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La cardiologie de l'extrême - Parachutisme : 220 battements par minute !
J.-M. CHEVALIER, Médecin chef des services, Hôpital des Armées Robert Picque, Bordeaux

Le parachutisme entraîne des risques essentiellement traumatiques, surtout au niveau des membres inférieurs et du rachis(1). Mais le système cardiovasculaire est particulièrement sollicité lors de cette activité anxiogène que ce soit chez le débutant ou le parachutiste confirmé(2, 3).
Contraintes du parachutiste « Le chuteur en parachute est un homme normal dans un environnement anormal » avec un stress à trois composantes : physique, environnemental et psychologique (4-6). La composante physique Elle reste modérée. Elle est représentée par les efforts musculaires (rarement intenses) lors des déplacements avec un équipement plus ou moins lourd, efforts tout à fait acceptables pour un sujet normalement entraîné (2). La répétition des sauts dans la journée entraîne une fatigue plus psychologique que physique. L’expérience du parachutiste joue un rôle évident même dans la gestion de l’activité physique au sol (4). Les contraintes environnementales Celles-ci sont très variables mais restent généralement modérées. Un certain nombre de facteurs environnementaux peuvent modifier les réactions cardiovasculaires : - les conditions météorologiques (froid, vent, pluie ou grand beau temps) jouent un rôle évident. Le froid d’altitude, ajouté aux conditions météorologiques locales, sont une agression d’autant plus importante que le vol en parachute dure plus longtemps comme le saut à très grande altitude avec ouverture immédiate et dérive sous voile (4, 6). Le froid vif, conjugué à l’effet vent sur le visage, est responsable de brusques accélérations et décélérations des rythmes respiratoire et cardiaque (4). Ces variations participent à l’agression en modifiant l’hémodynamique cardiaque et la pression veineuse centrale ; - l’altitude (400, 1 000, 4 000, voire 8 000 m), entraîne une hypoxie relative et augmente le rythme cardiaque ; mais les variations de pression barométrique n’exerceraient pratiquement aucune influence jusqu’à 4 000 m ; - les types de saut (en automatique ou commandé) et de sa pratique, de façon oisive ou dans un environnement opérationnel, entraînent des contraintes très différentes ; - si le silence en vol sous le parachute ouvert est un plaisir recherché, le parachutiste est initialement agressé par le bruit de l’avion et les vapeurs des moteurs (2) ; - enfin, la survenue d’éventuels incidents à la sortie de l’avion, en vol et surtout à l’atterrissage (terrain boisé, dénivelé voire saut en territoire ennemi) sont d’évidentes contraintes environnementales. Le stress psychologique (7-9) La physiologie du parachutiste est dominée de façon écrasante par le stress psychologique. Il s’agit d’un stress intense et brutal, dont l’intensité dépend de l’émotivité du sujet, les premiers sauts étant souvent l’expérience la plus terrifiante du débutant. Puis, il existe une adaptation émotionnelle, la peur s’estompant progressivement avec la répétition des sauts et l’expérience acquise (4). La peur est multifactorielle : peur de ne pas sauter, peur du vide, peur de l’accident mécanique en l’air (mauvaise ou non-ouverture du parachute), peur de l’atterrissage. Cependant, le parachutisme sportif semble nettement moins agressif que la pratique militaire. Mais le stress psychologique subsiste quelle que soit l’expérience du sujet (3). La réaction d’alarme généralisée du débutant est progressivement remplacée par une réaction d’éveil plus sélective (anticipation mentale des gestes à effectuer lors de la chute libre) : un saut réussi est suivi par une phase d’euphorie tout aussi intense. Par ailleurs, la personnalité et la motivation des parachutistes sont très différentes. Certains recherchent des sensations fortes : « le sentiment d’être tout et l’évidence de n’être rien » (2). D’autres éprouvent un sentiment d’invulnérabilité après avoir triomphé de l’épreuve mortelle. Pour certains narcissiquement faibles, le risque sert de réassurance comme une revendication implicite de leur personnalité (4). Réactions cardiovasculaires habituelles L’approche des réactions cardiovasculaires peut se faire en enregistrant de façon continue sur 24 h la pression artérielle et de la fréquence cardiaque par la méthode Holter. Des recueils de catécholamines urinaires ont été réalisés de façon occasionnelle (10). Comme prévu, ces dosages ont confirmé l’hypersympathicotonie au décours d’un saut. Variation de la pression artérielle François Colomb (2) fut le premier à étudier les variations de la pression artérielle (PA) par sphygmomanomètre chez des parachutistes au cours de 18 sauts à ouverture automatique : mesure une heure avant, à l’embarquement, dans l’avion, juste après l’arrivée au sol et une heure après. Puis un projet de recherche clinique a été mené à l’École des troupes aéroportées de Pau par Chevalier et Colomb (3) « pour une meilleure connaissance des réactions cardiovasculaires liées au saut à ouverture automatique en milieu militaire ». L’étude a été conduite de mars 1993 à mars 1994 chez des engagés volontaires de 26 ans d’âge moyen, en parfaite santé, jeunes brevetés ou très expérimentés. Ils ont réalisé 1 à 3 sauts de jour, en zone facile et sans charge et accepté de porter un holter soit tensionnel soit rythmique. Parmi les 29 parachutistes militaires ayant bénéficié d’une mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA), la PA systolique moyenne de repos a été de 127 ± 7 mmHg. Elle est passée en moyenne à 168 ± 35 mmHg au moment du saut (soit une augmentation moyenne systolique de 41 mmHg). Six valeurs sont ≥ 200 mmHg. L’élévation a débuté progressivement au moins 2 heures avant le saut (figure 1). La PA systolique moyenne 30 min après le saut est redescendue à 132 ± 11 mmHg. Chez certains parachutistes, le retour à la PAS initiale ne se fait qu’en 1 h 30 après le saut. La PA diastolique moyenne a diminué de 73 ± 8 mmHg à 58 ± 7 mmHg à l’atterrissage. Elle est inchangée 30 min avant et 30 min après le saut. Cet élargissement de la différentielle s’explique par la bonne compliance artérielle du sujet jeune. Figure 1. Enregistrement continu en ambulatoire de la pression artérielle systolique (PAS), de la pression artérielle diastolique (PAD) et de la fréquence cardiaque (FC) chez un parachutiste confirmé de 38 ans de jour en automatique (2). La fréquence cardiaque La fréquence cardiaque (FC) a été d’abord étudiée par simple prise manuelle du pouls avant et après le saut. Elle a pu être suivie pendant toute la durée du saut voire tout le nycthémère par télémétrie (7), puis par cardiofréquencemètre (figures 2 et 3 dans un travail réalisé à l’ETAP par Colomb) et enfin, par la méthode holter (4, 11, 12, 13) ; 39 holters rythmiques ont été placés chez des parachutistes militaires réalisant des sauts à ouverture automatique (2). La FC moyenne est passée de 69 ± 8 bpm au repos à 158 ± 12 bpm au moment du saut, avec des extrêmes allant de 142 à 220 bpm (moyenne des FC maximales = 174 ± 12 bpm). On note une anticipation mentale du saut puisque 92 % des sujets ont une FC ≥ 100 bpm une heure avant le saut. Après l’arrivée au sol, le retour au calme s’accompagne d’une baisse rapide (influence vagale) puis progressive de la FC, avec une valeur de repos atteinte en moyenne 1 h 30 après le saut. Figure 2. Variations de la fréquence cardiaque recueillie par radiofréquencemètre chez un parachutiste effectuant un saut à ouverture automatique (2). Figure 3. Variations de la fréquence cardiaque (FC) recueillies par un radiofréquencemètre chez un parachutiste assis dans l’avion avec de mauvaises conditions météorologiques. Regain tachycardique à l’annonce de l’annulation du saut puis lente décroissance (2). La récupération du rythme cardiaque initial est retardée si plusieurs sauts sont effectués dans la même journée ou si des incidents surviennent. Il existe, bien sûr, des variations individuelles importantes, notamment selon l’expérience, avec une FC moyenne au moment du saut à 161 ± 14 bpm chez les débutants et 150 ± 10 bpm chez les sujets expérimentés (8). Feuillet (12) et Lambert (13) confirment que la variation de fréquence cardiaque entre le repos et le saut est pratiquement la même quelle que soit l’expérience du parachutiste. Seul le niveau basal de FC diffère (moins 10 bpm si entraîné). On note très peu d’extrasystoles ventriculaires sans doublet, mais de nombreuses extrasystoles supraventriculaires difficiles à différencier des artefacts au moment du saut. Cependant, aucune tachycardie supraventriculaire soutenue n’a été enregistrée ni aucune pause vagale significative ; 9 sous-décalages ascendants du segment ST ont été rapportés. Par ailleurs, les pics de tachycardie sont plus ou moins élevés selon le type de saut : - en saut à ouverture automatique : la sortie de l’avion est le moment le plus pénible ; - en saut commandé : ce sont les phases d’ouverture de voile et d’atterrissage qui sont les instants critiques. Aigle (4) a posé 36 Holters rythmiques chez 18 parachutistes très expérimentés : âge moyen 32 ans, 631 ± 330 sauts en commandé, mais seulement 14 ± 5 sauts à ouverture retardée à très grande hauteur (SOTGH). Ce type de parachutisme est difficile, réalisé lors d’une campagne de sauts qui nécessitent une grande préparation. En effet, les sauts s’effectuent sous oxygène et avec un équipement très spécial, permettant d’être largué à très grande altitude (entre 4 500 et 6 500 m) avec ouverture immédiate du parachute et longue dérive sous voile (10 à 40 km parcourus en l’air en 15 à 20 min selon les vents). Aigle a pu enregistrer 16 sauts de jour et 12 sauts de nuit ainsi que 8 vols équipés avec intention de saut mais annulés pour des raisons d’avionique (figure 4). On peut nettement voir les variations de fréquence cardiaque lors des différents événements de ce saut en conditions extrêmes. Figure 4. Diagramme des fréquences cardiaques de 28 sauts à ouverture commandée à très grande hauteur (4). a = long équipement au sol ; b = assis dans l’avion avec dénitrogénation en O2 pur ; c et d = lever et efforts en soute ; e = sortie de l’avion et ouverture immédiate ; f = vérification de l’azimut ; g = dérive sous voile ; h = atterrissage ; i = déséquipement. Le stress émotionnel va grandir avec les fautes de pilotage, les erreurs de largage, les difficultés d’approche de la cible (vent), le manque de visibilité
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