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Insuffisance cardiaque aiguë : des recommandations à la prise en charge
P.-V. ENNEZAT, J.-L. AUFFRAY, J.-J. BAUCHART, J.-M. AUBERT, A. VINCENTELLI et P. ASSEMAN, CHRU de Lille

L’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) est un problème de santé publique associé à une morbi-mortalité importante. Il s’agit désormais d’une cause majeure d’hospitalisation parmi les patients âgés de plus de 65 ans associée à des dépenses importantes. Le pronostic est sombre avec une mortalité à 12 mois estimée jusqu’à 40 % en cas d’œdème aigu du poumon. Il s’agit d’une situation critique nécessitant une thérapeutique urgente appropriée à chaque situation physiopathologique.
Une définition clinique La définition de l’ICA est une première difficulté et explique en partie pourquoi cette situation clinique concerne une population extrêmement hétérogène. Il s’agit d’un syndrome clinique défini par l’apparition récente ou l’aggravation de symptômes ou de signes variés incluant dyspnée, fatigue ou œdème nécessitant une prise en charge rapide en rapport avec une détérioration de la fonction cardiaque qu’il y ait une cardiopathie chronique sous-jacente ou non. Dans la grande majorité des cas, il s’agit de tableaux d’insuffisance cardiaque (IC) décompensée survenant chez des patients connus pour avoir une dysfonction myocardique systolique et/ou diastolique, qui présentent une exacerbation de leurs symptômes après une période de relative stabilité. L’installation brutale de signes ou symptômes d’ICA chez des patients sans antécédent d’insuffisance cardiaque et une fonction cardiaque normale est beaucoup plus inhabituelle, en particulier en l’absence de syndrome coronaire aigu (SCA) concomitant. Les causes d’ICA sont diverses (encadré 1) mais parfois mal élucidées. Par ailleurs, les registres récents montrent qu’environ la moitié des patients se présentant avec une IC congestive ont une fraction d’éjection du ventricule gauche normale (> 50 %). Cette population représente en soi un véritable défi pour les cliniciens du fait d’une hypervolémie souvent modeste et de possibilités thérapeutiques très limitées, en particulier sur la dysfonction diastolique sous-jacente. Le dénominateur pathologique commun à toutes ces étiologies est l’incapacité du myocarde à maintenir un débit cardiaque en adéquation avec la demande énergétique de l’organisme. On peut distinguer trois groupes de patients déterminés à partir du niveau de pression artérielle systolique mesurée à l’admission, avec des pronostics différents : • Un groupe hypertendu avec une prédominance féminine et une fraction d’éjection préservée. La mortalité intrahospitalière est la plus faible (2 %) avec 5 % de mortalité et 30 % de réadmission dans les 3 mois. • Un groupe normotendu caractérisé par une fraction d’éjection plus basse, une mortalité intrahospitalière de 3 %, une mortalité à 3 mois de 7 % et un taux de réadmissions de 30 %. • Un groupe hypotendu (pression artérielle systolique 120 mmHg) avec une fraction d’éjection très abaissée, une utilisation accrue d’agents inotropes, une mortalité intrahospitalière de 7 %, de 14 % à 3 mois et un taux de réadmissions de 30 %. Diagnostic Le diagnostic clinique et étiologique de l’ICA doit être rapide afin d’administrer un traitement approprié. L’absence de ce dernier accroît naturellement la nécessité d’une ventilation mécanique, la durée de séjour, le coût de la thérapeutique ainsi que la morbi-mortalité. Un diagnostic uniquement fondé sur la clinique risque d’être imprécis car les symptômes et signes cliniques ne sont ni sensibles ni spécifiques et peuvent être partagés avec d’autres étiologies comme l’exacerbation de bronchopneumopathie chronique obstructive. Du fait de l’hétérogénéité du syndrome d’ICA, une large possibilité de signes sont associés à cette condition (encadré 2). Analyser les signes • La dyspnée d’effort apparaît comme le signe le plus sensible et la dyspnée paroxystique nocturne comme le plus spécifique. • Les signes d’élévation de la pression veineuse centrale apparaissent comme le meilleur indicateur pour identifier une ICA mais leur recherche est souvent très imprécise en pratique. • La pression veineuse centrale peut être néanmoins normale lorsque la fonction ventriculaire droite et la fonction rénale sont normales. • L’hypertension artérielle systémique observée à l’admission est le plus souvent le résultat d’une vasoconstriction artérielle périphérique liée à l’augmentation du tonus adrénergique, plus que la cause de l’épisode d’ICA. • L’hypotension artérielle doit faire aussi évoquer une hypovolémie aiguë avant de se précipiter sur les vasoconstricteurs (figure 1). Figure 1. Classification de Forrester modifiée par LW Stevenson. Éliminer certains diagnostics Certains diagnostics doivent être évoqués surtout chez les pa-tients jeunes après avoir éliminé un infarctus du myocarde : le phéochromocytome où les pouls peuvent disparaître en cas de vasoconstriction intense, la thyrotoxicose, la myocardite aiguë, le sepsis sévère pendant lequel on peut observer une dysfonction et une dilatation ventriculaire marquée, ou exceptionnellement un béri-béri. Un certain nombre de tests paracliniques rapidement disponibles au lit du malade permettent d’orienter le diagnostic et la thérapeutique : • Électrocardiogramme ; • Radiographie du thorax ; • Mesure du BNP ou du NT-proBNP ; • Échocardiographie transthoracique ; • Analyses biologiques : numération formule sanguine, CRP, créatinine, ionogramme sanguin, glycémie, bilan hépatique, troponine cardiaque, D-dimères, gazométrie artérielle, bilan thyroïdien ; • Cathétérisme cardiaque droit (en cas de doute diagnostique ou lorsqu’une surveillance rapprochée est nécessaire). Examens complémentaires L’électrocardiogramme révèle des signes d’ischémie myocardique, de myopéricardite, d’hypertrophie ventriculaire gauche ou une arythmie rapide, ou peut être normal. Les signes radiologiques de congestion pulmonaire peuvent être retardés ou discrets en cas d’emphysème pulmonaire associé. De plus, l’amélioration clinique du patient précède souvent la disparition des signes radiologiques. Le BNP Une valeur 100 pg/ml a une valeur prédictive négative de 89 % ; cela signifie qu’un diagnostic uniquement basé sur cette mesure provoquerait un défaut de prise en charge inacceptable dans 11 % des cas. Une valeur normale peut être retrouvée en particulier en cas d’œdème pulmonaire flash, de valvulopathie aiguë ou de sténose mitrale. À l’inverse, une valeur élevée de BNP (mais moins élevée qu’à l’état stable) peut être retrouvée chez les patients insuffisants cardiaques chroniques, mais en situation d’hypovolémie aiguë (pertes gastro-intestinales, traitement diurétique excessif, etc.). L’échocardiographie trans-thoracique apparaît de plus en plus comme un outil indispensable dans la prise en charge de l’ICA et devrait être utilisée lors de l’épisode aigu. Elle permet de mesurer le débit cardiaque, d’identifier une dysfonction systolique qui peut être transitoire (par exemple dans le cadre de l’ischémie myocardique ou du syndrome de Tako-tsubo), une dysfonction diastolique prédominante, une hypertrophie ventriculaire gauche, une obstruction intraventriculaire gauche, une valvulopathie aiguë ou chronique, une dysfonction de prothèse, une pathologie péricardique, une dysfonction ventriculaire droite avec ou sans hypertension artérielle pulmonaire. Il s’agit également d’un examen clé dans l’identification des complications mécaniques de l’infarctus du myocarde. Intégrer le résultat à la clinique Le niveau d’expertise doit être élevé et prendre en compte le tableau clinique pour arriver à un résultat concordant ; une interprétation inadéquate de l’examen échocardiographique peut effectivement influer négativement le pronostic du patient ou conduire à des thoracotomies inutiles ! Une erreur souvent rencontrée en pratique est la constatation d’une veine cave inférieure fine faisant remettre en cause un diagnostic évident d’œdème aigu du poumon, alors que sa taille et son caractère compressible dépendent essentiellement de la fonction ventriculaire droite et de l’atteinte primitive de l’excrétion sodée rénale et non des pressions ventriculaires gauches. D’autres examens biologiques sont également im-portants. Ils permettent de détecter : – une hypoxémie importante à l’origine d’une hypoxie tissulaire et d’une acidose lactique ; – une insuffisance rénale aiguë pouvant nécessiter une épuration extrarénale urgente ; – une hyperglycémie révélant un diabète ou une intolérance au glucose ; – un syndrome inflammatoire orientant vers un sepsis ; – une thyrotoxicose ou une anémie expliquant un tableau d’insuffisance cardiaque à haut débit, une cytolyse majeure, une hyperbilirubinémie et une insuffisance hépatocellulaire qui peuvent parfois révéler la gravité de la condition clinique et contre-indiquer temporairement une assistance circulatoire. Le cathétérisme cardiaque droit permet de mesurer les pressions intracardiaques droites, la pression capillaire pulmonaire corrélée aux pressions de remplissage ventriculaire gauche et le débit cardiaque. Son utilisation en routine n’a pas montré de bénéfice en termes de morbi-mortalité (essai ESCAPE, JAMA 2005). Il devrait être utilisé essentiellement en cas de doute diagnostique entre un œdème pulmonaire cardiogénique et un œdème pulmonaire lésionnel ou d’absence de réponse à une thérapeutique initiale jugée appropriée. Les patients jeunes particulièrement graves peuvent également bénéficier de la mesure continue du débit cardiaque et de la saturation veineuse en oxygène afin d’adapter au plus près les thérapeutiques. Le niveau d’expertise doit être élevé et se rappeler des causes d’erreur : la présence d’une insuffisance tricuspide sévère peut conduire à une sous-estimation ou une surestimation du débit cardiaque, la présence d’un shunt gauche-droit surestime le débit systémique. La pression mesurée au niveau du capillaire est la pression d’occlusion de l’artère pulmonaire. Elle nécessite toute une série de conditions pour représenter valablement la pression télédiastolique du ventricule gauche pré-A (mesure particulièrement inexacte en cas de sténose mitrale, prothèse mitrale, élévation des pressions intrathoraciques et hyperventilation pulmonaire). De plus, cette pression ne représente pas la précharge du VG qui requiert le volume télédiastolique. Autres examens paracliniques La coronarographie est réalisée essentiellement en cas de suspicion d’obstruction coronaire ou pour écarter une obstruction coronaire devant une suspicion de myocardite ou de cardiomyopathie de stress. Un angioscanner pulmonaire spiralé est réalisé en
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