Le retour du cardiaque au travail : pour une « positive aptitude »
H. HOOREMAN, Centre hospitalier d’Eaubonne
En matière d’aptitude au sport chez le cardiaque, une abondante littérature existe. L’aptitude au travail est, elle, beaucoup moins étudiée alors qu’elle pose au moins autant, si ce n’est davantage, de questions. Bien plus, le renoncement au sport n’a évidemment pas les conséquences dramatiques d’une inaptitude au travail, ou a fortiori d’un licenciement. Quels sont, pour le cardiologue, les critères de décision, ou plus exactement de conseil, puisqu’en tout état de cause, le médecin du travail est seul maître de sa décision : apte ou inapte ?
Le patient symptomatique Il s’agit probablement de la situation la plus fréquente : un malaise, un trouble du rythme, une dyspnée, une complication (infectieuse, hémodynamique, embolique, etc.) a révélé une cardiopathie. Une phase hospitalière a eu lieu le plus souvent. Un traitement a été entrepris à l’issue d’un bilan, un calendrier de suivi a été proposé. L’arrêt de travail va prendre fin et se pose alors la reprise éventuelle du travail Que peut apporter le cardiologue ? Un diagnostic (c’est bien…) ; D’éventuels éléments de gravité, ou de retentissement (c’est mieux…) ; D’éventuelles restrictions (c’est fréquent…). Le cardiologue dispose d’un plateau technique (écho, holter ECG et TA, épreuve d’effort) qui lui permet en principe de répondre aux trois rubriques. Des examens de seconde intention sont parfois indispensables pour trancher définitivement : tilt test, potentiels tardifs, électrophysiologie. ...Au médecin du travail ? Sur le plan diagnostique, le médecin du travail devrait bien entendu savoir, (avec l’accord du patient, secret médical oblige, et cette règle ne souffre aucune exception), s’il s’agit d’une insuffisance coronaire, d’une valvulopathie, d’une cardiopathie hypertrophique ou dilatée, d’une cardiopathie hypertensive ou rythmique, congénitale, d’une canalopathie… Mais, à vrai dire, plus que le diagnostic, les éléments de gravité vont constituer l’essentiel de ses préoccupations. Le salarié (puisqu’il ne s’agit plus, dans son cas, d’un patient) est-il physiquement apte au travail ? De ce point de vue, il faut s’aider des équivalences bien connues (tableau 1) en les comparant aux données fournies par la nécessaire épreuve d’effort. Par exemple, un travail comportant des montées d’escaliers avec port de charges de 7 à 10 kg va correspondre à une consommation de 5 à 7 METS, soit un travail d’environ 90 à 120 watts sur bicyclette ergométrique. Le sujet en est-il capable ? Rappelons que la capacité physique est le résultat de la triple association cœur-poumons-muscle périphérique. La FEVG échographique est très mal corrélée à la capacité physique, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’un chiffre bas peut très bien s’accompagner d’une tolérance à l’effort « convenable », compatible avec de nombreuses tâches professionnelles, pour peu que le poumon soit normal et que le patient ait éventuellement été réadapté. Inversement, le développement de l’échocardiographie d’effort nous a appris que les pressions droites s’élèvent parfois de façon très importante à l’effort, en cas de valvulopathie notamment ; l’existence d’une HTAP résiduelle, de repos ou d’effort, doit être prise en compte. Ces renseignements sont bien entendu utiles, si ce n’est indispensables, au médecin du travail. Ce dernier a également besoin de savoir, même approximativement, les grandes étapes d’un éventuel futur arbre décisionnel ; par exemple, « en cas de récidive de FA mal tolérée, une ablation endocavitaire pourrait se discuter », ou encore, « un échappement thérapeutique ferait proposer une resynchronisation », etc. En pratique, il devrait disposer, au minimum, des données chiffrées de l’échographie cardiaque (et notamment la FE et les pressions droites), et du test d’effort, de préférence couplé à la mesure des échanges gazeux. Ces données chiffrées doivent s’accompagner de commentaires aisément compréhensibles par un non-cardiologue, par exemple « atteinte sévère de la fonction contractile », en citant volontiers des références, par exemple : « VO2 max estimée à x % de la valeur attendue ». Le cardiologue doit également attirer l’attention du médecin du travail, sur un résultat chirurgical imparfait ou incomplet (valve mécanique « un peu sténosante », « coronaire droite filiforme non pontable »), un syndrome dépressif ou des tares associées (BPCO), une observance médicamenteuse suspecte, etc. En tout état de cause, il n’est jamais prudent d’affirmer à son patient : « après la chirurgie, vous pourrez reprendre sans difficultés votre métier ». Chacun se souvient de cas douloureux, avec une déception du patient à la hauteur du geste interventionnel ou chirurgical « qui a mal tourné » : médiastinite, déplacement de sondes de stimulateur, etc. Pour cette raison, chaque indication de geste doit répondre aux recommandations habituelles (indications opératoires des valvulopathies, etc.) et non au désir de tel ou tel métier. Le salarié, indépendamment de sa capacité physique, court-il un risque pour sa santé en effectuant cette tâche ? C’est poser en quelque sorte la question de l’innocuité de l’effort physique chez le cardiaque. De ce point de vue, les données de la littérature sont désormais parfaitement claires : une relation étroite et indiscutable existe entre exercice et réduction de la mortalité et de la morbidité, et ceci est encore plus vrai chez les coronariens (figure). C’est d’ailleurs bien là un des objectifs des cycles de réadaptation cardiaque, en hospitalisation ou en ambulatoire : redonner l’aptitude en même temps que le goût de l’effort physique à nos cardiaques, en améliorant la tolérance à ce même effort. Lors d’un séjour en réadaptation, on propose en général au patient des séances d’entraînement de 30 à 45 min, sur vélo ou tapis, à la FC contemporaine du seuil ventilatoire, habituellement proche de [FC max constatée- FC de repos] x 0,6 (ou 0,8 si patient sous bêtabloquants). À ce niveau de travail, l’exercice physique a prouvé son innocuité. Néanmoins, le risque rythmique n’est jamais totalement exclu, c’est probablement celui qui pose le plus de problèmes lors de la décision de retour au travail d’un coronarien ayant eu par exemple une fibrillation auriculaire ou une TV. Figure. Effets d’une activité physique régulière sur la mortalité (d’après Haskell, Med Sci Sports Exerc 1994). Lors d’activités professionnelles, par contre, pouvant durer 8 heures par jour, il faut réviser à la baisse ces plages de FC. Les médecins du travail ont pris l’habitude de parler de coût cardiaque absolu [FC de travail – FC de repos] ou relatif [FC de travail – FC de repos/FMT – FC de repos]. Les tâches professionnelles peuvent être classées d’après leur pénibilité selon le tableau 2. Pour pouvoir utilement conseiller le médecin du travail, il faudrait théoriquement pouvoir disposer d’un suivi sous Holter (ou cardiofréquencemètre) des activités professionnelles envisagées… Il faut bien considérer cette hypothèse comme assez utopique, bien que des études soient en cours. Certaines restrictions peuvent parfois être énoncées Elles sont liées au fait que les activités professionnelles sont à effectuer dans des conditions particulières de luminosité, de température (travail en extérieur, milieu réfrigéré), de bruit, d’équipements, d’« acrobaties » type nacelle, poutrelles, d’horaires, etc. En ce sens, les paramètres de FC, PA, VO2, et même l’ECG, enregistrés en laboratoire d’épreuve d’effort, ne sont pas forcément comparables à ceux obtenus lors d’activités professionnelles « en temps réel ». L’arrière-pensée de restrictions dans l’aptitude au poste de travail n’est pas toujours bien vécue, par le salarié ou ses collègues (jalousies), ni par l’employeur qui peut refuser l’aménagement. L’exemple type serait celui d’une « aptitude à la conduite d’engin » (qui ne réclame pas de grande capacités physiques), « mais sans manutention » (qui, elle, peut en demander). La dérogation « apte au service de jour exclusivement » pose peut-être moins de problèmes, sauf parfois financiers, en raison d’une perte de primes ou avantages. Cette dérogation mériterait sans doute d’être davantage utilisée, notamment lorsqu’un régime alimentaire assidu est nécessaire ; les tâches nocturnes, de surveillance notamment, exposent souvent à des désordres alimentaires répétés (grignotages) difficiles à résoudre autrement. Dans d’autres cas, il est par exemple possible d’insister sur une aptitude professionnelle « en regroupant l’activité à un seul site professionnel », dans le but de limiter les temps de transports, etc. La formule du temps partiel thérapeutique Elle a beaucoup plus les faveurs des cardiologues (qui y voient l’avantage de poursuivre et terminer une éventuelle rééducation tout en retravaillant) que des médecins du travail (qui redoutent en général que la situation ne se « chronicise »). On le voit, chaque cas est particulier, et des règles précises sont impossibles à formuler. Aucun catalogue de cardiopathie et de tâches professionnelles ne peut être évoqué. Avec du bon sens, une bonne ergométrie (de préférence avec mesure couplée des échanges gazeux) et des données échographiques chiffrées, la décision de retour ou non au travail doit pouvoir être consensuelle, ainsi que sa date. Un délai de 3 mois après une chirurgie coronaire ou valvulaire est habituellement admis. Une reprise bien plus précoce est licite en cas de simple angioplastie. Le patient asymptomatique : les postes de sécurité Le problème est ici d’identifier le risque d’incapacité subite, notamment par syncope. La population de travailleurs en cause concerne essentiellement les postes de conduite et pilotage divers, y compris en aéronautique, les postes de sécurité, le travail sur échafaudages, etc. Les techniques non invasives habituelles doivent être largement utilisées : écho, holter, test d’effort, parfois tilt test, pour aider à la décision. Une mention particulière doit être faite dans plusieurs domaines particuliers : Le dépistage des dysplasies arythmogènes du VD, où la recherche de potentiels tardifs trouve sans doute là une de ses dernières bonnes indications, notamment en cas d’enquête familiale ; leur présence doit indiscutablement faire compléter le dossier et affirmer ou non la maladie ; on sait qu’un drame rythmique et parfois une mort subite peut être le premier et le dernier événement d’une dysplasie débutante. Le dépistage des troubles du sommeil débutants, où la polysomnographie nocturne est sans doute encore insuffisamment demandée. Les porteurs de SAS rapportent
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