’impact clinique réel de la resynchronisation atrio-ventriculaire ? Cette question longtemps débattue, n’aura reçu de réponse que récemment. Après avoir échoué à organiser en France une étude contrôlée comparant stimulation DDD et stimulation VVI/VVIR, faute de soutien de la communauté médicale et des partenaires industriels, il a fallu attendre 20 ans et la publication de l’étude britannique UK-PACE (WD Toff et al. N Engl J Med 2005) pour démontrer que, chez le sujet âgé, la stimulation « physiologique » n’apporte aucun bénéfice par rapport à la stimulation VVI-VVIR en termes de mortalité totale (critère primaire) et de morbidité cardiovasculaire (insuffisance cardiaque, AVC, apparition de FA, etc.). En revanche, le rapport bénéfice-risque est défavorable à la stimulation DDD avec un taux de complications sérieuses deux fois plus élevé (8 % vs 4 %). Mais dans notre bon pays qui est pourtant celui de Descartes, les croyances ont la vie dure! La publication de ces résultats n’a eu aucune influence sur les pratiques. La proportion de stimulateurs double-chambre (DDD/DDDR) a continué à augmenter en France pour atteindre 75 % des implantations en 2009 ! Plus facile à démontrer est l’intérêt de la resynchronisation atrio-ventriculaire dans le PR long patent, mais cela ne concerne qu’un nombre limité de cas. Certains patients très invalidés n’ont d’explication à leurs symptômes qu’un PR très long qui ne s’adapte pas à l’effort, créant une désynchronisation mécanique AV croissante dans le cœur gauche, proportionnelle à l’accélération de fréquence cardiaque. La figure 1 en montre un exemple typique au repos. Bien sélectionnés, ces patients retirent un bénéfice fonctionnel majeur de la stimulation DDD, même si elle génère un asynchronisme ventriculaire. Cette indication hémodynamique est aujourd’hui reconnue par les recommandations internationales. Figure 1. Syndrome hémodynamique du PR long chez un patient très limité dans sa vie quotidienne (classe NYHA III). En rythme sinusal avec un PR à 450 ms, le temps de remplissage VG est très bref avec un flux mitral monophasique sans contribution atriale visible. La stimulation DDD avec un délai AV standard de 150 ms double le temps de remplissage, fait réapparaitre une contribution atriale efficace et augmente la vitesse du flux d’éjection aortique. Désynchronisation-resynchronisation atriale Certaines cardiopathies qui génèrent une dilatation atriale gauche progressive (cardiomyopathies hypertrophiques vieillies, cardiopathies hypertensives, etc.) s’accompagnent volontiers, si le rythme demeure sinusal, d’importants troubles de conduction auriculaire. La forme la plus achevée est le bloc interatrial complet avec des ondes P très lentes (> 120 ms) et une opposition d’axe entre les vecteurs initiaux liés à l’activation normale de l’oreillette droite et les vecteurs terminaux liés à l’activation rétrograde et tardive de l’oreillette gauche (figure 2). Les patients concernés ont un haut risque d’arythmies atriales, plus souvent des flutters gauches que de la FA, et d’insuffisance cardiaque. Il est techniquement possible de corriger l’asynchronisme atrial par stimulation bi-atriale, ce qui implique la mise en place d’une sonde dans le sinus coronaire pour stimuler l’oreillette gauche sur sa paroi latérale ou postérolatérale. Des stimulateurs de resynchronisation atriale ont été conçus avec un algorithme permettant de détecter l’activité sinusale dans l’oreillette droite et de déclencher une stimulation synchrone dans l’oreillette gauche (figure 2). Il est aisé de démontrer que la resynchronisation atriale améliore le synchronisme atrio-ventriculaire dans le cœur gauche, et la performance systolique de ventricules gauches hypertrophiés et peu compliants (figure 3). Figure 2. Exemple de resynchronisation atriale chez un patient insuffisant cardiaque à FEVG conservée (60 %). L’ECG de surface est typique d’un bloc interatrial de haut degré, confirmé par l’ECG endocavitaire avec un délai OD-OG de 140 ms. Un stimulateur DDD-biatrial est implanté avec 3 sondes : OD parasinusale, sinus coronaire moyen pour stimuler l’OG latérale et VD apex pour synchroniser le système. Un algorithme spécifique synchronise la stimulation OG sur la détection OD, normalisant instantanément la durée et la morphologie de l’onde P. Figure 3. Bénéfice hémodynamique de la resynchronisation atriale chez un patient stimulé en mode AV séquentiel à 70 bpm avec un délai AV standard de 150 ms. La figure de gauche montre l’effet sur le flux transmitral du passage de la stimulation DDD-mono OD à la stimulation DDD-biatrial. Le flux bref et monophasique en mode monoatrial double en durée et redevient biphasique dès que la resynchronisation atriale est activée. La figure de droite montre l’effet en ordre inverse (bi- puis monoatrial) sur le flux d’éjection aortique. Quelle est l’utilité pratique de ce concept ? Elle reste non démontrée. Une seule étude contrôlée en bras croisés a été entreprise au début des années 90, l’essai SYNBIAPACE, dont les résultats neutres n’ont jamais été publiés. L’époque voulait qu’on ne publie que les résultats positifs ! Est-ce à dire que ce concept doit être abandonné ? Probablement, non. L’étude SYNBIAPACE avait de nombreuses limites : une méthodologie faible, un critère primaire trop électrophysiologique et ambitieux (charge en FA) alors que le bénéfice clinique, s’il existe, est probablement plus hémodynamique que rythmique… C’est avec grand intérêt que nous voyons relancé ce concept par une autre équipe française dans l’indication d’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée. Un essai contrôlé devrait débuter sous peu. Désynchronisation-resynchronisation ventriculaire Trois concepts différents doivent être discutés : la prévention de la désynchronisation ventriculaire, la désynchronisation ventriculaire voulue et la resynchronisation ventriculaire. Prévention de la désynchronisation ventriculaire Plus de 50 % des 60 000 stimulateurs implantés chaque année en France le sont pour une pathologie du sinus, dysfonction sinusale isolée ou syndrome brady-tachycardie. Chez ces patients, la stimulation atriale permanente est de règle. Elle peut être appliquée selon deux modalités, soit en mode monochambre AAI-AAIR lorsque la conduction atrioventriculaire est normale, soit en mode double-chambre DDD-DDDR, considéré comme plus sûr mais comportant le risque de stimulation ventriculaire inutile et potentiellement nuisible du fait de l’activation asynchrone. Au début des années 90, deux études mécanistiques dont celle de C. Leclercq (Am Heart J. 1995) ont comparé les effets de la stimulation DDD avec capture ventriculaire et ceux de la stimulation atriale seule chez des patients implantés avec un stimulateur double-chambre pour dysfonction sinusale. Elles ont montré qu’en générant une activation asynchrone, la capture ventriculaire entraine une altération significative de la fonction VG globale et segmentaire (septale), plus important à l’effort qu’au repos. Des études cliniques ultérieures, observationnelles et contrôlées (étude DAVID), ont renforcé la présomption d’effets délétères au long cours de la stimulation ventriculaire « forcée » avec un risque de morbi-mortalité accru. Afin de prévenir une capture ventriculaire inutile, les stimulateurs modernes sont dotés d’algorithmes spécifiques permettant de stimuler l’oreillette seule tant que la conduction intrinsèque est normale. Le premier algorithme a été mis au point en France (mode AAI safeR). Leur intérêt clinique a pu être démontré dans des études contrôlées de grande taille (M. Sweeney, N Engl J Med 2007) avec en
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