C. GAULTIER, cardiologue-conseil au Sou médical (Groupe MACSF) Département de cardiologie interventionnelle à l’Hôpital La Roseraie-Villa Maria, Aubervilliers et à l’Hôpital Foch, Suresnes
Contexte actuel La sinistralité globale des médecins (environ 2 % par an) progresse de façon linéaire. Cette croissance est plus marquée chez les cardiologues. La médiatisation des progrès de la cardiologie a probablement fait naître des attentes démesurées dans la population. Le handicap ou le décès à la suite d’un infarctus ne sont plus perçus comme une fatalité et il devient alors assez difficile de faire accepter les limites de la médecine. La progression des primes d’assurances s’explique par un taux de condamnation plus fréquent des médecins qu’auparavant, associée à un montant accru des indemnisations allouées. La création d’un processus de règlement amiable et gratuit des accidents médicaux (CRCI) depuis 2002 a probablement contribué à la progression des réclamations en cardiologie, dont il est aujourd’hui difficile d’évaluer l’impact. Principes généraux de la responsabilité médicale Suite à un accident médical, les patients ou leur famille doivent tout d’abord choisir la juridiction qu’ils veulent saisir (tableau 1). Le choix de la juridiction devrait logiquement se faire en fonction du statut du médecin en cause. Tous les médecins peuvent être mis en cause directement ou indirectement par une procédure pénale ou ordinale. En revanche, seuls les médecins libéraux, les salariés des hôpitaux privés et les praticiens hospitaliers exerçant en secteur privé à l’hôpital public peuvent être mis en cause personnellement par une procédure civile. Les plaignants qui souhaitent une indemnisation pour des soins prodigués à l’hôpital public ne peuvent pas mettre en cause personnellement le médecin salarié, car celui-ci agit comme agent du service public. Ils doivent saisir soit le tribunal administratif, soit la CRCI pour mettre en cause l’établissement. Le choix de juridiction peut aussi se faire en fonction de la nature de la faute et de la sanction attendue par les plaignants. Si un patient considère qu’un médecin a eu un comportement inhumain, ou peu déontologique, mais sans entraîner forcément un handicap ou un préjudice, il peut saisir le conseil départemental de l’ordre des médecins, qui peut émettre des sanctions allant du blâme jusqu’à la radiation. Procédure pénale Lorsque le comportement du médecin a été délibérément négligent (refus de se déplacer en cas d’urgence) pouvant aboutir à un grave handicap ou au décès du patient, la voie pénale est susceptible d’être choisie par les plaignants qui souhaitent une sanction personnelle du médecin. Les plaignants déposent plainte gratuitement au commissariat de police. C’est une procédure particulièrement traumatisante pour les médecins : convocation au commissariat, pas d’accès aux pièces du dossier, expertise non-contradictoire et sans assistance d’un médecin-conseil. En cas de condamnation, le médecin devra alors verser une amende au trésor public, qui ne peut pas être prise en charge par l’assurance. Il peut aussi être condamné à une peine de prison habituellement avec sursis. Durant la procédure pénale, les plaignants peuvent se constituer partie civile, pour ensuite obtenir une indemnisation. Procédure civile La procédure civile est la voie traditionnelle choisie par les plaignants lorsqu’ils recherchent une réparation financière des préjudices. Les soins doivent avoir eu lieu en exercice libéral. Il existe alors un contrat de soins liant le médecin à son patient. Pour obtenir une réparation, le patient doit prouver que le médecin a commis une faute, et surtout qu’il existe un lien « direct, certain et exclusif » entre celle-ci et le préjudice. En l’absence de faute (aléa thérapeutique), le plaignant n’obtient aucune indemnisation. Cette procédure est payante pour les plaignants, sauf s’ils sont bénéficiaires d’une aide juridictionnelle. Durant cette procédure, le médecin dispose des meilleurs moyens de défense : expertise contradictoire, transmission de toutes les pièces, assistance d’un médecin conseil, possibilité d’envoyer des observations aux experts. Processus amiable : la CRCI Devant des procédures particulièrement longues, mais surtout face à des déviances judiciaires, la loi « Kouchner », (2002), introduit un nouveau mode de réparation des accidents médicaux survenant aussi bien en médecine libérale que hospitalière. C’est une démarche « amiable », gratuite, qui n’a pas lieu au tribunal et qui a pour objectif d’instruire les demandes et de proposer une indemnisation dans un délai de quelques mois. Les plaignants déposent une demande auprès de la CRCI (
www.commissions-crci.fr) (Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux) qui est chargée d’organiser une expertise médicale. Cette simplification des procédures est louable pour les victimes, mais dans la pratique, celle-ci se fait parfois au détriment des droits de la défense du médecin. La CRCI se prononce uniquement pour des accidents graves. Si l’aléa thérapeutique est retenu, c’est la solidarité nationale (ONIAM) qui indemnisera les patients. En revanche, en cas de faute médicale, la CRCI invitera les assureurs du médecin ou de l’établissement à proposer une indemnisation au patient. Quelle que soit la juridiction choisie, les conséquences directes de la maladie ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une indemnisation de la part du médecin en cause. Responsabilité de l’interne ou du chef de clinique à l’hôpital Lors des demandes d’indemnisations, l’hôpital est habituellement responsable des actes de l’ensemble de ses médecins, car ils sont des agents du service public hospitalier. La responsabilité de l’interne à l’hôpital est un peu particulière comparée aux autres hospitaliers, car il exerce par délégation et sous la responsabilité du chef de service dont il relève. Le chef de service se doit d’apprécier les capacités de son interne avant de lui confier des taches médicales et de veiller à ce que les actes délégués ne soient pas d’une difficulté particulière. Si un praticien manque aux obligations qui lui étaient assignées (refus de se déplacer en astreinte, ou de venir au chevet d’un patient, etc.), la faute détachable de service pourrait être retenue à son encontre et engager sa responsabilité civile professionnelle personnelle. Dans tous les cas, le médecin hospitalier peut faire l’objet de plaintes directement à son encontre, sur le plan pénal ou ordinal, sans possibilité d’intervention de l’hôpital pour le désengager. La loi a instauré un repos compensateur à la suite d’une garde (arrêté du 10 septembre 2002). Elle fixe que tout praticien ayant assuré une garde de nuit, doit cesser son activité clinique ou administrative pendant 11 heures. C’est au directeur de l’hôpital et au chef de service de veiller à l’application de cette mesure. Si pour des raisons de planning imposé au médecin, il devait poursuivre son activité au-delà et qu’un accident survenait, la responsabilité administrative de l’établissement serait engagée de principe pour défaut d’organisation. Cependant, la responsabilité personnelle du praticien pourrait être recherchée sur le plan pénal, car en ne respectant pas le repos de sécurité, le praticien contribue à créer une situation permettant la survenue d’un accident (mise en danger d’autrui). L’assurance La loi du 4 mars 2002 a rendu obligatoire l’assurance professionnelle pour les praticiens libéraux et les établissements de soins. Elle ne donne pas de précisions pour les internes et les autres praticiens des hôpitaux publics. Cependant, la souscription d’une assurance permet au praticien hospitalier de bénéficier d’une aide juridique personnelle qui couvrira en particulier les frais d’avocats en cas de poursuite pénale ou ordinale, mais aussi de garantir le médecin hospitalier en cas de faute détachable du service, qui peut se chiffrer à plusieurs centaines de milliers d’euro. Enfin, les contrats proposent également une protection juridique lorsque le médecin rencontre des difficultés juridiques non liées directement aux soins délivrés : salaires, statuts… Les remplacements L’interne et le chef de clinique ont la possibilité d’effectuer des remplacements en médecine libérale. Ils doivent avant tout obtenir l’accord du chef de service. Ensuite, pour l’interne de cardiologie, non thésé et non inscrit au conseil de l’ordre, il doit avoir validé un certain nombre de semestres (attestation de l’enseignant de sa discipline) et être inscrit en 3 e cycle pour obtenir une licence de remplacement (valable un an) auprès du conseil de l’ordre du département où il exerce ses fonctions hospitalières (précisions sur
www.conseil-national.medecin.fr). Le médecin remplacé doit obtenir une autorisation de remplacement (pour une période déterminée) auprès de son conseil de l’ordre. Dans la mesure où il va exercer la médecine libérale, le remplaçant est soumis à l’obligation légale d’être assuré personnellement. S’il est déjà assuré pour son activité hospitalière salariée, il est impératif qu’il avertisse son assureur du remplacement envisagé, car les garanties assurées ne sont pas les mêmes. Il est préférable d’établir un contrat de remplacement entre le remplacé et le remplaçant. Les bons réflexes de la pratique quotidienne pour éviter les plaintes (tableau 2 ) Il ne fait pas de doute que la première des obligations est de pratiquer des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science. En France, les médecins ont une obligation de moyens et non de résultats. Force est de constater qu’une proportion importante des accidents survient souvent par des problèmes de coordination entre praticiens. Chaque praticien doit toujours se sentir responsable du patient même s’il n’est pas le référent de ce patient et veiller à la bonne coordination des soins. Par la complexité des traitements cardiologiques, il faut veiller à la bonne compréhension du correspondant généraliste, en donnant des consignes claires et détaillées (relais des anticoagulants, durée des antiagrégants plaquettaires, programmation des explorations et fréquence, etc.)