De l'ischémie à la fonction myocardique : quelques éléments de physiopathologie
S. WEBER, hôpital Cochin, Paris
L’ambition de ces quelques lignes n’est pas de décrire de façon exhaustive (en fonction des données validées du moment) la physiologie du myocarde ischémique puis défaillant. La description de nos connaissances actuelles des phénomènes métaboliques électriques contractiles, de leurs régulations et de leurs interactions pourrait occuper plusieurs centaines de pages et donner lieu, dans de nombreux domaines « sensibles » à des interprétations divergentes, voire franchement contradictoires. Nous essayerons de décrire, simplement et en language « de tous les jours » les principales conséquences de la réduction du débit sanguin coronaire régional sur la fonction contractile du territoire myocardique correspondant.
Le cœur fonctionne en permanence L’énergétique du myocarde normalement perfusé répond à un équilibre fragile. Le cœur est certainement l’organe dont le cahier des charges en matière d’adéquation apport/besoin énergétique est le plus exigent.Les besoins en oxygène du myocarde sont considérables : le cœur, fonctionne en permanence 24 h/j, 365 j/an, de la naissance à la mort, ne s’autorisant ainsi aucune pause pour une hypothétique reconstitution d’une quelconque réserve énergique. Il n’existe de ce fait aucune forme conséquente de stockage de l’énergie (l’adérosine triphosphate, l’ATP) dans la cellule myocardique qui ne dispose que de quelques petites systoles d’avance en cas d’interruption brutale des apports sanguins coronaires. De plus, pour s’adapter aux efforts physiques brutaux et intenses et/ou aux situations de stress, les besoins en oxygène du myocarde sont susceptibles d’être multipliés par 3 ou 4 en l’espace de quelques secondes ou quelques dizaines de secondes. La demande en énergie est donc permanente et susceptible d’augmentation majeure et brutale sans que la cellule myocardique ne puisse puiser dans aucun stock de réserve. L’adaptation entre les besoins et les apports doit donc s’effectuer en temps réel, quasiment battement par battement. Le muscle périphérique s’adapte par trois mécanismes Le muscle strié squelettique doit également pouvoir faire face à une augmentation brutale de ses besoins énergétiques lors de l’effort physique. Il dispose de trois mécanismes d’adaptation : • la vasodilatation des artères nourricières du muscle, • l’augmentation de l’extraction de l’oxygène du sang artériel, • l’utilisation des stocks énergétiques présents, au sein de la fibre musculaire squelettique. Le muscle cardiaque ne peut avoir recours, lui, qu’au premier de ces trois phénomènes. Il n’y a pas de stock énergétique et l’extraction d’oxygène du sang artériel coronaire est quasi maximale dès le repos, comme l’atteste la profonde désaturation du sang veineux du sinus coronaire qui ne peut s’abaisser que très modestement lors de l’effort ou, par exemple, lors de la stimulation électrique auriculaire rapide. La vasodilatation coronaire est donc le seul mécanisme adaptatif Chez le sujet normal, en l’absence d’athérome coronaire, ce mécanisme est largement suffisant. La force contractile myocardique n’est jamais, chez le sujet sain, le facteur limitant l’intensité d’un effort physique. En revanche, en cas de maladie athéromateuse coronaire, la réserve de vasodilatation est fortement amputée et l’équilibre énergétique du myocarde n’est plus assuré, dès le stade de repos dans les formes les plus sévères, et lors de l’effort physique dans les autres cas. Cette diminution de la réserve de vasodilatation coronaire correspond principalement au retentissement hémodynamique des sténoses coronaires significatives concernant donc les territoires myocardiques situés en aval de ces sténoses serrées. À ce phénomène « focal » se surajoute souvent une diminution diffuse des capacités de vasodilatation coronaire liée à la dysfonction endothéliale généralisée à tout l’arbre coronaire, habituelle chez le patient coronarien souvent même avant que n’apparaisse une sténose hémodynamiquement significative. Conséquences d’une ischémie intermittente de durée brève L’angor d’effort C’est modèle le plus classique et didactique en la matière. Une sténose coronaire « fixe » et significative ne réduit pas, à moins d’être subocclusive, le débit coronaire de repos. En revanche, l’augmentation des besoins en oxygène liée à l’effort ne peut être assurée, les capacités adaptatives de la coronaire sténosée étant très fortement réduites. - Au-delà de quelques secondes de déséquilibre entre les besoins en oxygène et les apports, apparaîtront les stigmates d’ischémie au niveau cellulaire myocardique. Cette ischémie est liée à la fois à la réduction des apports énergétiques et oxygénés et à l’accumulation in situ des produits du métabolisme anaérobie qui sont habituellement absents de la cellule myocardique ou présents à des concentrations infiniment plus faibles. Il en résulte un arrêt précoce de l’oxydation mitochondriale aérobie, indispensable pourvoyeur des importantes quantités d’ATP nécessaires à la contractilité. La carence énergétique et l’accumulation de métabolites anaérobies inhibent l’interaction entre le calcium et les protéines contractiles. Parallèlement, la déplétion potassique cellulaire satellite de l’ischémie raccourcit la durée du potentiel d’action et diminue, par ce biais, encore plus les influx calciques. - Lorsque l’ischémie est intermittente, de brève durée, ne dépassant pas quelques minutes, la production beaucoup plus faible et moins performante d’ATP par les voies métaboliques anaérobies du cytoplasme reste suffisante pour assurer le métabolisme de base de la cellule myocardique. Cela permet d’assurer ainsi son intégrité anatomique, ce qui différencie, in fine, l’ischémie intermittente totalement réversible de la nécrose myocardique débutante. - À l’échelon « macroscopique », les conséquences de l’ischémie intermittente sont d’abord une altération de la relaxation diastolique du territoire myocardique concerné, puis un effondrement de sa contractilité, puis des troubles de l’électrogenèse (les pompes ioniques sont endoénergétiques) responsable des signes ECG de l’ischémie et sous-tendant le risque rythmique ventriculaire de cette même ischémie. La douleur angineuse essentiellement liée à l’accumulation intracellulaire des métabolites anaérobies, est un phénomène plus tardif et surtout « facultatif », l’ischémie silencieuse étant fréquente.À ce stade, le myocarde ischémique voit sa fonction contractile profondément altérée mais de façon totalement et généralement rapidement réversible. En dehors du modèle classique de l’angor d’effort, cette ischémie intermittente s’observe dans l’angor organo-fonctionnel contemporain des tachycardies, en cas de spasme artériel coronaire (l’ischémie y est volontiers plus prolongée et plus durable, transmurale, générant un sus-décalage du segment ST) et enfin dans l’angor instable. L’angor instable Dans cette dernière situation clinique, les épisodes ischémiques surviennent au repos, chez un patient porteur d’une plaque coronaire rompue avec thrombose endoluminale. Le caractère intermittent des douleurs est lié à la superposition de phénomènes vasomoteurs et/ou à la variation, d’une minute à l’autre, du volume du thrombus endocoronaire en fonction des avancées ou des reculs des phénomènes thrombotiques d’une part et des mécanismes adaptatifs thrombolytiques d’autre part. Comment éviter le passage à la nécrose irréversible ? Face à l’ischémie intermittente, deux mécanismes adaptatifs sont actuellement bien individualisés ; leur principal intérêt physiopathologique est non pas de raccourcir la durée des périodes ischémiques ou d’en diminuer l’intensité, mais de diminuer, chez un sujet donné, le risque de voir évoluer une ischémie intermittente réversible vers une nécrose myocardique constituée. La circulation collatérale Elle est virtuelle au niveau du système artériel coronaire, chez le sujet sain. En revanche, cette circulation collatérale peut se développer au fur et à mesure de l’évolution de la maladie coronaire offrant, chez certains patients, un mécanisme protecteur très efficace. Il existe cependant de profondes inégalités interindividuelles dans les capacités à développer une collatéralisation réellement performante et protectrice. Chez certains sujets, notamment en cas de lésions athéromateuses tritronculaires sévères et anciennes, on constate une circulation collatérale permanente reprenant « à plein canal » le lit d’aval d’une artère occluse. Cette circulation collatérale est souvent suffisante pour éviter la nécrose et assurer une contractilité normale au repos ; il est plus rare qu’elle puisse assurer la totalité des besoins énergétiques lors des efforts soutenus. Cette circulation collatérale est généralement coronaro-coronarienne (figure). Il existe également des possibilités de collatéralisation de la circulation coronaire à partir des circulations extracardiaques, par exemple une anastomose entre circulation bronchique et circulation coronaire peut contribuer à la reperfusion des territoires myocardiques antérieurs et latéraux. Plus rarement, une anas-tomose se constitue entre le système péri-œsophagien et les artères de la face inférieure du ventricule gauche. Figure. Occlusion chronique de l’IVA. Collatéralisation Droite/ Gauche. Préservation partielle de la fonction de la paroi antérieure du VG. Chez certains patients, le réseau collatéral est invisible en dehors de l’ischémie mais peut se « réouvrir » quasi instantanément lors d’un stress ischémique, par exemple lors d’un test de provocation du spasme coronaire et/ou l’inflation d’un ballon d’angioplastie coronaire… À la phase aiguë d’un infarctus inaugural, non précédé d’un syndrome de menace, il n’y a pas de circulation collatérale visible dans la majorité des cas. Néanmoins chez certains patients, sans que l’on ne trouve d’explication bien convaincante, on peut constater une reprise « à plein canal » par collatéralité du lit d’aval de l’artère occluse. Il ne fait aucun doute que l’ischémie myocardique est bien le principal stimulus du développement de la circulation collatérale mais les mécanismes intimes de la transmission de l’information, notamment vers le territoire artériel, « émetteur » de la collatéralité restent obscurs, de même que la raison des profondes variations interindividuelles des performances de ce mécanisme de sauvegarde. La mise en évidence, il y a plus de dix ans maintenant, du rôle des facteurs d’angiogenèse (le VEGF étant le plus connu) est loin d’avoir dissipé la totalité de ce mystère. Le préconditionnement ischémique Il représente le deuxième mécanisme préservant la fonction et l’intégrité anatomique du myocarde ischémique. Intuitivement, on pourrait imaginer que lorsque l’on soumet un
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