



Publié le
Lecture 15 mins
Faut-il revasculariser les insuffisances cardiaques ischémiques sans angor ?
Y. JUILLIERE, CHU Nancy-Brabois, Vandœuvre-les-Nancy et J.-L. DUBOIS-RANDÉ, Fédération de Cardiologie, Hôpital Henri Mondor-Université Paris XII

Les Journées françaises de l'insuffisance cardiaque
CONTRE Y. Juillière, CHU Nancy-Brabois, Vandœuvre-les-Nancy La mortalité de l’insuffisance cardiaque (IC) liée à la cardiomyopathie dilatée (CMD) ischémique demeure plus sévère que celle de la CMD idiopathique, même si la mortalité liée à la pathologie coronaire et notamment celle de l’infarctus du myocarde s’est améliorée ces dernières années. Faut-il alors recourir à une revascularisation systématique en cas de CMD ischémique avec des lésions coronaires s’y prêtant ? Il s’agit d’une question difficile. Situations où la revascularisation s’impose Il va de soi qu’une revascularisation par angioplastie primaire lors d’un infarctus aigu a démontré tout son intérêt en participant à la réduction globale de la mortalité. De même, en cas de sténose serrée du tronc commun, une simple prise en charge médicamenteuse est inenvisageable sauf dans des situations rares où le risque de l’intervention serait trop élevé (sujets très âgés, comorbidités lourdes…). Même dans ce cas, la dysfonction ventriculaire gauche (VG) majeure peut faire discuter d’emblée une transplantation cardiaque. Effets bénéfiques potentiels de la revascularisation et traitement médical de l’IC La revascularisation d’une CMD ischémique présente quatre pôles d’intérêt : réduire la survenue d’accidents ischémiques, diminuer le risque arythmique, diminuer le remodelage dans les régions concernées par l’ischémie et améliorer la cinétique segmentaire (et donc la fonction VG) des segments myocardiques dysfonctionnels mais viables. Le traitement médical que l’on peut (et que l’on doit !) prescrire dans la CMD ischémique agit aussi sur ces différentes cibles, sauf peut-être l’amélioration de la viabilité. En effet, les recommandations européennes sont basées sur une thérapeutique incontournable composée au minimum d’un IEC et d’un bêtabloquant. Chacune de ces deux classes a largement démontré son efficacité dans l’IC ischémique à tous les stades (I à IV) de la NYHA avec une réduction de mortalité de 20 à 25 % pour chacune. La posologie doit être optimale et atteindre les fortes posologies utilisées dans les grands essais. Il est toujours regrettable de constater les hésitations d’un médecin à prescrire une posologie élevée d’un IEC sous le prétexte d’effets secondaires éventuels, et de voir le même médecin ne pas hésiter une seconde à soumettre son patient à une chirurgie de pontage ou à des angioplasties dont les effets secondaires sont au moins aussi graves que ceux auxquels se soumet le patient lors d’une prescription médicamenteuse. Enfin, l’adjonction d’un défibrillateur implantable peut être envisagée en cas de FEVG ≤ 35 % pour accroître la réduction du risque arythmique, déjà diminué par les IEC et surtout les bêtabloquants. Les arguments contre la chirurgie dans la CMD ischémique La littérature sur ce sujet apparaît très ancienne. Le réflexe de proposer une intervention chirurgicale chez un patient ischémique avec dysfonction VG est issu de l’étude CASS. Cette étude avait montré la réduction significative de mortalité obtenue chez des patients pontés par rapport aux patients traités médicalement, lorsqu’il existait une FEVG ≤ 35 %. Pourtant, cette étude a été publiée en 1983, époque où le traitement médical était représenté uniquement par l’association digitalo-diurétique, ce qui maintenant paraît très insuffisant. L’efficacité statistique portait uniquement sur le groupe à FEVG ≤ 25 % avec peu de patients au total (n = 254). Enfin, il s’agissait d’une étude en sous-groupe, l’étude principale, portant sur des patients avec ou sans dysfonction VG, s’avérant négative. Conserver cette étude comme référence de nos décisions quotidiennes paraît actuellement difficile. La littérature contient également une publication datant de 1994 colligeant les résultats de 7 essais comparant traitement médical versus chirurgie avec une supériorité de la chirurgie. Les critiques sont identiques : période antérieure à 1984 avec un traitement médical bien pauvre et moins de 20 % de patients avec FEVG 50 %. Dans cette publication, le bénéfice espéré à 10 ans grâce à la chirurgie (4,3 mois pour l’ensemble des patients, 10,6 mois pour les patients avec dysfonction VG) paraît bien faible quand on sait que les patients opérés mettent au moins 3 mois, sinon plus pour les patients IC, à recouvrer une autonomie physique complète. Les arguments contre l’angioplastie coronaire dans la CMD ischémique L’angioplastie coronaire en cas de dysfonction VG sévère est soumise à une morbi-mortalité élevée. Les données récentes comparant angioplastie percutanée et chirurgie dans la maladie coronaire sévère sont plutôt en faveur de la chirurgie, même en cas de stenting. Compte tenu de l’absence réelle de preuve pour la chirurgie, il est d’autant plus difficile d’accorder un quelconque crédit à l’angioplastie. L’étude canadienne APPROACH publiée en 2006 montrait la supériorité de la revascularisation (chirurgie ou angioplastie) sur le traitement médical seul chez des patients IC. Toutefois, cette étude non randomisée ne comportait que 12 % de patients avec une IC avant l’inclusion, incorporait les patients les moins graves dans le groupe revascularisé et administrait un traitement médical largement sous-optimal (40 % d’IEC et 40 % de bêtabloquants). La question de la viabilité L’existence de plusieurs segments myocardiques encore viables représente un facteur pronostique important, même si une ischémie chronique dans le territoire antérieur chez des patients avec IVA obstruée n’altère pas la fonction VG à long terme (48 mois). Dans l’ensemble des études de la littérature, peu d’études ont pu démontrer une différence de survie statistiquement significative en fonction de la présence de segments viables ou non, chez les patients opérés comme chez les patients traités médicalement. Les techniques d’analyse de la viabilité sont multiples (écho dobutamine, thallium, IRM) et ont chacune des avantages et des inconvénients. Leur fiabilité peut être largement discutée. L’IRM aurait une fiabilité meilleure mais n’est guère disponible en routine dans tous les centres. Il convient donc de se demander si les difficultés à prouver l’intérêt d’une recherche de la viabilité ne sont pas liées à la valeur réelle qui doit être attribuée à la signification de ces anomalies myocardiques réversibles. Au final, que disent les recommandations ? Des critères américains pour une revascularisation coronaire appropriée chez les patients coronariens ont récemment été publiés, proposant le recours à la chirurgie pour tous les patients avec dysfonction VG, réservant chez ces patients le recours à l’angioplastie en cas d’atteinte bitronculaire avec au moins une sténose de l’IVA. De telles propositions ne sont pas étayées par des publications récentes. Les recommandations européennes pour le traitement de l’IC en 2008 incitent par contre à réfléchir à une revascularisation éventuelle tout en faisant bien état de l’absence de preuve quelconque dans la littérature. L’étude COURAGE a bien montré l’absence de bénéfice au long cours de l’angioplastie comparativement au traitement médical chez les patients coronariens stables, y compris dans le petit sous-groupe de patients avec dysfonction VG. On demeure dans l’attente des résultats de l’étude STICH, débutée en 2002 avec des inclusions qui ont pris fin en 2007. Cette étude avait deux buts : • montrer le rôle d’une résection VG complémentaire en plus des pontages ; • comparer des patients traités médicalement à des patients pontés. Si l’absence d’effet d’une résection VG a été démontrée, les résultats de la deuxième cohorte n’ont toujours pas été publiés. La longue durée d’inclusion et la longue durée de suivi peuvent raisonnablement laisser penser qu’il n’y aura guère de supériorité de la chirurgie tout en espérant qu’elle n’ait pas d’effet délétère ! En pratique L'IC ischémique a une mortalité sévère et impose la coronarographie pour un bilan diagnostique et pronostique complet. Le traitement médical optimal est plus que jamais nécessaire, basé sur les IEC et les bêtabloquants auxquels on peut adjoindre le défibrillateur implantable chez les patients avec une FEVG inférieure ou égale à 35 %. Si une revascularisation est envisagée, elle devrait consister en des pontages et ne se concevoir qu'après avoir démontré la présence d'une viabilité étendue dans les territoires à revasculariser. Mais, encore actuellement, les patients asymptomatiques sur le plan angineux devraient préférentiellement être traités médicalement. POUR J.-L. Dubois-Randé, Fédération de Cardiologie, Hôpital Henri Mondor-Université Paris XII Si la mortalité opératoire est élevée en cas de fraction d’éjection franchement abaissée, on constate cependant une amélioration du pronostic à distance chez ces patients une fois pontés. Choisir de revasculariser ces patients demeure l’objet d’un débat faute d’études contrôlées. Malgré des avancées technologiques et thérapeutiques importantes, la revascularisation des patients ayant une atteinte coronaire et une dysfonction ventriculaire gauche et a fortiori une insuffisance cardiaque reste toujours l’objet de discussions. En effet, ces patients ont une morbi-mortalité élevée aussi bien spontanée que lors du geste opératoire. Différentes comorbidités peuvent également aggraver le pronostic. Ainsi, la mortalité d’une intervention chirurgicale reste élevée pour des fractions d’éjection 30 % avec des chiffres entre 3 et 10 %. Cette mortalité augmente en cas de symptômes patents d’insuffisance cardiaque. Mais malgré cette mortalité élevée, le pronostic à distance des patients est retrouvé meilleur après revascularisation même pour les fractions d’éjection les plus basses. Cependant, la comparaison par des études contrôlées de la revascularisation versus le traitement actuel optimal de l’insuffisance cardiaque n’existe pas vraiment aujourd’hui de même que l’évaluation de la revascularisation par la cardiologie interventionnelle qui s’impose pourtant souvent dans la pratique. La
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :
Articles sur le même thème
Pagination
- Page précédente
- Page 2
- Page suivante