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Thérapeutique

Publié le  Lecture 13 mins

La gestion périopératoire du patient sous anticoagulants

A. STEIB, S. BOET, R. ROZOV et J.-C. ROTHGERBER, hôpital Civil, Strasbourg

La prise en charge du patient traité par des anticoagulants doit tenir compte de la chirurgie (programmée ou urgente, hémorragique ou peu hémorragique), du type d’anesthésie (anesthésie locorégionale ou générale) et du terrain (facteurs de risque thrombotique). Elle dépend du traitement anticoagulant en cours et de ses modalités d’administration.

La gestion des risques Dans le contexte périopératoire, il n'est pas rare d’avoir à prendre en charge un patient traité par anticoagulant (1,2), qu'il s'agisse d'héparine non fractionnée (HNF) ou de bas poids moléculaire (HBPM) ou d'antivitamines K (AVK). La gestion de ces traitements se discute en termes de bénéfice/risque de leur maintien, ou de leur arrêt périopératoire. Le maintien expose à un risque hémorragique provoqué non seulement par l'acte chirurgical mais également par les gestes anesthésiques (anesthésies locorégionales, pose de cathéters, sonde gastrique, etc.). En l’absence de tout traitement anticoagulant : les actes spontanément reconnus à risque hémorragique sont les interventions neurochirurgicales, la chirurgie urologique (incluant les biopsies rénales), la chirurgie carcinologique majeure, la chirurgie cardiaque et vasculaire majeure, la chirurgie orbitaire. Parmi les actes interventionnels, on relève la sphinctérotomie endoscopique et la polypectomie intestinale (3). Ce risque hémorragique est lié aux pertes sanguines prévisibles mais aussi aux difficultés rencontrées (accès difficile pour l’hémostase), voire aux conséquences fonctionnelles gravissimes potentielles d’une extravasation minime de sang (hématome intracrânien ou périmédullaire, chirurgie de l’oreille moyenne et du vitré). La chirurgie orthopédique, digestive et thoracique sont à risque modéré. L’arrêt plus ou moins prolongé du traitement est susceptible d’induire un risque thrombotique. Certains facteurs de risque liés au terrain ont été identifiés : âge avancé, diabète, antécédents d’AVC ou d’AIT, insuffisance cardiaque, accident thrombœmbolique veineux ou artériel récent. De ce fait, la conduite à tenir doit être adaptée au degré de l'urgence, à la nature de l'acte chirurgical, au type d'anesthésie et de monitorage (4-6). Elle dépend du traitement anticoagulant en cours (indication, dernière prise, mode d'administration, effet clinique et biologique) (7,8). Patient traité par les héparines Sur le plan pharmacocinétique, la T1/2 de l'héparine est de l'ordre de 90 min (1). Le pic d’action est rapidement atteint après administration intraveineuse. Il survient 2-3 h après une injection sous-cutanée. L’HNF sous-cutanée à faibles doses (méthode de Kakkar) ne modifie pas le TCA chez la plupart des individus. En cas de traitement curatif, la fourchette d’efficacité thérapeutique se situe entre 1,5 et 2,5 fois la valeur témoin. L’héparinémie efficace se situe entre 0,35 et 0,7 UI/ml. L’élimination de l’HNF est tributaire du système réticulo-endothélial beaucoup plus que du rein. Le pic d’action des HBPM après injection sous-cutanée est atteint en 3-4 h. Les valeurs thérapeutiques d’activité anti-Xa se situent entre 0,5-1 UI/ml pour un traitement curatif, 0,25-0,5 UI/ml en cas de traitement préventif à doses élevées et 0,15-0,30 UI/ml pour un traitement prophylactique à faibles doses. Ces fourchettes varient en fonction du type d’HBPM prescrit. Le monitorage de l’activité anti-Xa en cours de traitement par HBPM n’est pas systématique. Le rein joue un rôle prépondérant dans leur élimination. Les délais d’arrêt de l’héparine L'arrêt de l'héparine intraveineuse est préconisé 4-6 h avant l'acte vulnérant. Ce délai est de 6-8 h pour l'héparine non fractionnée injectée par voie sous-cutanée. Il est de 12 h pour les HBPM, voire 24 h pour les traitements curatifs ou prophylactiques à posologies élevées. Ces délais sont aisés à respecter pour des interventions programmées. Les interventions en urgence chez un patient traité par héparine NF ou HBPM relèvent souvent de reprises chirurgicales (suites opératoires compliquées) ou d'urgences cardiovasculaires (pontage coronarien, thrombose vasculaire). Le risque hémorragique est majeur chez un patient anticoagulé de façon efficace. Il peut être tolérable dans certaines circonstances (chirurgie cardiovasculaire qui nécessitera une anticoagulation efficace peropératoire). Cependant, dans la plupart des cas, ce risque n'est pas acceptable. Les solutions envisageables Plusieurs solutions sont envisageables selon le type d'héparine injectée. • L'héparine IV peut être aisément réversée par la protamine qui neutralise dose pour dose, unité par unité, l'héparine standard (2). Après 30 à 60 min d'arrêt de la perfusion, les besoins diminuent ; ils sont de l'ordre de 0,5 à 0,75 U par unité d'héparine pour atteindre 0,25 U par unité d’héparine après 2 heures d'arrêt. L'efficacité de la protamine est moindre pour les HBPM laissant persister une activité anti-Xa parfois importante. La protamine est source d'effets secondaires indésirables (2,9) ; elle provoque une histaminolibération non spécifique, proportionnelle à la vitesse d'injection. Celle-ci doit être lente et ne pas dépasser 1 ml/min (1 000 U/min) sous couvert d’une surveillance de la tension artérielle. La protamine peut également être responsable de réactions de type anaphylactique médiée par des IgG et des IgE. Les patients ayant eu des interventions antérieures requérant une héparinisation et sa réversion, les diabétiques traités par insuline et les sujets allergiques aux poissons sont susceptibles de développer de tels accidents (9). L'éviction de la protamine est indispensable chez le patient ayant une hypersensibilité connue. • L'emploi d'héparinase semble intéressante dans ce contexte (10). Elle réverse de façon aussi efficace que la protamine tout en n'ayant pas ses effets délétères sur l'hémodynamique et la fonction plaquettaire. Enfin, des cas d’hypertension artérielle pulmonaire et de bronchoconstriction liés à une activation du complément et la libération intrapulmonaire de tromboxane ont été rapportés (9). En cas d’anesthésie locorégionale L'anticoagulation efficace contre-indique la réalisation d'une anesthésie locorégionale. Le contexte de l'urgence permet rarement d'attendre un délai raisonnable variant de 4-6 h à 12-24 h selon l’anticoagulant injecté, pour réaliser une anesthésie locorégionale neuraxiale selon des règles sécuritaires (11). L’injection de protamine est susceptible de solutionner le problème pour l’héparine intraveineuse. Cependant, la demi-vie plasmatique de la protamine étant de quelques minutes, la plus grande prudence s’impose pour l’héparine NF administrée par voie sous-cutanée. La survenue d’un hématome lors de la réalisation d’un bloc périphérique est exceptionnelle. Le risque pourrait intuitivement être plus important en présence d’une anticoagulation efficace ou d’une association anticoagulant-antiagrégant et pour les blocs profonds comparativement aux blocs plus superficiels. Ces mises en garde ont été soulignées lors de la rédaction des RPC sur la réalisation des blocs périphériques publiées par la SFAR (12). Quelle que soit la situation, une surveillance neurologique s’impose après l’intervention et la pose d’un cathéter périmédullaire ou périnerveux nécessite d’être argumentée. Reprise de l’anticoagulation La reprise du traitement postopératoire par HNF ou HBPM dépendra des conditions opératoires et de leurs suites, du niveau d’anticoagulation souhaité et du type d’anesthésie réalisé. L’anticoagulation est en général débutée 6-12 h après l’intervention. Il n’existe pas dans la littérature de schéma optimal d’administration qui tienne compte à la fois du risque thrombotique postopératoire et du risque hémorragique lié à l’intervention. Un consensus doit être trouvé entre anesthésiste et chirurgien. Patient traité par antivitamines K Généralités Les patients traités au long cours par AVK représenteraient 1 % de la population française (4). La fluindione (Préviscan ®) est de loin la plus prescrite (77 %) devançant l'acénocoumarol (Sintrom ® : 16 %) et la warfarine (Coumadine ® : 3-5 %). Ces médicaments sont indiqués pour prévenir la survenue d'accidents thrombotiques artériels (valvulopathies, prothèses valvulaires mécaniques, fibrillation auriculaire, cardiopathies ischémiques) ou veineux (7,13,14). Dans la plupart des cas, l'INR ( International Normalized Ratio) témoin de leur efficacité se situe entre 2 et 3(7). Le risque hémorragique sous AVK croît très rapidement quand l'INR devient > 4. Il est classiquement admis qu’un INR 1,5 permet la réalisation de la majorité des gestes de chirurgie ou d’investigation (1). Pour ce qui est de l’anesthésie, les cas d’hématomes périmédullaires décrits dans la littérature anglo-saxonne sous AVK (11) concernent tous des situations où le retrait du cathéter s’est effectué en situation d’hypocoagulabilité avec INR élevé (1,6 à 6,3). Chez les patients bénéficiant de faibles doses de warfarine à titre prophylactique, aucun incident n’a été décrit lors du retrait du cathéter (INR ~- 1,4) (15). Une anticoagulation efficace n’élimine pas tout risque thrombœmbolique mais le réduit par rapport à l’absence d’anticoagulation. Cette différence peut être appréhendée par le calcul du risque annuel et le risque journalier (risque annuel/365) pour les deux situations. L’estimation du risque thrombœmbolique est également possible par le biais d’études observationnelles s’intéressant à la prise en charge périopératoire des patients traités. Des différences ont été observées en essayant de superposer le risque calculé et le risque observé (16,17). Elles pourraient résulter d’un effet rebond lié à l’arrêt des AVK (5) ou à un effet prothrombotique induit par la chirurgie. Ces données étant difficiles à valider par des études bien menées, le risque de thrombose est en général classé en 3 catégories : faible, modéré ou élevé selon que le risque annuel calculé est 3 %, compris entre 4-7 % ou > 8 % (tableau 1) (6). Que faire du traitement AVK en préopératoire ? Risque hémorragique faible Dans un certain nombre de situations programmées ou urgentes, il est possible d’effectuer un acte chirurgical sans arrêter le traitement par AVK car le risque hémorragique de la chirurgie est minime et/ou aisément contrôlable. Les actes concernés sont la chirurgie dentaire, la chirurgie cutanée et la

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