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Insuffisance cardiaque du 4e âge : jusqu’où aller ?
F. DELAHAYE, A.-M. ANTCHOUEY et J. PERRIN-FAURIE

Voici le compte rendu d’une séance consacrée au patient insuffisant cardiaque très âgé durant les récentes Journées européennes de la Société française de cardiologie. Quatre points de vue ont été présentés.
Le point de vue de l'urgentiste F. Lapostolle, SAMU 93 La question est pertinente au vu des données démographiques (figure 1). Le SAMU est appelé parce qu’un patient a présenté un malaise. Ce patient âgé de 79 ans, hypertendu, diabétique insulinodépendant, dément, est dépendant pour toutes les activités de la vie quotidienne. La tension artérielle est à 150/100 mmHg, le patient est marbré, il y a des crépitants diffus à l’auscultation pulmonaire, la fréquence respiratoire est à 30/min, la saturation en oxygène est à 80 % sous 15 l d’oxygène, l’ECG montre un infarctus antérieur en voie de constitution. Engage-t-on ou non des thérapeutiques actives (traitement pharmacologique, oxygénation/ventilation invasive ou non invasive) ? Les recommandations communes des Sociétés françaises de cardiologie et de gériatrie et gérontologie [1] n’envisagent pas cette situation aiguë au domicile du patient avant l’hospitalisation, qu’il s’agisse du diagnostic ou de la thérapeutique. Première étape, il faut une certitude diagnostique. On peut s’aider du dosage immédiat du BNP, de l’échocardiographie à l’aide d’un appareil portable, et de la détermination non invasive du débit cardiaque. Figure 1. Estimation de l’augmentation de la population âgée en Europe. « L’urgentiste ne doit pas se prendre pour Dieu. » Les recommandations de la Société de réanimation de langue française (1 er juillet 2010) sur les limitations et arrêts des thérapeutiques actives en réanimation de l’adulte ne peuvent pas être utilisées dans cette situation, pour deux raisons : • la procédure de réflexion doit être collégiale (la décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins et sur l’avis motivé d’au moins un médecin appelé en qualité de consultant, voire d’un deuxième) : elle ne peut pas l’être ici puisque l’urgentiste est seul ; • l’urgence : « Selon les termes définis par la loi, l’urgence (et l’absence de possibilité d’entreprendre une procédure collégiale) ne permet pas d’engager un processus de décision de limitation ou d’arrêt des traitements. Néanmoins, ces deux situations ne doivent pas conduire à l’obstination déraisonnable si l’issue est à l’évidence fatale à très brève échéance (quelques heures) ». L’attitude a été active : traitement pharmacologique du syndrome coronaire aigu et de l’insuffisance cardiaque ; ventilation non invasive ; accès direct en salle de coronarographie pour angioplastie primaire. Le docteur Lapostolle a voulu ne pas donner l’évolution de ce patient : est-il vivant ? On a eu raison d’être actif ; est-il mort ? On a eu tort. Le point de vue du cardiologue F. Delahaye, Hôpital Louis Pradel, Lyon-Bron L’insuffisance cardiaque est très fréquente chez les sujets du 4e âge (> 10 %), dans une population numériquement en augmentation. Elle est grave : chez les octogénaires hospitalisés pour insuffisance cardiaque, la médiane de survie est de 4 mois. Le diagnostic est plus difficile que chez le sujet plus jeune, du fait de présentations atypiques, d’une part, des comorbidités associées, d’autre part. On recourt peu souvent à l’échocardiographie pour établir le diagnostic. La forme diastolique de l’insuffisance cardiaque est particulièrement fréquente dans cette population. Chez ces sujets, la sous-prescription est très importante. Chez ces sujets, la sous-prescription est très importante. Il y a très souvent des comorbidités, notamment des troubles neuropsychiatriques, de l’appareil locomoteur, des systèmes d’équilibre. Virtuellement tous les octogénaires ont des comorbidités associées à l’insuffisance cardiaque, un tiers d’entre eux ont au moins cinq comorbidités. Ces comorbidités posent le problème d’une ordonnance longue, et donc de l’observance, d’une part, des interactions médicamenteuses, d’autre part. Une approche multidisciplinaire et individualisée Les objectifs du traitement de l’insuffisance cardiaque sont l’augmentation de l’espérance de vie, l’amélioration de la qualité de vie, la réduction du nombre et de la durée des hospitalisations et le ralentissement de la progression de la maladie. Chez les sujets très âgés, il faut plus avoir pour objectif l’augmentation de la qualité de vie que celle de la durée de vie. Du fait de la grande hétérogénéité de cette population en termes de mode de vie, de comorbidités, de souhaits personnels, la prise en charge doit être individualisée. Il doit y avoir une approche gériatrique globale et une évaluation gérontologique complète, afin de dépister les maladies associées, d’apprécier le degré de dépendance et de rechercher une « fragilité » (frailty). Doivent être évalués les fonctions cognitives, le degré d’autonomie, l’état somatique, le contexte de vie et la prise en charge médico-sociale. La prise en charge de l’insuffisance cardiaque chez le sujet très âgé doit être pluridisciplinaire et associer le médecin généraliste, le cardiologue, le gériatre, l’infirmier, le diététicien et l’assistante sociale. Cette prise en charge pluridisciplinaire permet la mise en œuvre d’une éducation thérapeutique, la surveillance de l’observance aux médicaments, à la diététique, à l’exercice, et une surveillance rapprochée. En termes de traitements, « ni trop, ni trop peu » : il n’y a pas de raison de priver, a priori, le patient de thérapeutiques bénéfiques ; a contrario, primum non nocere. Il faut donc, pour chaque thérapeutique, mesurer les bénéfices et les risques. Quelles thérapeutiques ? Très peu d’essais randomisés s’intéressent spécifiquement au sujet âgé, mais il n’y a pas de raison de ne pas extrapoler les résultats observés chez les sujets plus jeunes [1]. Les diurétiques sont, bien entendu, très utiles pour traiter la congestion. Il y a des risques d’hypovolémie (majorée en cas de diarrhée, de vomissements, de fièvre, de fortes chaleurs), d’hyponatrémie (notamment lors d’une association à un antidépresseur sérotoninergique) et d’hypokaliémie (en particulier en cas de diarrhée ou d’utilisation de laxatifs). Il doit donc y avoir une surveillance biologique étroite, de l’ionogramme sanguin et de la créatininémie. Il est fondamental, une fois la congestion traitée, de réduire la dose du diurétique. Les médicaments anti-aldostérone doivent être envisagés en cas de classe III ou IV de la NYHA persistante. Les risques sont l’hyperkaliémie et l’insuffisance rénale. Il vaut mieux utiliser des doses faibles (12,5 mg/j). La surveillance biologique (ionogramme, créatinine) rapprochée est fondamentale. Le traitement par IEC doit être commencé à distance d’un épisode de déplétion sodée. La posologie initiale doit être faible, puis les doses sont augmentées progressivement. Il faut songer à diminuer ou arrêter des médicaments moins utiles (doses des diurétiques, AINS, nitrés, etc.). Les risques sont l’hypotension orthostatique, l’aggravation de la fonction rénale et l’hyperkaliémie ; il faut donc une surveillance clinique et biologique étroite. En ce qui concerne les bêtabloquants, l’essai SENIORS a inclus exclusivement des sujets âgés de > 70 ans (moyenne : 76 ans). Il y a eu un bénéfice net en termes de réduction de la mortalité. Le traitement doit être commencé à distance d’un épisode de décompensation. Comme pour les IEC, la posologie initiale doit être faible, les doses ensuite augmentées progressivement. Il faut penser à diminuer ou à arrêter des médicaments moins utiles (doses et diurétiques, inhibiteurs calciques, nitrés, etc.). La digoxine est utilisée en cas de fibrillation atriale, ou chez des patients restant très symptomatiques malgré les thérapeutiques précédentes. Il doit y avoir un contrôle strict de la fonction rénale. Il vaut mieux utiliser des doses faibles (0,125 mg/j), et l’on peut s’aider du dosage de la digoxinémie, qui doit être 0,8 ng/ml. Si les critères sont réunis (patient restant très symptomatique malgré un traitement optimal, largeur de QRS, fraction d’éjection abaissée), la resynchronisation biventriculaire peut être proposée car, au-delà de son efficacité sur la mortalité, elle améliore souvent nettement les symptômes. En revanche, l’indication du défibrillateur implantable doit être soigneusement pesée. Dans l’insuffisance cardiaque diastolique, pourtant particulièrement fréquente, le traitement reste empirique. L’utilisation des diurétiques et des nitrés doit être prudente, du fait de la possibilité d’une baisse de la précharge, qui conduit à une baisse du débit cardiaque. On utilise volontiers les agents bradycardisants (bêtabloquants, inhibiteurs calciques) afin d’augmenter la durée du remplissage ventriculaire, mais il faut se méfier des troubles de conduction (dysfonction sinusale, troubles de conduction atrioventriculaire), qui sont particulièrement fréquents. Les thérapeutiques non médicamenteuses doivent aussi être envisagées. Le poids doit être surveillé. Les règles nutritionnelles doivent être plus souples que chez le sujet plus jeune. En cas d’obésité, la réduction pondérale n’est pas un objectif prioritaire, car un régime mal conduit favorise la malnutrition. Le régime sans sel strict ne doit pas être fait en dehors des phases de décompensation. Il faut prêter garde au fait que le régime peu salé entraîne un risque d’hyponatrémie, d’anorexie, et qu’il ne doit pas faire réduire les activités sociales et les repas, qui rompent l’isolement. En dehors des poussées, la consommation liquidienne doit être de 1,5 à 2 litres par jour, en faisant attention à l’altération de la sensation de soif chez la personne âgée. Il doit y avoir une activité physique quotidienne, afin de lutter contre le déconditionnement ; l’activité doit être adaptée à l’état physique du patient. La pronostication reste très difficile. De très nombreuses variables influent sur le pronostic. Le modèle de Seattle (http://depts.washington.edu/shfm/), à l’aide de quelques données cliniques et biologiques faciles à recueillir, permet une assez bonne estimation de la durée de vie restante. Des indicateurs d’une fin de vie prochaine sont la
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