Dépister l’ischémie myocardique : pourquoi ? Comment ? Chez quel patient ?
S. WEBER, hôpital Cochin, Paris
Il est bien clair que, si la maladie athéromateuse concerne par définition les gros troncs épicardiques coronaires, l’objectif du traitement est de protéger le myocarde de l’ischémie (et plus encore de la nécrose !). L’évaluation du degré de sténose, de la morphologie de la plaque d’athérome, et éventuellement la correction par pontage ou par angioplastie des lésions athéromateuses, n’a pas pour finalité de rétablir le parallélisme des bords du vaisseau et d’améliorer ainsi l’esthétique de la coronarographie mais bel et bien de protéger le myocarde. L’évaluation du coronarien comporte donc, à divers stades évolutifs de sa maladie, la détection et souvent la quantification de l’ischémie myocardique.
Les indications de ces tests de détection de l’ischémie sont cependant de philosophies différentes selon le stade évolutif de la maladie coronaire. À chaque indication correspond une technique d’induction de l’ischémie et une technique de mesure et de quantification de la souffrance cellulaire myocardique précisément adaptée à la question posée. Les diverses méthodes d’induction et de détection de l’ischémie ne doivent pas être considérées comme concurrentes, mais bel et bien comme complémentaires, chaque situation clinique appelant préférentiellement l’une des techniques validées actuellement disponibles. Quelles sont les indications des tests de détection de l’ischémie myocardique ? Elles sont schématiquement au nombre de quatre. Affirmer l’origine coronaire d’une douleur thoracique (1) La détection de l’ischémie myocardique représente généralement la première étape de la prise en charge diagnostique lors des douleurs itératives liées à l’effort ou au décours d’une première douleur thoracique de repos n’ayant pas entraîné de signe électrocardiographique détectable ni d’élévation de troponine. Bien entendu, si la maladie débute par un syndrome coronaire aigu (SCA) évident (angor instable documenté, infarctus du myocarde), la réalisation d’un test d’ischémie n’a pas d’intérêt diagnostique et peut même être dangereux, par lui-même (notamment le test d’effort) et indirectement en retardant la réalisation d’une coronarographie. En dehors des SCA, la documentation d’une ischémie myocardique représente la première étape de la prise en charge diagnostique. Les techniques d’imagerie (coronarographie, parfois scanner coronaire) sont envisagées dans un 2 e temps, soit lorsqu’il existe une ischémie sévère, soit lorsque les tests non invasifs n’ont pu trancher le dilemme diagnostique. Dans une stratégie de dépistage systématique chez des patients à haut risque artériel (2) Pour les populations à haut risque, l’exemple le plus étudié étant celui du diabète, la réalisation systématique, en l’absence de tout symptôme, d’un test de dépistage de l’ischémie permet le diagnostic plus précoce de certaines formes asymptomatiques et pourtant sévères de maladie coronaire pouvant justifier d’une exploration invasive et parfois même d’une revascularisation par angioplastie ou par pontage. Cette démarche de dépistage est certes « rentable » réduisant, dans les populations à risque, la probabilité de survenue d’un événement coronaire grave, mais ne doit cependant pas faire perdre de vue que l’objectif principal dans ces populations est la mise en application rigoureuse d’une stratégie de correction des facteurs athérogènes. Les objectifs thérapeutiques devront cependant être plus rigoureux, en matière de chiffres tensionnels ou de chiffres lipidiques cibles, lorsqu’existe une atteinte coronaire ischémiante (1). Le suivi à moyen et long terme patients coronariens chroniques Ces patients déjà diagnostiqués bénéficient tous (ou tout du moins devraient bénéficier !) d’un traitement médicamenteux optimal. Malgré ce traitement, la maladie coronaire peut progresser et un phénomène de resténose peut se développer à l’intérieur de l’un des stents. Cette évolutivité de la maladie coronaire, ralentie mais non stoppée par le traitement médicamenteux, justifie la recherche systématique d’une ischémie silencieuse. Curieusement, la littérature est peu parlante, voire totalement muette sur l’espacement de ces tests de détection de l’ischémie. Chez un patient asymptomatique âgé de moins de 70 ans, la réalisation annuelle, tout du moins les premières années de prise en charge paraît une recommandation raisonnable. L’espacement des tests peut, en l’absence d’évolutivité constatée, être allongé par la suite. L’optimisation des modalités de revascularisation myocardique Cette quatrième indication concerne un plus petit nombre de patients mais en contrepartie peut orienter très « lourdement » les décisions thérapeutiques. Il s’agit de patients ayant déjà bénéficié d’une coronarographie qu’elle qu’en ait été l’indication initiale et porteurs de lésions pluritronculaires complexes. Décider de la technique optimale de revascularisation, celle qui offre le meilleur rapport bénéfice/risque, n’est pas toujours aisé. La quantification et surtout la localisation topographique de l’ischémie myocardique représentent des éléments majeurs de la décision (1). De cette localisation de l’ischémie, dépendront à la fois le choix entre chirurgie ou angioplastie et la définition des modalités opératoires pour chacune des deux techniques : nombre et sites d’implantation des pontages ou des stents. Quelles sont les méthodes d’induction de l’ischémie ? Les patients coronariens chez lesquels on envisage un test de détection de l’ischémie n’ont par définition pas d’ischémie de repos (il s’agirait alors d’un SCA !). Il s’agit donc de reproduire, d’induire l’ischémie myocardique pour pouvoir la diagnostiquer, la quantifier et la localiser. Trois principales méthodes d’induction sont utilisées : L’effort physique Il s’agit là, bien évidemment, de la méthode la plus physiologique, la plus fidèlement reproductrice de ce qui se passe en pathologie et celle dont la valeur pronostique est de loin la plus solidement étayée. L’effort physique s’effectue sur tapis roulant, sur bicyclette ergométrique en position debout et dans certains cas sur bicyclette ergométrique en position couchée. L’effort augmente tous les paramètres déterminant les besoins en oxygène du myocarde : fréquence cardiaque, inotropisme et postcharge. L’effort peut être calibré et quantifié. L’exploration de l’ischémie est complète lorsque, chez le patient vierge de tout traitement anti-ischémique, la fréquence cardiaque maximale atteint le chiffre de 220 moins âge et lorsque la charge de travail effectuée est « raisonnable » par rapport à l’âge et au style de vie du patient. Lorsque l’épreuve d’effort est effectuée pour évaluer un traitement anti-ischémique bradycardisant, seul le deuxième paramètre, charge de travail, est pertinent puisque la fréquence cardiaque est volontairement freinée par le traitement (1). La perfusion de dobutamine qui reproduit partiellement les effets de l’effort Cette observation concerne notamment l’augmentation de la fréquence cardiaque et de l’inotropisme. En revanche, ce stress pharmacologique n’a pas la même influence sur les conditions de charge du ventricule gauche et n’est donc pas tout à fait aussi sensible et aussi prédictif qu’une véritable épreuve d’effort. Il a le double avantage de s’affranchir d’éventuels problèmes locomoteurs, d’artérite des membres inférieurs ou de déconditionnement musculaire. Il est aussi plus commode à mettre en oeuvre lorsque le test de détection de l’ischémie nécessite l’immobilité du patient (échographie de stress notamment) (1). La perfusion d’un vasodilatateur artériolaire type adénosine ou dipyridamole La perfusion d’un vasodilatateur artériolaire induit l’ischémie en créant un phénomène de vol coronaire (1). La vasodilatation distale ne concerne que les artérioles des zones non ischémiques, puisque par définition, la microcirculation nutritionnelle du myocarde ischémique est déjà vasodilatée au maximum du fait même de la souffrance cellulaire. Il en résulte un détournement du flux tissulaire au détriment des zones ischémiques et au profit des zones saines. Ce phénomène de vol augmente donc le défaut de perfusion des zones ischémiques et en favorise ainsi la détection. Ce stimulus pharmacologique a été indiscutablement corrélé à l’existence de sténoses coronaires significatives. Par contre, il s’agit d’une méthode non physiologique dont la valeur pronostique est moins solidement établie que les deux autres méthodes. Quelles sont les méthodes de détection, localisation et quantification de l’ischémie ? Quatre méthodes sont actuellement utilisées au quotidien. L’électrocardiogramme d’effort (1) C’est la méthode la plus ancienne, la plus simple, la plus robuste, celle dont la valeur pronostique est la plus solidement documentée, notamment chez le coronarien chronique déjà traité. Les renseignements apportés par l’épreuve d’effort sont nombreux, ne se limitant pas à la constatation d’un sous-décalage ischémique du segment ST. La durée totale de l’effort a par exemple, une valeur pronostique considérable représentant probablement l’un des marqueurs pronostiques les plus robustes de toute la cardiologie. Le profil tensionnel d’effort, les constatations de troubles du rythme d’effort ou de récupération, l’analyse plus fine des paramètres ergométriques par mesure des échanges gazeux apportent, dans certaines situations cliniques sélectionnées, des renseignements additionnels précieux. L’épreuve d’effort a bien sûr ses limites liées au patient ne pouvant pas fournir l’effort adéquat (1). Les patients porteurs d’un bloc de branche gauche, d’un pacemaker, d’une préexcitation et de troubles préexistants de la repolarisation ont des épreuves d’effort peu, voire non contributives. Comparativement aux autres techniques de détection myocardique, l’épreuve d’effort est un peu moins sensible et surtout moins localisatrice. Elle reste cependant la méthode de référence, surtout si le cardiologue qui l’effectue met toute son énergie et tout son talent à obtenir du patient un effort réellement maximal et à bien exploiter les nombreux paramètres recueillis. La scintigraphie myocardique Divers isotopes marqueurs de perfusion tissulaire myocardique sont utilisables. La scintigraphie a une sensibilité légèrement mais significativement meilleure que celle de l’épreuve d’effort et surtout une valeur localisatrice bien plus précise. L’ischémie peut être induite soit par l’effort, soit par un stress vasodilatateur (souvent dipyridamole), soit par une combinaison des deux (1). Il s’agit d’une technique bien plus coûteuse que l’épreuve d’effort. Assez souvent le stress pharmacologique est obtenu par une combinaison d’effort et d’injection de dipyridamole, l’effort étant en pratique
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